En effet, et c'est à la demande de la commission des lois qu'elle est inscrite à l'ordre du jour du Sénat mercredi prochain.
Malgré ce que laisse entendre son intitulé, cette proposition de loi ne traite ni de l'intégralité du marché de l'art, ni seulement du marché de l'art, mais des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques - qui, en dehors des objets d'art et de collection au sens large, concernent aussi, notamment, les véhicules d'occasion, le matériel industriel et les chevaux.
Jusqu'aux années 2000, suivant une tradition remontant au XVIe siècle, les ventes aux enchères publiques de meubles corporels ont été réservées, en France, à des officiers ministériels, les commissaires-priseurs. Plus précisément, ces derniers étaient seuls à pouvoir proposer un meuble corporel aux enchères publiques, constater les enchères et adjuger le bien au mieux-disant des enchérisseurs, au nom et pour le compte du propriétaire ou de son représentant.
La vente aux enchères publiques des autres biens était, elle aussi, réservée par la jurisprudence à des officiers publics ou ministériels, à savoir, pour les immeubles, les notaires et pour les meubles incorporels, les notaires, les huissiers ou les commissaires-priseurs, en fonction de la nature de ces biens.
Le régime français des ventes aux enchères constituait, à la fin du XXe siècle, une singularité dans le paysage européen. Au Royaume-Uni, par exemple, l'activité de ventes volontaires était exercée librement par des sociétés commerciales. Cet état du droit français a été bouleversé par l'irruption du droit communautaire. À la suite d'une réclamation de la société Sotheby's et d'une mise en demeure de la Commission européenne, la France a dû mettre sa législation en conformité avec le principe de libre prestation de services garanti par le traité de Rome. Ce fut chose faite avec la loi du 10 juillet 2000, qui a partiellement libéralisé ce secteur d'activité. Cette loi du 10 juillet 2000 a établi, pour la première fois, une distinction entre les ventes volontaires aux enchères et les ventes judiciaires, qui comprennent d'une part, les ventes forcées, c'est-à-dire les saisies-ventes, les ventes sur réalisation de gage, les ventes après liquidation judiciaire, et d'autre part, les ventes que l'on peut qualifier de surveillées, c'est-à-dire celles qui, poursuivies par la volonté du propriétaire du bien ou de son représentant, doivent néanmoins être ordonnées ou autorisées par une juridiction, afin que soient préservés l'ensemble des intérêts en cause. Il s'agit notamment des ventes d'immeubles et de fonds de commerce appartenant à des personnes sous tutelle ou de la licitation en vue du partage du produit de la vente d'un bien.
Les offices de commissaires-priseurs ont été supprimés. En leur lieu et place, la loi du 10 juillet 2000 a institué, d'une part, une activité réglementée de ventes volontaires, obligatoirement réalisées, soit par des sociétés de forme commerciale soumises à un régime d'agrément, soit, à titre accessoire, par les notaires et huissiers de justice, et d'autre part, des offices ministériels de commissaires-priseurs judiciaires, conservant le monopole des ventes judiciaires.
Les ventes volontaires furent soumises au contrôle d'une autorité de régulation dénommée Conseil des ventes volontaires.
Les sociétés de ventes volontaires furent également autorisées à recourir à certaines pratiques auparavant prohibées, comme le prix de réserve, la garantie de prix, les avances sur le prix d'adjudication, ou encore les ventes after sale.
L'adoption de la directive Services du 12 décembre 2006 rendit inévitable une nouvelle évolution de la législation française. Cette directive, en effet, interdisait aux États membres de subordonner l'accès à une activité de service ou son exercice à un régime d'autorisation, sauf raison impérieuse d'intérêt général. Elle leur imposait également d'examiner si les exigences de leur système juridique, notamment celles imposant aux prestataires d'être constitués sous une forme juridique particulière, satisfaisaient aux conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité. C'est ainsi que fut adoptée, à l'initiative du Sénat, la loi du 20 juillet 2011 qui détermine encore, en grande partie, le droit applicable. Cette loi a substitué au régime d'agrément un simple régime de déclaration préalable des opérateurs. Elle a, par ailleurs, poursuivi l'assouplissement de la réglementation applicable aux ventes aux enchères et aux activités accessoires des opérateurs.
Ces réformes n'ont, malheureusement, pas donné entière satisfaction. Dictées par la nécessité de mettre la loi française en conformité avec le droit européen, elles avaient également eu pour ambition de rendre son lustre d'antan au marché français. Dans les années 1950, en effet, la France se situait au premier rang mondial pour les ventes aux enchères de meubles. Elle n'est plus qu'au quatrième rang, loin derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et, désormais, la Chine. Sur ce terrain, la libéralisation n'a pas eu les effets escomptés : même si le volume total des ventes aux enchères réalisées en France a progressé, cela n'a pas suffi à rattraper notre retard par rapport aux champions mondiaux. Dans le seul secteur des objets d'art et de collection, on estime que la part de marché de la France stagne autour de 6 % du marché mondial.
