Beaucoup de gens l'ignorent, mais l'arrêt cardiaque subit demeure l'une des causes de mortalité les plus importantes et les plus méconnues du grand public en France. On dénombre ainsi entre 40 000 et 50 000 décès liés à un arrêt cardiaque chaque année, soit quinze fois plus que le nombre de morts sur les routes.
La plupart des arrêts cardiaques inopinés résultent de la survenance d'une arythmie, c'est-à-dire d'une anomalie du rythme cardiaque. Elles ont pour causes certaines circonstances aggravantes, qui sont en nette augmentation au sein de la population, telles que la toxicomanie, le tabagisme, l'hypertension artérielle, le diabète, le cholestérol, la sédentarité ou l'excès de poids.
Or, en matière d'arrêt cardiaque, le pire est de ne rien faire, puisque le délai d'intervention a un impact très significatif sur les chances de survie de la victime. Selon la Fédération française de cardiologie, sans prise en charge immédiate, plus de 92 % des arrêts cardiaques sont fatals. La fédération souligne également que sept fois sur dix, ces arrêts surviennent devant témoins, mais que seulement 40 % de ceux-ci font les gestes de premiers secours. La conséquence triste, mais logique, est que, en France, le taux de survie à un arrêt cardiaque ne dépasse pas 8 % alors que ce taux est de quatre à cinq fois plus élevé dans les pays où les lieux publics sont équipés en défibrillateurs automatisés externes et où la population est formée aux gestes qui sauvent.
Face à ce constat, plusieurs mesures ont d'ores et déjà été prises pour faciliter la prise en charge de l'arrêt cardiaque. Ainsi, le législateur s'est emparé du sujet depuis plusieurs années afin de diversifier les lieux d'apprentissage des gestes qui sauvent. La loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile a entendu que « tout élève bénéficie, dans le cadre de sa scolarité obligatoire, d'une sensibilisation à la prévention des risques et aux missions des services de secours ainsi que d'un apprentissage des gestes élémentaires de premiers secours ». J'ai dénoncé à plusieurs reprises la mise en oeuvre très lente de cette loi. Aujourd'hui, environ 75 % des élèves de troisième sont formés, mais ils n'étaient que 30 % il y a encore peu de temps.
Dans le même esprit, la loi du 17 mars 2015 visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire, issue d'une proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Leleux, a imposé la formation aux notions élémentaires de premiers secours dans la formation au permis de conduire.
Enfin, la loi du 28 juin 2018 relative au défibrillateur cardiaque faisant suite à une proposition de loi de notre collègue sénateur Jean-Pierre Decool développe l'accès aux défibrillateurs automatisés externes en rendant leur présence obligatoire dans certains lieux. Une circulaire d'Agnès Buzyn récemment adressée aux préfets oblige d'ailleurs l'équipement de nombreux lieux en défibrillateurs.
Des initiatives privées ont également vu le jour, comme un certain nombre d'applications ayant pour objet d'apporter une assistance aux personnes se trouvant dans la situation de porter secours à autrui à la suite d'un arrêt cardiaque.
C'est dans cette perspective que se situe la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. L'objectif annoncé par son auteur est à la fois clair et louable : il consiste, d'une part, à porter l'attention sur le sujet majeur qu'est l'arrêt cardiaque et, d'autre part, à favoriser les interventions en formant la population aux gestes qui sauvent et en modelant un régime de responsabilité favorable aux interventions spontanées.
Bien que partageant pleinement ces objectifs, je souhaite toutefois rappeler que même les sujets les plus graves doivent être traités avec raison, afin de fournir aux justiciables des instruments juridiques lisibles, fiables et robustes. C'est précisément à cette tâche que je me suis attelée, en analysant le texte au travers d'un crible rigoureux. Je n'hésiterai donc pas à vous proposer d'écarter des dispositions ne relevant pas du domaine que la Constitution confère à la loi, soit qu'elles soient de nature réglementaire, soit qu'elles soient dépourvues de portée normative. Je n'hésiterai pas non plus à vous proposer de réécrire certaines dispositions lorsque cela semble nécessaire.
