Intervention de Olivier Dussopt

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 octobre 2019 à 8h40
Proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques sociétaux et économiques du xxie siècle — Texte examiné conformément à la procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics :

Je le dis d'emblée, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi, mais je tiens à en remercier les auteurs, à la fois pour le travail réalisé, mais aussi pour avoir réveillé en moi les débats d'il y a un peu plus de dix ans, au cours desquels nous nous interrogions collectivement sur le niveau de richesse : la richesse commençait pour certains à partir de 4 000 euros par mois...

En lisant ce texte, j'ai le sentiment d'un décalage entre l'exposé des motifs, expliquant que l'objectif est de faciliter la circulation intergénérationnelle du patrimoine et la justice fiscale, et les dispositifs proposés par la proposition de loi.

Je constate également un décalage entre nous sur la conception des patrimoines moyens ou modestes, et je reviendrai sur un certain nombre de chiffres. Le patrimoine médian des Français s'établit à 113 900 euros. Moins de 25 % des successions feront l'objet d'une taxation malgré les chiffres annoncés par le rapporteur, et qui sont confirmés par le Gouvernement.

Avec cette proposition de loi, nous pourrions considérer comme ménages modestes des grands-parents en mesure de donner 150 000 euros en numéraire à chacun de leurs petits-enfants tous les dix ans et de compléter ce don de 150 000 euros supplémentaires pour peu qu'il ne s'agisse pas de numéraire. En réalité, avec l'augmentation considérable des abattements que prévoit la proposition de loi et la diminution du délai de recharge en passant de quinze à dix ans, ce texte rendrait possible la donation en franchise de droits de patrimoines de plusieurs centaines de milliers d'euros par petit-enfant : 450 000 euros par petit-enfant et par grand-parent, tous les dix ans, pour être précis. Je ne crois pas que cette cible soit véritablement celle que l'on qualifierait de ménages modestes ou moyens.

Le Gouvernement n'est pas fermé au principe de mieux prendre en compte la solidarité intergénérationnelle. Mais nous souhaitons privilégier les ménages moyens et non pas les ménages visés par cette proposition de loi.

Je profite de cette occasion pour dire que nous sommes attachés à maintenir un équilibre dans la taxation des transmissions. Depuis leur instauration au lendemain de la Révolution française, les droits sur les successions et donations ont été conçus comme un instrument de redistribution pour éviter la concentration du patrimoine ; ils sont devenus progressifs à compter de 1901 et les DMTG sont construits sur la prise en compte du couple défunt héritier ou donateur-donataire, en favorisant les liens de parenté. Ils relèvent d'un barème progressif applicable après divers abattements ou exonérations favorables aux transmissions familiales. Du fait de la limitation des donations antérieures à quinze ans, cela permet une transmission anticipée pour réduire les droits dus en faisant jouer tous les quinze ans le même abattement. Il en résulte que le régime actuel des donations et successions aboutit déjà à une franchise d'impôt pour la grande majorité des transmissions en ligne directe dans la mesure où elles bénéficient d'un abattement de 100 000 euros. Au-delà de cet abattement s'applique le barème progressif d'imposition. Ainsi, pour un couple avec deux enfants, il est aujourd'hui possible d'effectuer une donation de 400 000 euros, sans payer de droits à hauteur de 100 000 euros pour chacun des parents et pour chacun des deux enfants. Cette donation est à mettre en perspective avec le patrimoine médian net des Français, estimé par l'INSEE à un peu moins de 114 000 euros, comme je l'ai déjà relevé.

Or la proposition de loi reviendrait sur cet équilibre sous couvert de vouloir favoriser les transmissions intergénérationnelles. Permettez-moi de prendre quelques cas précis si ce texte était adopté.

Dans le cas d'une donation entre grands-parents et petits-enfants, rien n'empêcherait chaque grand-parent de transmettre à chaque petit-enfant jusqu'à 450 000 euros en franchise totale d'impôts, contre 64 000 euros actuellement. Si ce grand-parent a quatre petits-enfants, il pourrait ainsi transmettre jusqu'à 1,8 million d'euros en franchise d'impôt, et ce tous les dix ans, contre quinze ans aujourd'hui. Actuellement, si le donateur est âgé de moins de quatre-vingts ans, il peut bénéficier d'un abattement de 31 865 euros par grand-parent et par petit-enfant âgé de plus de dix-huit ans ; s'il s'agit d'une donation en numéraire, il pourra en plus bénéficier d'une exonération à la même hauteur toujours par grand-parent et par petit-enfant : chaque grand-parent peut donc donner jusqu'à ses quatre-vingts ans à chacun de ses petits-enfants majeurs 63 730 euros tous les quinze ans en franchise totale de droits. Si la proposition était adoptée, l'abattement et l'exonération seraient portés à 150 000 euros et les grands-parents entreraient aussi dans le champ de l'application de l'abattement général que vous proposez également de porter à 150 000 euros.

Vous souhaitez aussi favoriser certaines transmissions en ligne indirecte en faveur des neveux ou nièces, en faisant passer les abattements de 64 000 à 400 000 euros. Aujourd'hui, un couple ayant quatre neveux et nièces peut leur transmettre jusqu'à 63 700 euros en franchise de droits ; la proposition de loi leur permettrait de transmettre jusqu'à 400 000 euros en franchise totale. Si telle est votre conception des petits patrimoines, ce n'est pas celle du Gouvernement.

