Intervention de Isabelle de Silva

Délégation aux entreprises — Réunion du 8 octobre 2019 à 15h00
Audition de Mme Isabelle de Silva présidente de l'autorité de la concurrence et de M. étienne Chantrel rapporteur général adjoint chef du service des concentrations

Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la Concurrence :

L'exercice qui consiste à définir des engagements, lorsque l'on autorise une opération de concentration, est toujours complexe. Nous essayons de permettre l'entrée sur le marché d'un nouvel acteur, mais parfois, cela ne fonctionne pas, et ce, pour plusieurs raisons exogènes. Le repreneur peut ne pas être au niveau sur le plan capitalistique ou des moyens ; il peut faire de mauvais choix stratégiques. Il ne faut pas considérer qu'il s'agit d'un échec de l'Autorité de la Concurrence ni même de l'analyse effectuée en 2014. J'ajouterai qu'en 2014, le transfert a porté sur un réseau cuivre. Or, le contexte technologique a évolué. KOSC a voulu faire de ce réseau autre chose.

Faudrait-il modifier la législation pour mieux prendre en compte la concurrence ? Je ne le crois pas au regard de cette affaire. Nous pouvons faire confiance au marché pour trouver un repreneur si nécessaire, et que l'activité se poursuive. J'estime que le contrôle du respect des engagements fonctionne bien. L'échec d'une reprise est toujours regrettable, mais il existe toujours un aléa. Les pouvoirs de l'Autorité ont selon moi été suffisamment renforcés par la loi Macron de 2015 qui nous a conféré un nouvel outil : le pouvoir de substituer des injonctions à un engagement initial qui a été méconnu. Nous en avons fait usage dans la décision « Faber », par laquelle nous avons non seulement sanctionné Altice à hauteur de 40 millions d'euros, mais lui avons aussi imposé de nouvelles injonctions pour que l'engagement de départ qui n'avait pas été correctement réalisé puisse être mené à bien. Nous continuons à suivre cet engagement de façon extrêmement rigoureuse

Vous m'avez posé une question plus générale sur le différentiel de prix entre les offres de gros et les offres de détail du marché des entreprises. Cet écart peut sembler licite dès lors que le marché n'est pas régulé. Je partage l'analyse de l'OCDE quant à l'intérêt d'avoir sur le marché un opérateur non intégré. Ce modèle présente de nombreux avantages en termes d'équité, mais sa pérennité n'est pas garantie par le marché et la reprise par un opérateur intégré viendrait en effet y mettre fin. Dans le cadre de nos analyses de marché, nous sommes favorables à ce type de modèle non intégré qui peuvent permettre plus de facilités d'entrée et que nous recommandons quand nous le pouvons, que cela soit au titre des concentrations ou des recommandations de marché.

S'agissant de l'articulation des pouvoirs entre l'Autorité et l'ARCEP, je pense que le système français fonctionne bien en dépit de cette péripétie fâcheuse qui pourrait laisser croire que tout le système dysfonctionne. En France, la concurrence sur le « marché entreprises » est moins forte que sur le marché de détail. En revanche, il est peut-être nécessaire d'inventer de nouveaux de modes de régulation. Tel est l'objet de nos discussions avec l'ARCEP car il n'est pas simple de trouver le bon niveau de régulation. Avec Sébastien Soriano, Président de l'ARCEP, nous partageons l'objectif d'un renforcement de la concurrence sur le « marché entreprises », accentué par l'arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché. Nous savons bien que le modèle d'un duopole avec un acteur très puissant n'est pas celui qui favorise le plus les prix bas et la qualité. La future loi sur l'audiovisuel marquera sans doute un changement institutionnel important puisqu'elle viendra recomposer les régulateurs audiovisuels. Toutefois, il ne me semble pas nécessaire, à ce stade, de modifier nos pouvoirs respectifs. Je suis fière du processus d'accompagnement qui a été mis en oeuvre sous l'égide de l'ARCEP, et avec notre soutien constant, pour s'assurer que ce réseau soit transféré et fonctionne, ce qui n'était pas garanti il y a deux ans. Il a fallu l'accompagner par toute une série d'incitations et je pense que la menace de sanction qui pesait sur Altice a pu jouer un rôle positif pour qu'Altice soit vraiment conscient de ses obligations. Nos actions sont complémentaires.

