Intervention de Vincent Capo-Canellas

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 octobre 2019 à 8h40
Contrôle budgétaire — Suites données aux rapports sur la modernisation de la navigation aérienne et sur la compétitivité du transport aérien - communication

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas, rapporteur spécial :

Au début de l'année, la commission des finances m'a confié la réalisation d'un contrôle budgétaire sur les redevances aéroportuaires et leur régulation. J'ai appris depuis que la Cour des comptes travaillait sur le même sujet et il m'a semblé plus opportun d'attendre les résultats de son enquête. J'ai donc décidé de me pencher sur les suites qui ont été données à deux rapports que j'ai présentés à la commission et qui restent malheureusement d'actualité : le rapport « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe » publié en juin 2018 et celui sur « L'action de l'État en faveur de la compétitivité du transport aérien » examiné par la commission en octobre 2016 et qui se basait sur une enquête réalisée par la Cour des comptes dans le cadre de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Permettez-moi de vous rappeler deux faits d'actualité récente : la panne dont a été victime le système de transmission de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) dans la nuit du 31 août au 1er septembre, engendrant d'importants retards et abîmant encore un peu plus l'image de la France ; et la mise en liquidation judiciaire des compagnies Aigle Azur et XL Airways, avec la perte de 1 700 emplois - pour lesquels la mobilisation n'a pas été comparable à celle d'une fermeture d'usine sur un territoire ...

Mon rapport de juin 2018 sur le contrôle aérien avait mis en lumière de nombreux dysfonctionnements au sein de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA). Le nombre de vols contrôlés par la DSNA s'est accru de 3,8 % au premier semestre 2019 par rapport à la même période en 2018. Cette hausse du trafic se traduit par un déficit des capacités offertes aux compagnies aériennes qui entraîne de nombreux retards. La France était, à elle seule, responsable en 2017 de 33 % des retards dus au contrôle aérien en Europe, alors qu'elle ne gère que 20 % du trafic. Ces retards représentent une perte annuelle de 300 millions d'euros pour les compagnies aériennes, soit l'équivalent de près du quart des redevances qu'elles versent à la DSNA.

J'ajoute qu'un contrôle aérien peu performant conduit généralement à allonger les routes qu'empruntent les avions, provoquant des émissions de CO2 supplémentaires. Comme le nouveau président d'Airbus nous l'a confirmé, un contrôle aérien plus efficace au niveau européen permettrait de diminuer jusqu'à 10 % les émissions.

Or, les systèmes de la navigation aérienne qu'utilise la DSNA sont désormais obsolètes et leurs coûts de maintenance sont de plus en plus élevés - environ 135 millions d'euros par an.

Pour résoudre ces difficultés, qui contribuent à faire d'elle un « facteur bloquant », pour la mise en oeuvre du Ciel unique européen, comme l'a souligné l'organisme Eurocontrol, la DSNA doit renouveler ses systèmes de la navigation aérienne.

Six grands programmes sont actuellement en cours de développement pour un coût total estimé à plus de 2,1 milliards d'euros. La date de mise en service du programme 4-Flight, le principal d'entre eux, est sans cesse repoussée et son coût est passé en quelques années de 500 à 850 millions d'euros. Nous avons rencontré les dirigeants de Thalès et les services de la DSNA pour faire le point sur ce programme qui a donné lieu à une négociation difficile.

J'avais également insisté pour que la gestion opérationnelle des programmes de modernisation de la DSNA soit professionnalisée et que l'organisation de la direction de la technique et de l'innovation (DTI) qui les pilote soit revue en profondeur. Le directeur de la DTI, s'étant peut-être senti visé, a depuis démissionné, bien que je n'aie nullement mis en cause les personnes mais me sois seulement interrogé sur la structure.

À la suite de mon rapport, la ministre chargé des transports a commandé au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) un rapport d'inspection confidentiel qui a conforté mes recommandations.

Depuis, des changements sont intervenus. La DSNA a tout d'abord finalisé en novembre 2018 la signature d'un avenant avec Thalès sur le programme 4-Flight portant sur le complément de développement, le partage des surcoûts et les premières mises en service opérationnelles. Il a ensuite été décidé de renforcer la gouvernance de ce programme en mettant en place des revues générales techniques périodiques placées sous la supervision d'un Comité de surveillance externe constitué de deux membres du CGEDD, d'une ingénieure générale de l'armement de la direction générale de l'armement (DGA) et du directeur exécutif du programme SESAR (Single European Sky Air Traffic Management Research) en charge des innovations technologiques. Une fonction de délégué aux grands programmes a en outre été créée et placée directement auprès du directeur de la DSNA.

Enfin, un nouveau directeur a été nommé au mois de mars dernier à la tête de la DTI avec un profil différent - venu d'Orange et de la direction générale des finances publiques - et une vision renouvelée du secteur et des modes d'action. Il a été chargé de réorganiser la DTI pour améliorer la maîtrise des grands programmes en coûts et en délais, la rendre plus réactive et plus à l'écoute des besoins des contrôleurs aériens et pour développer une nouvelle culture visant à utiliser plus souvent des composants sur étagère et non plus à développer des produits trop spécifiques à l'origine de coûts de développement, d'évolution et de maintenance trop importants.