En outre, pour beaucoup d'anciens commissaires-priseurs, la perte de leur monopole d'officiers ministériels sur l'activité de ventes volontaires et la soumission de cette activité au contrôle d'un organe de régulation extérieur à la profession ont été difficiles à accepter.
Le Conseil des ventes volontaires est composé de onze membres nommés par le Gouvernement qui, pour la majorité d'entre eux, n'appartiennent pas à la profession, à savoir un membre du Conseil d'État, deux conseillers de la Cour de cassation, un membre de la Cour des comptes, trois professionnels en exercice ou retraités, trois personnalités qualifiées et un expert. Le président du Conseil des ventes volontaires est nommé par le garde des sceaux parmi les magistrats. En outre, un magistrat de l'ordre judiciaire, nommé par le garde des sceaux, exerce les fonctions de commissaire du Gouvernement auprès du Conseil. Il est principalement chargé d'instruire les affaires disciplinaires portées devant le Conseil et d'engager les poursuites.
Les missions du Conseil des ventes volontaires sont celles d'une autorité de régulation. Il enregistre les déclarations des opérateurs ; assure l'organisation de la formation professionnelle ; élabore un recueil des obligations déontologiques des opérateurs, soumis à l'approbation du garde des sceaux ; vérifie le respect par les opérateurs de leurs obligations au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ; sanctionne les manquements aux lois, règlements et obligations professionnelles applicables aux opérateurs ; observe l'économie des enchères, depuis 2011.
Le Conseil est financé par une cotisation obligatoire sur les honoraires perçus par les opérateurs à l'occasion des ventes volontaires qu'ils organisent sur le territoire national.
Certains opérateurs reprochent au Conseil des ventes volontaires d'exercer un contrôle inutilement tatillon sur leur activité, sans réussir à prévenir les scandales qui défraient occasionnellement la chronique. Quoi qu'il en soit, les professionnels peuvent légitimement s'interroger sur les raisons qui ont conduit le législateur à soumettre leur activité au contrôle d'une autorité ad hoc. Ce n'est pas le cas pour des activités connexes comme les ventes de meubles de gré à gré, par exemple celles que réalisent les galeristes et autres marchands d'art. Certes, le procédé des enchères présente des risques spécifiques de fraude. Mais les risques de blanchiment, de recel d'objets volés ou, plus simplement, de tromperie sur la chose vendue ne sont pas moindres lors de ventes de gré à gré. Plus généralement, la plupart des activités commerciales s'exercent librement sans être soumises, ni à des conditions d'accès à la profession, ni à des règles déontologiques spécifiques, ni au contrôle d'autorités spécialisées, mais seulement aux lois et règlements et au contrôle des administrations ministérielles et des juridictions compétentes.
Plusieurs rapports importants ont été rendus, au cours des dernières années, sur la régulation des ventes aux enchères de meubles et tout particulièrement d'oeuvres d'art : un de Mmes Catherine Chadelat et Martine Valdes-Boulouque au garde des sceaux en 2014, un du député Stéphane Travert sur le marché de l'art en 2016 et, enfin, un de Mme Henriette Chaubon et Me Édouard de Lamaze sur l'avenir de la profession d'opérateur de ventes volontaires, remis à la garde des sceaux en décembre 2018. Ces réflexions sont, jusqu'à présent, restées lettre morte.
Grâce à l'initiative de nos collègues, ce sujet arrive enfin à l'ordre du jour du Parlement. La proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l'art, constituée d'un article unique, tend à instituer, en lieu et place du Conseil des ventes volontaires, un Conseil des maisons de vente, dont les missions et prérogatives, l'organisation interne et la composition seraient sensiblement modifiées. Ce Conseil, qui resterait un établissement de droit privé chargé d'une mission de service public, se verrait doté d'attributions nouvelles, outre celles qui incombent aujourd'hui au Conseil des ventes volontaires. Il serait chargé « de représenter auprès des pouvoirs publics les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques », ce qui l'apparenterait sur ce point à une instance ordinale ou à une organisation professionnelle. Il aurait pour tâche d'informer les professionnels et le public sur la réglementation applicable. Il aurait pour mission « de soutenir et de promouvoir l'activité des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ». Corrélativement, une partie du produit des cotisations acquittées par les opérateurs de ventes volontaires pourrait être affectée au financement d'actions de soutien à cette activité sur le territoire. Enfin, le Conseil serait désormais seul chargé d'organiser la formation aux ventes volontaires et il serait en outre compétent pour en « définir les principes ».
