Intervention de Franck Riester

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 octobre 2019 à 10h45
Proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la fondation du patrimoine — Procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Franck Riester, ministre de la culture :

Le patrimoine, qui est au coeur de la mission de votre commission, revêt depuis quelque temps une importance toute particulière pour nos compatriotes. C'est une part de notre histoire, de notre mémoire et de notre identité, présente sur tous nos territoires. C'est un levier de revitalisation et de cohésion. C'est aussi un moteur de développement économique, d'attractivité touristique, de croissance et d'emploi. Il nous revient donc de le valoriser et de le protéger pour le transmettre aux générations futures. C'est ce que contribue à faire le ministère de la culture depuis plus de 60 ans. L'an prochain, il consacrera un milliard d'euros au patrimoine : monuments historiques, musées, archéologie, archives et architecture.

Dans cette action, le ministère de la culture n'est pas seul. Il a su, au fil des années, se doter d'outils et de partenaires essentiels, parmi lesquels, bien sûr, les collectivités territoriales, mais aussi les fondations. La Fondation du patrimoine est un partenaire très important de mon ministère. Voilà 25 ans que M. Jean-Paul Hugot remettait au ministre de la culture, M. Jacques Toubon, un rapport sur les conditions de création d'une fondation du patrimoine français. Ce rapport préconisait la création d'une structure de mobilisation des entreprises et du grand public en faveur du petit patrimoine non protégé, inspirée du modèle du National Trust britannique. Deux ans plus tard, cette structure devenait réalité : la loi du 2 juillet 1996 créait la Fondation du patrimoine, qui serait reconnue d'utilité publique quelques mois plus tard. J'ai une pensée pour le Président de la République, Jacques Chirac, et pour son ministre de la culture de l'époque, M. Philippe Douste-Blazy, qui ont permis cette création.

La Fondation est très mobilisée depuis sa création, sous les présidences successives de MM. Édouard de Royère, Charles de Croisset et Guillaume Poitrinal, que je remercie pour leur engagement. Elle a su développer son action en engageant des campagnes de souscriptions publiques et des campagnes de financement participatif, en mobilisant le mécénat d'entreprise ou en délivrant son propre label. Dès sa création, l'État lui a en effet confié la mission de délivrer un label en faveur du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques. Ce label donne droit à un régime de déductions fiscales au titre de l'impôt sur le revenu. La Fondation a aussi contribué à l'initiative du loto du patrimoine, dont le succès ne se dément pas, et dont elle continue à assurer le pilotage, en lien avec Stéphane Bern et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC).

La Fondation du patrimoine se charge de la présélection des projets, en liaison avec le ministère et Stéphane Bern ; c'est elle qui assure la gestion du fonds « Patrimoine en péril », abondé par les recettes issues de ce loto. Elle a participé, dès le 16 avril dernier, à la mobilisation en faveur de Notre-Dame ; elle est l'une des trois fondations reconnues d'utilité publique qui aident l'État à opérer la souscription nationale. Son intervention a été décisive ; je souhaite ici l'en remercier. Forte de l'expérience qu'elle a acquise et de son modèle original, la Fondation du patrimoine est devenue un acteur essentiel de la protection du patrimoine.

Dans un rapport de novembre dernier, la Cour des comptes en a pris acte et a formulé une série de recommandations : renforcer l'activité de la Fondation dans les régions où elle demeure faible ; faire attester par un ABF ou, à défaut, par un délégué de la Fondation, la conformité des travaux aux projets ; instaurer une plus grande sélectivité des dossiers, dans un contexte de baisse des ressources, en veillant à maintenir un taux significatif de cofinancement de la Fondation ; améliorer la présentation du compte d'emploi des ressources afin de le rendre plus intelligible pour les donateurs. Plus globalement, la Cour recommandait de réexaminer le dispositif de labels pour le rendre plus efficient. Dans le même rapport, elle estimait que simplifier la composition du conseil administration de la Fondation irait également dans le sens d'une plus grande efficacité.

La proposition de loi qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit dans la lignée de ces recommandations. Je remercie Mme Vérien, membre du conseil d'administration de la Fondation du patrimoine, de l'avoir déposée. Je salue également le sénateur Alain Schmitz, délégué régional de la Fondation pour l'Île-de-France.

Le code du patrimoine dispose que la Fondation peut attribuer un label au patrimoine non protégé et aux sites. Les conditions de son octroi sont aujourd'hui uniquement définies par le bulletin officiel des finances publiques. Le label peut être délivré pour trois types d'immeubles : ceux qui constituent le patrimoine de proximité, en zone urbaine ou rurale - pigeonniers, lavoirs, fours à pain, chapelles ou moulins -, ceux qui sont les plus caractéristiques du patrimoine rural, situés dans des communes de moins de 2 000 habitants - fermes, granges, maisons de village, petits manoirs ruraux - et ceux qui sont situés dans un site patrimonial remarquable. Les jardins sont exclus du bénéfice du label.

