Les liens entre la Fondation du patrimoine et le Sénat ont toujours été étroits. Souvenons-nous que la Fondation a été créée en 1996 sur la base d'une idée de notre ancien collègue, Jean-Paul Hugot, sénateur-maire de Saumur. C'est ensuite une initiative de notre ancien collègue Yann Gaillard qui a permis d'attribuer une fraction du produit des successions en déshérence au financement d'actions de sauvegarde du patrimoine et, particulièrement, du patrimoine public non protégé au titre des monuments historiques.
Nous ne sommes donc pas surpris que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui vise à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine, émane une nouvelle fois de la Haute Assemblée.
Elle s'inscrit dans le cadre d'un nouvel élan en faveur du patrimoine, que nous avons bien ressenti au sein de notre commission ces dernières années. Nous avons pu observer que les Français apparaissent de plus en plus soucieux de la protection de leur patrimoine, comme l'a montré le succès du tirage spécial du loto mis en place pour la première fois en 2018. Nous avons également constaté à quel point la restauration du patrimoine devenait un enjeu de politique publique, compte tenu du rôle clé que celui-ci peut jouer pour l'attractivité des territoires, le développement économique, l'identité et la cohésion sociale.
Or, la Fondation du patrimoine est devenue, depuis sa création il y a 23 ans, un acteur incontournable de la protection du patrimoine dans notre pays, aux côtés de l'État, des collectivités territoriales et des associations qui oeuvrent également sur le terrain. Fondation de droit privé reconnue d'utilité publique en 1997, elle est chargée de mobiliser le secteur privé pour compléter l'action de l'État en matière de protection du patrimoine, centrée principalement, faute de moyens, sur les monuments historiques.
Or la Fondation est à la croisée des chemins. Depuis sa création, ses missions se sont élargies, grâce à l'essor du mécénat à la suite de la loi du 1er août 2003. Une part centrale de son activité repose sur l'organisation de souscriptions populaires en faveur de projets de restauration du patrimoine portés par les communes et des associations. Elle conclut de multiples partenariats avec des entreprises aux niveaux national et local pour faciliter la mobilisation des fonds privés en faveur de la sauvegarde du patrimoine. Elle s'est également vue confier l'an passé la gestion des recettes perçues sur le loto du patrimoine, qui doivent financer la restauration des sites en péril identifiés comme prioritaires dans le cadre de la mission de Stéphane Bern.
L'élargissement de ses missions n'est pas une mauvaise chose, tant les attentes en matière de protection du patrimoine sont multiples. Mais il nourrit la crainte que la Fondation ne finisse par trop s'éloigner de ce qui constitue son coeur de métier : la protection du patrimoine non protégé. Nous avons tous à l'esprit des images de ce patrimoine, dit « de proximité », qui, sans justifier une protection au titre des monuments historiques, présente un intérêt artistique, historique ou ethnologique suffisant pour donner à nos territoires son cachet et rendre souhaitable sa conservation. C'est pour garantir la protection de ce patrimoine, dont l'État ne peut pas se charger, et qui est souvent entre les mains de propriétaires privés, que le législateur a autorisé la Fondation à délivrer un label permettant de mieux l'identifier et d'inciter les propriétaires à le restaurer grâce à la déduction fiscale qui lui est associée, et qui s'applique pour les travaux réalisés sur lui.
Dans le même temps, la Fondation n'a jamais fait usage de certaines prérogatives que lui avait confiées la loi, telle la possibilité d'acquérir des biens menacés de destruction, de dégradation, ou de dispersion, pour en assurer le sauvetage à titre temporaire. Les raisons pour lesquelles la Fondation ne s'est pas lancée sur cette voie ne sont pas claires : une question d'ADN, m'a-t-il été répondu ; une question de moyens aussi, sans doute.