Au total, j'ai l'impression que notre commission a été entendue sur plusieurs points et qu'une prise de conscience est en train de s'opérer à la tête de la DSNA : sera-t-elle à la hauteur ? Il faudra que le Parlement reste très vigilant, car, à ce stade, rien ne garantit que les nouveaux systèmes seront livrés dans les temps et sans nouveaux surcoûts.

S'agissant de l'organisation du travail des contrôleurs aériens et de leurs effectifs, j'avais préconisé de pérenniser le rythme de travail de 7 vacations par cycle de 12 jours mis en place dans le cadre du protocole social 2016-2019 de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et qui a permis de gagner jusqu'à 15 % de productivité dans certains centres en route de la navigation aérienne. Les discussions autour du protocole social 2020-2024 de la DGAC qui vont débuter très prochainement constituent donc un enjeu très important.

J'avais émis l'idée d'augmenter de façon mesurée le nombre de recrutements d'élèves contrôleurs aériens. J'ai, semble-t-il, été entendu puisque 45 élèves contrôleurs supplémentaires par an devraient intégrer l'École nationale de l'aviation civile (ENAC) à compter de 2020. Comme il faut cinq ans pour les former, l'effet de cette mesure se fera véritablement sentir à compter de 2025. Je précise que le schéma d'emploi de la DGAC sera maintenu à 0 en 2020, ce qui impliquera donc de réduire les effectifs ailleurs.

Dernier point particulièrement sensible : la question de l'application de la loi Diard du 19 mars 2012 aux contrôleurs aériens pour limiter les effets de leurs grèves. Je vous rappelle que de 2004 à 2016, 67 % des jours de grève du contrôle aérien en Europe se sont produits en France, causant 96 % des retards enregistrés sur cette période. C'est un sujet difficile, qu'il faudra traiter dans le cadre du dialogue social.

S'agissant de mon rapport sur l'action de l'État en faveur de la compétitivité du transport aérien, sa thématique est particulièrement actuelle avec la faillite de deux compagnies aériennes importantes et les débats que nous aurons prochainement, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), sur l'opportunité de créer de nouvelles taxes sur le transport aérien.

Les causes de la liquidation judiciaire d'Aigle Azur et XL Airways sont complexes et multiples : c'est tout d'abord une concurrence exacerbée, notamment celle des low cost sur le moyen-courrier, mais également celle des compagnies du Golfe ou de Norwegian Airways sur le long courrier ; mais aussi une capitalisation trop faible, des structures actionnariales vulnérables, une taille critique insuffisante, un positionnement stratégique sur des marchés de niche, etc. Pour autant, nous devons également nous interroger sur le cadre fiscal et social qui est celui des compagnies aériennes françaises.

Le Parlement s'est penché à plusieurs reprises sur cette question, comme en témoignent le rapport de notre ancien collègue Bruno Le Roux remis en novembre 2014 ainsi que celui qu'avait présenté la Cour des comptes devant notre commission des finances en octobre 2016. Les compagnies aériennes doivent s'acquitter d'une taxation spécifique constituée de la taxe d'aéroport - 1 milliard d'euros en 2019 - qui finance la sûreté aéroportuaire ; de la taxe de l'aviation civile - 437 millions d'euros en 2019 - qui finance les activités régaliennes de la DGAC ; de la taxe de solidarité sur les billets d'avion - 218 millions d'euros en 2019 - affectée au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) à hauteur de 210 millions d'euros ; de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) - 49 millions d'euros en 2019 - affectée au financement des travaux de réduction des nuisances sonores.

Le Sénat a cherché ces dernières années à alléger le poids de cette fiscalité spécifique en votant plusieurs mesures telles que l'exonération à 100 % de la taxe de l'aviation civile pour les passagers en correspondance depuis le 1er janvier 2016, ce qui représentait une perte de recettes pour l'État de 63,5 millions d'euros ; l'affectation depuis le 1er janvier 2016 de l'intégralité du produit de la taxe de l'aviation civile au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) en contrepartie d'une diminution de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA) à Paris-Charles de Gaulle et à Paris-Orly, ce qui représentait un gain de 14 millions d'euros pour les compagnies françaises ; et l'affectation des excédents de la taxe de solidarité au BACEA à compter du 1er janvier 2017.

Les Assises nationales du transport aérien annoncées par le Gouvernement constituent un mystère pour moi : elles ont accouché d'une souris et rien n'a changé.

Les hypothèses auxquelles nous avions abouti mentionnaient notamment une baisse significative des taux de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, mesure que notre rapporteur général porte au Sénat depuis plusieurs années déjà ; un retrait des taxes aéronautiques de l'assiette taxable à la TVA sur les billets d'avion infra-métropolitains ; une augmentation de l'abattement dont bénéficie le trafic en correspondance sur la taxe d'aéroport ; et des modifications de l'assiette de cette même taxe d'aéroport.