J'en viens maintenant au barème des tarifs de DMTG sur les transmissions en ligne directe que vous proposez de revoir, en allégeant ce tarif jusqu'à 300 000 euros de part nette taxable par bénéficiaire et en l'alourdissant au-delà.

Prenons cette fois l'exemple d'une donation d'un parent âgé de moins de quatre-vingts ans ayant deux enfants majeurs et qui souhaite leur transmettre 800 000 euros au total, partiellement en numéraire. Avec votre proposition de loi, les DMTG passeraient de 104 000 euros environ à 24 000 euros. Aujourd'hui, il leur en coûterait au total 103 642 euros de DMTG, contre 23 499 euros, avec les dispositions prévues dans ce texte, du fait de l'exonération de 150 000 euros par part et de l'abattement d'un même montant par part et du barème allégé pour les 100 000 euros par part restant taxables.

Pour terminer, permettez-moi de revenir sur cinq points particuliers de la proposition de loi.

L'article 3 prévoit de modifier le mécanisme de réserve héréditaire et la quotité disponible prévue par l'article 913 du code civil. Vous proposez de porter la quotité disponible aux deux tiers des biens pour une personne n'ayant qu'un enfant et à la moitié des biens si elle a deux enfants, un tiers si elle a trois enfants ou plus. La réserve héréditaire passerait ainsi de la moitié au tiers des biens pour un seul enfant héritier, des deux tiers à la moitié des biens pour deux enfants et des trois quarts aux deux tiers pour trois enfants. Or il se trouve que la garde des sceaux réunit actuellement un groupe de travail interministériel sur la justification de la réserve héréditaire et l'adéquation de ces modalités au regard des évolutions juridiques et sociétales. Il nous semble plus sage d'attendre la fin de ces travaux avant de modifier ce droit. Le Gouvernement est donc défavorable à l'article 3.

Je ne reviendrai pas sur l'article 4, qui modifie le barème des tarifs, car je vous ai montré que la mesure prévue entraînerait un allégement considérable des droits dus pour les très gros patrimoines.

S'agissant de l'article 5, il modifie en profondeur la logique de l'imposition en ce qu'il prévoit d'ajouter à une succession le montant de toutes les successions antérieures dont l'héritier a été bénéficiaire pour faire appliquer le barème progressif des DMTG. Contrairement à ce qui est prévu pour les donations antérieures, aucun délai de recharge ne serait prévu, ce qui aboutirait à un renchérissement de l'imposition pour certains héritiers ou légataires. Vous avez cité l'organisme Terra Nova comme source d'inspiration de votre proposition, mais vous n'avez pas mentionné le fait que les auteurs de cette étude soulignaient le caractère extrêmement peu acceptable socialement d'une telle disposition.

Quant à l'article 9, il prévoit de supprimer purement et simplement un certain nombre d'exonérations partielles de DMTG en faveur notamment des bois et forêts, des terres situées dans des zones de protection de l'environnement ou des terres rurales données à bail, alors que ces exonérations sont aujourd'hui subordonnées à un certain nombre de conditions pour les bois et forêts et les aires protégées et à des conditions strictes de gestion durable. Supprimer ces exonérations reviendrait à envoyer un très mauvais signal à la ruralité et irait à l'encontre de la préservation de l'environnement. C'est pourquoi nous soutiendrons les amendements de suppression de cet article.

Le Gouvernement sera défavorable à l'article 10 qui, contrairement aux autres dispositions de la proposition de loi, prévoit non pas de supprimer, mais d'élargir une dépense fiscale applicable aujourd'hui à Mayotte, en l'appliquant à l'ensemble des départements d'outre-mer concernant les immeubles et droits immobiliers lors de la première transmission postérieure à la reconstitution des titres de propriété y afférant, sous réserve que ceux-ci aient été constatés par un acte régulièrement transcrit ou publié entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2025. Cette disposition nous paraît inopportune.

Concernant les articles qui seront examinés selon la procédure législative ordinaire, je m'arrêterai un instant sur l'article 8, qui prévoit une diminution considérable de l'exonération partielle en faveur de la transmission d'entreprise. Le pacte Dutreil est, à nos yeux, le principal dispositif permettant d'assurer la pérennité de nos entreprises en cas de transmission à titre gratuit. Nous avons eu cette discussion à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019. Nous ne souhaitons pas remettre en cause cet outil d'attractivité et de maintien du patrimoine des entreprises dans la famille, et en France.

Enfin, je veux appeler votre attention sur l'impact considérable des dispositions prévues à l'article 7, s'il était adopté : supprimer le régime favorable applicable aux primes versées sur les contrats d'assurance vie avant l'âge de soixante-dix ans conduirait à un renchérissement de la fiscalité des successions. Cela affecterait évidemment l'attractivité du secteur financier et de la Place de Paris, alors que nous parlons là de 1 700 milliards d'euros d'encours à la fin de l'année 2018.

Vous l'avez compris, nous considérons que l'objectif poursuivi et exposé par les auteurs de la proposition de loi dans sa présentation générale n'est pas atteint, la cible étant même ratée, sauf à ce que nous ayons un désaccord sur la définition des ménages moyens et modestes.

Permettez-moi une note de malice. Il est parfois expliqué que la suppression de la taxe d'habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés serait une mesure visant à privilégier les plus riches. Après avoir lu et pris connaissance des dispositions que vous proposez en matière de donations et successions, je ne doute pas que vous soutiendrez le Gouvernement pour ce qui concerne la suppression totale de la taxe d'habitation dans les prochains jours...

Au total, le Gouvernement est défavorable à l'intégralité des dispositions de la proposition de loi.

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