La Fondation du patrimoine n'a clairement pas les moyens du National Trust britannique qui lui servait de modèle ; les recettes provenant du dispositif d'adhésion restent limitées ; celles provenant du produit des successions en déshérence se réduisent chaque année ; la reconduction du Loto du patrimoine au-delà de 2020 n'est pas assurée.
D'où les objectifs de cette PPL : d'une part, redonner de la pertinence au label « Fondation du patrimoine » ; d'autre part, redonner du souffle à la Fondation.
La réforme du label fait l'objet des articles 1er et 2.
La délivrance du label est aujourd'hui conditionnée au respect d'un certain nombre de critères fixés par une instruction fiscale ; ils portent tant sur la nature du patrimoine éligible que sur les zones géographiques dans lesquelles celui-ci peut être labellisé. L'instruction fiscale en a notamment restreint l'octroi en l'orientant vers la sauvegarde du patrimoine rural.
Lors des deux contrôles de la Fondation du patrimoine que la Cour des comptes a effectués, pour son rapport public annuel en 2013 et pour son rapport sur le soutien au mécénat des entreprises en 2018, la Cour a préconisé une adaptation du dispositif du label afin de permettre à la Fondation de mieux soutenir le patrimoine non protégé dans son ensemble. Après avoir souligné, en 2013, la nécessité de « mieux prendre en compte le patrimoine non protégé urbain et industriel » dans le cadre du label, elle a recommandé, dans son rapport de 2018, d'en modifier le périmètre d'application et de « rechercher une meilleure répartition territoriale des labels » pour assurer davantage d'équité.
Sur la base de ces observations, la proposition de loi opère deux modifications relatives au label.
À l'article 1er, elle délimite un nouveau périmètre géographique en autorisant la labellisation dans les communes de moins de 20 000 habitants, dans les sites patrimoniaux remarquables et dans les sites protégés au titre de l'environnement.
Il ne vous a pas échappé que cette délimitation a beau assouplir les règles fixées par l'instruction fiscale, elle n'en reste pas moins plus restrictive que les dispositions législatives en vigueur, qui font référence à un label en faveur du patrimoine non protégé, sans aucune condition de délivrance.
J'estime néanmoins qu'il ne serait pas raisonnable de supprimer l'ensemble des conditions fixées par l'instruction fiscale pour en revenir à la lettre de la loi. Il en résulterait une augmentation massive du coût de la dépense fiscale qui serait préjudiciable aux finances publiques ; cela pourrait fragiliser, à terme, le maintien de l'avantage fiscal, ce qui n'est pas souhaitable. Cet avantage constitue sans doute le facteur déterminant pour le dépôt, par les propriétaires, d'une demande de label.
Dès lors, que penser du seuil des communes de moins de 20 000 habitants retenu par la proposition de loi ?
Retenir un tel seuil présenterait l'avantage de couvrir l'ensemble du territoire à dominante rurale, y compris les petites villes exerçant sur les zones rurales une forte influence. Il permettrait également au label de devenir un instrument au service de la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Il pourrait ainsi concerner plusieurs villes sélectionnées dans le cadre du plan Action coeur de ville. Il pourrait également être mobilisé dans le cadre du programme d'appui aux petites centralités que le ministère de la cohésion des territoires devrait lancer dans les prochains mois.
Le coût de la dépense fiscale ne serait pas négligeable, tout en restant modéré. Dans l'hypothèse où la Fondation doublerait, d'ici à 2023, le nombre de labels qu'elle octroie chaque année, le surcoût pour les finances publiques serait de l'ordre de 5,5 millions d'euros. Cette dépense fiscale pourrait par ailleurs être compensée par les recettes de TVA perçues sur les travaux de restauration entrepris à la suite de la délivrance du label.