Des réflexions avaient également été menées sur la question des charges sociales, qui représentent une part importante du différentiel avec les compagnies étrangères. Nous avions notamment évoqué une éventuelle mise en place d'un dispositif de shipping pour les vols internationaux sur le modèle du transport maritime.

Lors de la clôture des Assises nationales du transport aérien, seules quelques mesures en deçà des attentes ont été annoncées. Il s'agissait en particulier de la prise en charge par Aéroports de Paris de 6 % de ses dépenses de sûreté, allégeant d'autant la charge de la taxe d'aéroport pesant sur les compagnies qui utilisent ses plateformes, mais également du relèvement à 65 % du plafond de l'abattement de la taxe d'aéroport pour le trafic en correspondance.

Alors même que les assises, bien que décevantes, avaient permis de dégager un consensus très net en faveur d'un allégement, ou à tout le moins d'une modération de la charge fiscale et sociale pesant sur les compagnies aériennes, le contexte de ces derniers mois est venu tout remettre en cause.

Le transport aérien a été en particulier l'objet d'attaques très vives sur le plan environnemental, alors qu'il représente entre 2 et 3 % des émissions de CO2 au niveau mondial. La transition écologique est un vrai sujet. Le pavillon français doit y trouver sa place. Nous ne pouvons pas tous prendre le bateau pour aller à New York, comme Greta Thunberg, dans le sillage du mouvement suédois de flyskam (honte de prendre l'avion). Il a également été pris à partie sur le plan social et stigmatisé comme le mode de transport des riches lors de la crise des « gilets jaunes », qui a conduit à la remise en cause de la taxe carbone à l'automne 2018. Le low cost a pourtant permis de faire baisser le prix des billets.

Dans les deux cas, le transport aérien s'est vu reprocher les exonérations de taxe intérieure à la consommation sur le kérosène prévues au niveau international par la convention de Chicago de 1944.

Sous forte pression, mais surtout désireux de boucler le financement du plan d'investissement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) annoncé dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), le Gouvernement a fait volte-face et a annoncé le 9 juillet dernier la création d'une nouvelle « écocontribution » sur le transport aérien.

Dans les faits, cette nouvelle taxe prévue à l'article 20 du projet de loi de finances pour 2020 s'est transformée en une simple augmentation des tarifs de la taxe de solidarité sur les billets d'avion qui représentera 1,50 euro par passager à destination de la France ou de l'Europe et 3 euros pour le reste du monde (9 euros et 18 euros en classe affaires). Cette hausse de la taxe, censée rapporter 230 millions d'euros à l'Afitf dans une pure logique de rendement, lui permettra de financer des modes de transports peu émetteurs de CO2 tels que le ferroviaire ou le fluvial, mais également la régénération des routes nationales, objectif éminemment louable en termes d'aménagement du territoire, mais plus contestable sur le plan environnemental.

Si je ne veux nullement préempter les débats que nous aurons lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances, je ne peux que constater que cette taxe, dépourvue de tout réel caractère incitatif, vient une nouvelle fois pénaliser le pavillon français alors même que nous voyons bien que nos compagnies sont mortelles.

Pour favoriser la nécessaire transition énergétique du transport aérien, il serait plus pertinent de soutenir la recherche aéronautique en faveur de moteurs plus économes en énergie et utilisant des biocarburants, ou, à plus long terme, de l'hydrogène.

Les compagnies aériennes sont soumises au système mondial de compensation des émissions de CO2 de l'aviation (Corsia) mis en oeuvre par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui vient s'ajouter à l'Emissions Trading System (ETS) européen. Le dispositif Corsia a pour ambition de maintenir dans les années à venir les émissions nettes de CO2 du transport aérien mondial au même niveau qu'en 2020, en dépit de la forte croissance du trafic, grâce à un système de compensations, et de parvenir à une réduction de moitié des émissions d'ici 2050.

Les compagnies aériennes ont besoin d'argent pour investir et renouveler leurs flottes afin de se procurer des avions plus récents et moins polluants. Alors que l'âge moyen des avions que possèdent les compagnies françaises est de quinze ans, ce n'est sûrement pas en les taxant sans cesse davantage qu'elles pourront acheter de nouveaux aéronefs moins émetteurs de CO2. Les nouveaux appareils consomment entre 15 et 25 % de kérosène de moins que ceux de la génération précédente. C'est une voie d'avenir.

Enfin, le transport aérien étant par définition l'un des secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, toute mise en place de nouveaux prélèvements doit avant tout être recherchée dans un cadre international, ou à tout le moins européen, de sorte que les compagnies françaises ne se voient pas lestées de nouveaux handicaps dans une compétition déjà très rude. Si une taxation du kérosène devait être mise en place au niveau européen, il faudrait veiller à supprimer une partie des taxes prévues au niveau national, et en particulier la nouvelle « écocontribution », sur le modèle de la taxation nationale des GAFA destinée à être remplacée par un cadre fiscal multilatéral.

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