L'organisation du Conseil serait également modifiée, puisqu'il se composerait de trois organes : un collège, une commission des différends et des sanctions et une commission d'instruction. La composition du collège différerait profondément de celle du Conseil des ventes volontaires. Les représentants de la profession y deviendraient majoritaires et ils seraient désormais élus par leurs pairs, selon des modalités propres à « assurer la représentation de la diversité des opérateurs (...) en termes de taille de structures et d'implantation géographique ». Le pouvoir de nomination du président du Conseil appartiendrait toujours au garde des sceaux, mais il s'exercerait désormais « sur proposition des membres du Conseil ».
L'exercice, par le Conseil, de ses missions disciplinaires serait profondément renouvelé. Cette mission appartiendrait désormais à une commission des différends et des sanctions, organiquement distincte du collège, sur le modèle de ce qui existe dans certaines autorités publiques ou administratives indépendantes. La commission des différends et des sanctions serait composée de trois membres, nommés par le garde des sceaux pour une durée de quatre ans : un membre du Conseil d'État, un conseiller à la Cour de cassation et une personnalité ayant cessé d'exercer depuis moins de cinq ans l'activité d'opérateur de ventes volontaires aux enchères publiques. Les fonctions de membre du collège et de membre de la commission des différends et des sanctions seraient incompatibles.
Compte tenu de la composition du collège, la création d'un organe disciplinaire distinct, composé de membres nommés dont deux magistrats, serait de nature, selon les auteurs de la proposition de loi, à « éviter tout conflit d'intérêts dans l'exercice de l'autorité disciplinaire ». En outre, les membres de la commission des différends et des sanctions bénéficieraient de garanties d'indépendance renforcées.
Alors que l'instruction préalable des affaires disciplinaires et l'engagement des poursuites relèvent aujourd'hui de la compétence du commissaire du Gouvernement auprès du Conseil des ventes volontaires, ces attributions appartiendraient désormais à une commission composée d'un magistrat de l'ordre judiciaire, en activité ou honoraire, et d'un professionnel ayant cessé d'exercer depuis moins de cinq ans, désignés par le garde des sceaux.
Autre nouveauté, la proposition de loi prévoit qu'une sanction pécuniaire puisse être prononcée à l'égard d'un opérateur, outre l'avertissement, le blâme et l'interdiction temporaire ou définitive d'exercer. Enfin, toutes les décisions de la commission des différends et des sanctions seraient désormais rendues publiques.
L'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat est l'occasion, pour nous, de nous interroger sur la pertinence du maintien d'une autorité de régulation propre au secteur des ventes volontaires de meubles aux enchères.
L'existence d'une telle autorité de régulation est une spécificité française. Sans doute cette activité doit-elle être soumise à une réglementation. Sans doute des contrôles sont-ils nécessaires, pour éviter les risques de fraude liés au procédé des enchères ainsi que les risques de recel et de blanchiment particulièrement élevés dans le secteur du marché de l'art. Néanmoins, ces contrôles pourraient être du ressort de services ministériels financés par l'impôt, comme c'est le cas d'autres activités présentant le même genre de risques.
J'ai toutefois pu constater, au cours des auditions que j'ai conduites, qu'il n'existait aucun consensus pour s'engager dans cette voie, ni parmi les professionnels, ni parmi les administrations compétentes. Pour beaucoup, le maintien d'une autorité de régulation ad hoc est non seulement indispensable pour protéger efficacement les vendeurs et acquéreurs, mais c'est aussi le moyen de préserver l'image très positive dont jouissent les maisons de vente françaises à l'étranger. En d'autres termes, un système de régulation plus rigoureux, en ce qu'il garantit la sécurité des ventes et prémunit contre les fraudes, peut aussi constituer un avantage comparatif dans un marché mondial très compétitif.
Je vous propose donc d'approuver, dans ses grandes lignes, la réforme du système de régulation proposée par nos collègues.
En particulier, il ne me paraît ni choquant ni contraire à nos principes constitutionnels ou au droit européen que les professionnels deviennent majoritaires au sein du collège du Conseil des maisons de vente. Les modalités d'élection des représentants de la profession devront être définies par voie réglementaire, conformément aux objectifs fixés par la proposition de loi, qui me paraissent tout à fait opportuns afin que les petites maisons de ventes, notamment celles qui sont établies en province, soient convenablement représentées à côté des géants du secteur.
Je vous proposerai néanmoins de recentrer les missions du Conseil sur ses fonctions de régulation, et de préciser ou clarifier son organisation interne, ainsi que les prérogatives et les règles de fonctionnement de ses différents organes. Par ailleurs, je vous proposerai plusieurs amendements visant à poursuivre la modernisation de la régulation des ventes aux enchères, dans l'esprit de la proposition de loi et en plein accord avec son auteure. Ces diverses mesures complémentaires sont largement inspirées des différents rapports qui ont été remis sur le sujet. J'ai choisi de ne retenir que celles qui font l'objet d'un large consensus, afin de ne pas retarder l'adoption de cette proposition de loi par des dispositions susceptibles de faire polémique ou de heurter certains intérêts.