En premier lieu, cette proposition de loi vise à mieux protéger les citoyens sauveteurs. Nous approuvons cette ambition tout en souhaitant sécuriser les effets juridiques du dispositif proposé. Ainsi, l'article 1er du texte crée un « statut de citoyen sauveteur » afin de mieux protéger les personnes venant en aide de manière volontaire et bénévole aux victimes d'une urgence vitale.
Néanmoins, je ne peux que constater, compte tenu de l'état du droit positif, l'absence de vide juridique concernant la protection des sauveteurs occasionnels, tant pour l'indemnisation des dommages qu'ils subiraient que pour la sanction et l'indemnisation de ceux qu'ils pourraient causer par leur faute. En effet, le droit positif assure largement la protection juridique du sauveteur occasionnel et permet, en théorie, d'écarter sa responsabilité tant pénale que civile du fait d'un dommage qu'il aurait causé lors de son intervention.
En outre, le régime jurisprudentiel des collaborateurs occasionnels ou bénévoles du service public permet d'assurer l'indemnisation, par la puissance publique, de la victime d'un dommage, qu'il s'agisse du sauveteur ou de la personne sauvée.
Pour autant, je pense qu'il peut être intéressant de consolider dans la loi le régime de responsabilité applicable aux personnes intervenant comme des sauveteurs occasionnels et bénévoles. Une telle démarche permettrait de garantir une meilleure accessibilité du droit pour les personnes mises en cause et d'éviter d'éventuelles difficultés de qualification juridique pour le juge.
Je vous proposerai donc une nouvelle rédaction de l'article 1er de la proposition de loi, afin de redéfinir les conditions d'intervention des sauveteurs pour viser l'assistance à une personne en situation de péril grave et imminent, et non plus en situation d'« urgence vitale », ou de « détresse cardio-respiratoire », notions médicales qui me semblent trop restrictives.
Cette nouvelle rédaction supprimerait également des dispositions qui imposeraient au sauveteur occasionnel de pratiquer un massage cardiaque, considérant qu'elles pourraient le décourager d'agir.
Enfin, cette rédaction remplacera l'expression de « citoyen sauveteur » par celle de « sauveteur occasionnel et bénévole », qui est plus appropriée au concours apporté à l'exercice d'un service public.
En second lieu, je vous proposerai de maintenir la référence au concept de collaborateur occasionnel et bénévole du service public. S'y référer dans la loi ne serait pas une nouveauté et aurait le mérite de garantir l'indemnisation par la puissance publique, tant du dommage causé par le collaborateur que de celui qu'il aurait subi.
Même si les cas dans lesquels sa responsabilité peut être engagée sont rares, je vous propose également de maintenir le principe de l'atténuation de la responsabilité pénale du sauveteur occasionnel et bénévole, dans l'hypothèse où il commettrait un délit non intentionnel lors de son intervention.
Enfin, je vous proposerai d'apporter au régime spécial de responsabilité civile créé au bénéfice du sauveteur occasionnel une correction de nature à exonérer ce dernier de tous les préjudices qu'il pourrait causer lors de son intervention, et pas seulement pour ceux qui sont causés à la personne secourue, sauf faute lourde ou intentionnelle de sa part.
Outre le régime applicable au sauveteur, la proposition de loi tend également à développer les actions de sensibilisation au secourisme auprès de divers publics.
Ainsi, l'article 2 modifie les dispositions du code de l'éducation relatives à la sensibilisation des élèves en apportant des précisions sur la continuité et le programme de ces formations. Il semble néanmoins que ces précisions relèvent du domaine du règlement et qu'elles sont, d'ailleurs, pleinement satisfaites par les textes actuellement en vigueur. Je vous proposerai donc de supprimer cet article.