La Fondation du patrimoine m'a indiqué être en mesure de doubler le nombre de labels qu'elle délivre chaque année. C'était une garantie qui me paraissait nécessaire pour éviter que la protection du petit patrimoine rural ne se retrouve marginalisée par l'extension du périmètre d'application. La Fondation nous a assuré que l'augmentation de la délivrance de labels n'aurait pas d'impact sur son activité en matière de souscription. Elle a insisté sur le fait qu'elle pourrait piloter la délivrance des labels, de manière à assurer une meilleure répartition géographique des labels octroyés et à garantir que la protection du petit patrimoine rural reste assurée.
Je vous proposerai néanmoins d'adopter plusieurs amendements visant à préciser la rédaction de l'article 1er, à renforcer la qualité du label et surtout à garantir que le patrimoine rural ne soit pas la victime collatérale de l'extension du périmètre géographique.
J'en viens maintenant à l'article 2, qui prévoit expressément que les parcs et jardins et le patrimoine industriel seront bénéficiaires du label. Concernant les parcs et jardins, j'y suis d'autant plus favorable que cette précision correspond à l'intention du législateur au moment de la création de la Fondation, en 1996 : ceux-ci, ainsi que les sites naturels, avaient été cités dans les débats comme des bénéficiaires potentiels du label !
En revanche, l'introduction dans la loi d'une référence spécifique au patrimoine industriel me paraît présenter un danger réel d'exclure a contrario d'autres formes de patrimoines qui ont vocation à être protégés par le label, comme le patrimoine de la reconstruction ou le patrimoine du vingtième siècle, par exemple.
Les autres articles de la proposition de loi tendent à redonner du souffle à la Fondation du patrimoine.
L'article 3 réforme la composition de son conseil d'administration et en réduit l'effectif, afin de faciliter l'organisation des débats et la prise de décision. La composition qu'elle prévoit reste très dérogatoire à celle des fondations reconnues d'utilité publique, avec une majorité de sièges octroyés aux représentants des entreprises privées - les fondateurs, auxquels s'ajoutent les mécènes - et des personnalités qualifiées toujours nommées par des ministères. Je vous proposerai, là aussi, une série d'amendements destinés à rapprocher, dans la mesure du possible, la composition du conseil d'administration de la Fondation du patrimoine de celle des fondations reconnues d'utilité publique et à améliorer la représentation des partenaires les plus essentiels de la Fondation en son sein.
Les articles 4 et 5 visent à améliorer les capacités financières de la Fondation.
L'article 4 l'autorise à bénéficier de dotations en actions ou parts sociales d'entreprises pour diversifier ses ressources financières.
L'article 5 lui permet de réaffecter près de 10 millions d'euros qu'elle a collectés à l'occasion de souscriptions de mécénat populaire pour des projets aujourd'hui achevés ou devenus caducs et qui se trouvent aujourd'hui immobilisés dans ses caisses, faute de dispositions précises fixant les conditions dans lesquelles elle peut procéder à une réaffectation.
Cet article soulève néanmoins un certain nombre de problèmes juridiques dans la mesure où il remet en cause les termes de contrats passés entre la Fondation du patrimoine et des maîtres d'ouvrage. Il me paraît important qu'une solution soit trouvée, car la situation actuelle, dans laquelle des dons qui ont bénéficié d'une défiscalisation sont immobilisés plutôt que de servir l'intérêt général, est inacceptable.
J'ai été guidé dans mon travail par deux objectifs.
Le premier est de conforter la mission de la Fondation en matière de protection du patrimoine de proximité. J'estime en effet que c'est dans ce domaine que l'action de la Fondation est la plus décisive et la plus attendue. Avec la disparition de la réserve parlementaire, en 2017, les communes, en particulier rurales, et les associations ont perdu un outil qui contribuait chaque année à la restauration du petit patrimoine. J'estime important que la Fondation ne se détourne pas de sa mission première, qui demeure la protection du patrimoine de proximité.
Le second objectif est d'aligner davantage la Fondation du patrimoine sur les statuts-types des fondations reconnues d'utilité publique, lorsque sa mission ne justifie pas de dérogations particulières.