La proposition de loi change ces critères. Son article 1er modifie le code du patrimoine pour expliciter le champ d'application du label, qui pourrait être délivré pour les immeubles situés dans les sites patrimoniaux remarquables, les immeubles situés dans les sites protégés par le code de l'environnement, et les immeubles situés dans les zones rurales - bourgs et petites villes de moins de 20 000 habitants. Cette mesure est aussi attendue dans le cadre des programmes de revitalisation des territoires. Elle sera en parfaite cohérence avec le programme Petites villes de demain que le Gouvernement est en train de mettre en place et qui cible les villes de moins de 20 000 habitants.

L'article 2 étend le bénéfice du label aux jardins, aux parcs et au patrimoine industriel, c'est-à-dire à tous les immeubles bâtis ou non bâtis situés en zone rurale et non protégés au titre des monuments historiques.

Ces deux articles aboutissent à une extension importante du champ d'application du label. C'est donc une part plus large de notre patrimoine qui sera valorisée et protégée. C'est bienvenu, d'autant que cela ne créerait qu'une dépense fiscale raisonnable au regard de l'impact de cette mesure pour les territoires et l'économie. En effet, la Fondation délivre entre 1 000 et 1 200 labels chaque année ; la Cour des comptes estime que le montant des travaux réalisés par les particuliers représente 60 millions d'euros, pour une dépense fiscale de 6,4 millions d'euros par an. L'élargissement du périmètre d'intervention de la Fondation devrait doubler à peu près le volume des interventions de la Fondation, et donc le montant de la dépense fiscale qui lui est associée.

Afin d'accompagner ces évolutions, le Gouvernement a déposé à l'article 1er un amendement visant à clarifier, par décret, les critères et les modalités d'octroi du label, notamment pour fixer le taux de cofinancement de la Fondation du patrimoine.

Cette proposition de loi modernise la gouvernance de la Fondation. L'objectif de son article 3 est de modifier la composition de son conseil d'administration pour le resserrer. Il semble en effet très souhaitable de la rapprocher du droit commun des fondations reconnues d'utilité publique. La modification envisagée s'inscrit dans une modification plus globale des statuts, qui relèvent à la fois de dispositions législatives et réglementaires. Le nombre de membres du conseil d'administration serait réduit, passant de 25 à 16.

Le Gouvernement propose d'aller plus loin, par un amendement simplifiant les différentes catégories de membres. Nous retiendrions trois catégories : les représentants des fondateurs, mécènes et donateurs, qui détiendraient la majorité des sièges au sein du conseil administration, conformément à l'esprit du projet de la Fondation ; des personnalités qualifiées pouvant venir de différents horizons ; et des représentants des collectivités territoriales. Comme cela est d'usage, le nombre de sièges pour chacune de ces catégories a vocation à être défini par décret. L'État renoncerait à son pouvoir de nomination des personnalités qualifiées, qui seraient désormais cooptées par les autres membres du conseil, à l'instar de ce qui se passe dans d'autres fondations reconnues d'intérêt public. Le président de la Fondation aura vocation à être désigné parmi elles. Le Gouvernement est également favorable à la proposition de M. Jean-Pierre Leleux visant à supprimer les sièges réservés à des parlementaires au sein du conseil, conformément à la réflexion menée depuis 2015 par le Sénat sur les organismes extérieurs au Parlement.

Le Gouvernement souscrit aussi à l'amendement de M. Jean-Pierre Leleux à l'article 4, car la possibilité pour les fondations reconnues d'utilité publique de détenir de telles valeurs mobilières est prévue par la loi de 1987 sur le développement du mécénat, qui a été modifiée par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte.

L'article 5 concerne la possibilité pour la Fondation de réaffecter des dons devenus sans objet parce que les projets seraient devenus caducs ou auraient déjà été intégralement financés. La rédaction actuelle de cet article pose question. En l'état, elle présente des fragilités au regard du respect de l'intention du donateur, et comporte de ce fait un risque fort d'inconstitutionnalité. Elle permettrait en effet à la Fondation de modifier unilatéralement l'affectation des dons à certains projets sans disposer nécessairement du consentement explicite du donateur ni de celui des maîtres d'ouvrages concernés. Il importe notamment que le consentement des donateurs soit donné explicitement, soit au moment du don, soit au moment de sa réaffectation, comme l'ont bien montré nos échanges autour de la loi pour la conservation et la restauration de Notre-Dame de Paris. Le Gouvernement propose donc la suppression de cet article, mais je m'engage à ce que nous poursuivions les échanges à ce sujet pour trouver une solution au problème.

Enfin, l'article 6 concerne la suppression de dispositions propres à la Fondation qui n'ont jamais été mises en oeuvre. Il s'agit de l'insaisissabilité des biens acquis par la Fondation pour les sauvegarder et de la procédure d'expropriation au bénéfice de la Fondation. Le Gouvernement est favorable à ces suppressions.

La Fondation du patrimoine a vocation à compléter l'action du ministère de la culture avec ambition et efficacité. Le ministère est en train de se transformer. Il est bon que le Sénat propose d'adapter également l'organisation de la Fondation du patrimoine. Sous les réserves que j'ai mentionnées, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi. J'ai même négocié avec le ministère du budget pour qu'un accompagnement fiscal et financier soit mis en place afin de pallier l'accroissement de cette dépense fiscale. Il ne faudrait pas qu'en ouvrant davantage le nombre de labels, les petites communes soient pénalisées.

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