Un raisonnement similaire peut être appliqué à l'article 4, qui prévoit d'introduire dans la partie législative du code du travail un droit à la formation aux premiers secours pour tout salarié, alors que la partie réglementaire de ce code prévoit déjà avec précision les cas dans lesquels cette formation est obligatoire.
L'article 3 modifie les dispositions applicables à l'examen du permis de conduire, afin de préciser que les notions élémentaires de premiers secours sur lesquelles porte l'évaluation font « notamment » état de l'utilité du massage cardiaque et du défibrillateur automatisé externe. Vous savez ce que l'on pense de l'adverbe « notamment » au sein de notre commission ; je vous laisse deviner le sort que je vous proposerai de réserver à ces dispositions.
En matière de sensibilisation au secourisme, je vous proposerai finalement de ne conserver que certaines dispositions prévues à l'article 5 de la proposition de loi. Celles-ci créent une obligation de formation au secourisme à destination des juges et arbitres par les fédérations agréées. Il s'agit d'une véritable avancée puisque le contenu de ces formations est jusqu'à présent fixé par ces fédérations, et que certaines d'entre elles n'y incluent pas nécessairement une sensibilisation au secourisme.
La proposition de loi établit par ailleurs une clarification relative aux acteurs de la formation au secourisme. Ainsi, son article 7 consolide, dans la partie législative du code de la sécurité intérieure, la liste des personnes autorisées à accomplir les actes de sensibilisation au secourisme. Il reprend les dispositions préexistantes applicables aux associations de sécurité civile agréées et donne un fondement législatif aux habilitations que le pouvoir réglementaire attribue déjà par arrêté à certains organismes de sécurité civile.
Je vous proposerai d'y inclure certains services des établissements de santé listés par décret, car nombre d'entre eux détiennent les compétences nécessaires pour assurer une formation au secourisme.
L'article 11 du texte renforce les sanctions pénales en cas de vol ou de dégradation de défibrillateurs cardiaques. Ce renforcement me semble légitime, compte tenu de l'objectif visé, qui est de punir plus sévèrement les auteurs d'infractions pouvant conduire indirectement au décès d'une personne faute de matériel de premiers secours disponible. Toutefois, je constate que la notion d'« objets nécessaires à la sécurité et à la santé des personnes » que vise l'article est insuffisamment précise, et permettrait d'aggraver les sanctions pénales pour le vol ou la dégradation de nombreux biens autres que les seuls défibrillateurs automatiques.
Afin d'assurer la clarté et la précision de la loi pénale, je vous proposerai donc de restreindre la nature des objets dont le vol ou le vandalisme serait puni plus sévèrement au « matériel destiné à prodiguer des soins de premiers secours ».
Enfin, la proposition de loi compte, parmi ses dispositions, la création d'une journée nationale et la demande de rapports annuels. La création d'une journée nationale ne relève pas du domaine de la loi fixé par l'article 34 de la Constitution et la Haute Assemblée se montre par principe hostile aux demandes de rapports ; ceux-ci ne sont que rarement remis et encore plus rarement lus. Je vous proposerai donc de supprimer les dispositions en cause.
J'ai ainsi tâché de ne garder dans ce texte que des dispositions efficaces et effectives. Par ailleurs, je pense sincèrement que la nécessité de se former aux premiers secours va bien au-delà de l'obligation légale et découle d'une obligation morale et civique pour toute personne qui a la charge d'encadrer ou de prendre soin d'un groupe, à l'échelle d'une famille, d'une association ou dans un autre contexte. Il devrait s'agir là d'un réflexe.
En vue du dépôt d'éventuels amendements de séance, je précise que le périmètre de ce texte inclut des dispositions relatives aux modalités d'encadrement des premiers secours et à ses acteurs, au régime de responsabilité des sauveteurs occasionnels et bénévoles, à la formation de tout citoyen aux premiers secours et, enfin, aux sanctions pénales réprimant des atteintes au matériel utile aux soins de premiers secours.