Ce marché a de l'avenir. Il n'y a donc aucune raison que KOSC ne trouve pas de repreneur, indépendamment de l'issu du contentieux commercial que vous avez rappelé. Il m'est difficile de me prononcer à l'avance sur le bon scenario de reprise. Tous les acteurs qui s'intéressent à ce marché, en particulier l'ARCEP, chercheront à faciliter une solution qui ne pénalise pas les PME. Cela serait le scénario du pire, mais il n'a pas de raison aujourd'hui que cette activité disparaisse car elle répond à une demande. Peut-être que le plan d'affaire et le dimensionnement des moyens n'ont pas été optimaux, mais il m'est difficile de porter une appréciation interne à ce sujet et, de mon point de vue d'observateur, je ne pense pas qu'il y ait d'obstacle à ce que cette activité soit reprise et puisse prospérer.

Quant à la question de savoir si les décisions de l'Autorité sont suffisamment dissuasives, je crois que le cumul des sanctions et de l'outil de régulation de l'ARCEP nous permet de réaliser un contrôle extrêmement vigilant du marché des télécommunications. La France est, de très loin, le pays de l'Union européenne qui assure la meilleure concurrence sur ce marché. Nous nous intéressons ici au segment de gros - entreprises mais il faut bien noter que des résultats exceptionnels ont été obtenus sur le marché de détail. La sanction de 350 millions d'euros infligée à Orange (plus grande sanction jamais prononcée contre une entreprise à l'époque) a eu un effet extrêmement puissant, d'autant qu'elle a été assortie d'injonctions visant la neutralité totale de l'accès à la fibre par les autres opérateurs. Si un opérateur nous signalait une difficulté ou s'il s'avérait qu'Orange ait pu se favoriser pour l'accès à la fibre, nous réagirions immédiatement. Des modifications structurelles très coûteuses ont ainsi été réalisées par Orange pour mettre en place des mécanismes de « chinese walls » dans son système informatique.

Pour ce qui concerne SFR, certains peuvent dire que le montant de 20 millions d'euros représentait une peccadille, encourageant SFR à fauter de façon récidiviste. Tout d'abord les cas de récidive peuvent nous conduire à une aggravation de la sanction. Nous avons déjà prononcé deux sanctions à l'encontre d'Altice. Nous lui avons également infligé une sanction de 80 millions d'euros pour gun jumping, ce qui était la première sanction aussi dissuasive au niveau mondial, avec pour résultat des changements vraiment profonds des pratiques des entreprises. Les sanctions conduisent donc réellement les entreprises à modifier leurs comportements, mais ne suffisent pas à garantir le bon fonctionnement du marché.

Puisque vous m'invitiez à revenir sur la décision de 2014 pour apprécier si le but recherché a été atteint, franchement je pense que la décision était bonne. Il y avait certes beaucoup de marchés affectés et cela a beaucoup moins bien marché sur ce marché je vous l'accorde tout à fait. KOSC a rencontré des difficultés ; ce n'était peut-être pas le repreneur qui avait les reins les plus solides mais nous n'avons pas toujours le choix entre plusieurs repreneurs. En l'occurrence il s'agissait d'une entreprise qui se créait quasiment ex-nihilo ; la suite aurait été plus facile avec un opérateur ayant déjà les reins solides et les moyens de se développer beaucoup plus vite.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de remettre en cause le contrôle des concentrations. En revanche, il faut être extrêmement dur - j'allais dire impitoyable - avec tous les non-respects d'engagements. Vous évoquiez l'idée que finalement pour SFR il était facile de « tuer le concurrent » en ne respectant pas ses obligations. Mais je peux vous assurer que nous avons examiné ce dossier sans aucun a priori et de manière factuelle. Sans nous laisser influencer par les précédentes sanctions, nous avons recherché les preuves d'un non-respect à l'image de ce que nous avions fait dans l'affaire « Faber » ainsi que l'éventuelle volonté d'empêcher un concurrent d'arriver. Je crois que l'arrivée d'une nouvelle équipe à la tête de SFR a montré une volonté de traiter correctement la situation. En tout cas, pour ce qui relevait de notre office qui était le transfert effectif du réseau cuivré, nous avons vu les choses mises en oeuvre avec beaucoup de sérieux.

Je passerai la parole à Étienne Chantrel pour remettre en perspective la question de l'activation du réseau. Je comprends que cela puisse paraître contre-intuitif si l'on constate que l'on transfert un réseau mais que celui-ci ne fonctionne pas ; cela paraît absurde. Je crois qu'il existe des raisons juridiques pour lesquelles nous ne sommes pas allés jusqu'au bout. Cela peut paraître regrettable. Peut-être à l'époque aurions-nous dû rédiger l'engagement différemment, mais nous étions ensuite tenus par la lettre de l'engagement. En outre, au sujet de l'activation, plusieurs éléments relevaient de la responsabilité d'autres entreprises. Pour résumer il y avait premièrement l'analyse de ce qui pesait sur SFR au titre de l'engagement, et deuxièmement des éléments dépendant d'autres entreprises.

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