J'ai grand plaisir à revenir au Sénat et à retrouver votre commission. Ilaria Casillo, qui m'accompagne, connaît bien les questions relatives à la participation, notamment pour avoir présidé la structure équivalente à la CNDP en Italie.
Février prochain verra les 25 ans de la CNDP, créée par la loi Barnier dans le sillage de la Convention de Rio et dans le cadre des réflexions sur la Convention d'Aarhus. Elle a vocation à permettre aux citoyens d'être informés des grands projets ayant un impact environnemental et d'y participer le plus en amont possible, dans une logique très différente, donc, de celle de l'enquête publique, qui intervient à un moment où le projet est déjà défini ; au moment du débat public, on peut encore discuter de son opportunité même et l'objectif est bien d'éclairer le décideur dans la construction de son projet.
Après 22 ans de pratique du débat public - il a fallu plusieurs années pour que la commission voie le jour, compte tenu des résistances -, nous constatons qu'il y a encore une très grande confusion autour de la notion de participation du public. L'objectif est d'éclairer le décideur dans la construction de son projet, ni plus ni moins. Ni plus car il ne s'agit ni de codécision ou de co-construction - le décideur n'est nullement tenu par ce qui a été dit, même s'il a une obligation de réponse - ni moins car il ne s'agit pas non plus d'une simple consultation d'acceptabilité.
Nous ne prétendons pas représenter le public ; une procédure de participation, même quand elle fonctionne très bien, touche au mieux 5 % de la population concernée. Notre rôle est de faire le tour des arguments et des questions, des inquiétudes et des espoirs que le projet suscite, ainsi, le cas échéant, que des alternatives proposées, en associant tous les publics concernés.
La participation doit avoir lieu le plus en amont possible, à un moment où toutes les options restent ouvertes et où l'on peut même décider d'abandonner le projet. Pour être honnête, sur 95 débats publics, il n'y a eu qu'un seul cas d'abandon du projet, de surcroît pour des raisons très politiques.
Nous ne traitons que des projets ayant un impact sur l'environnement. En cela, nous sommes très liés à l'Autorité environnementale. Pour simplifier, si un projet est soumis à évaluation environnementale, il entre dans notre champ de compétence.
Nous pouvons piloter nous-mêmes un débat public lorsque la situation locale est trop conflictuelle et qu'il faut un tiers neutre ; cette option n'est ouverte que pour les très grands projets. Dans les autres cas, le maître d'ouvrage pilote la procédure de participation, et nous nommons un ou plusieurs garants pour veiller à l'ouverture et à la transparence de la procédure.
En 22 ans, 95 débats publics et près de 400 concertations nous ont permis d'établir un certain nombre de principes destinés à assurer la confiance, qui est l'enjeu central. L'écueil constant, c'est le sentiment du public que la participation ne servirait à rien parce que la décision serait déjà prise : les dés sont pipés, entend-on souvent, vous n'allez pas nous écouter... Il faut donc apporter tous les gages possibles de transparence - nous co-construisons les modalités du débat avec le public -, de neutralité - nous n'émettons jamais d'avis sur un projet - et d'indépendance - un garant ou le responsable d'un débat ne peut pas avoir le moindre lien d'intérêt avec le dossier ni même s'être exprimé sur le sujet.
Plus délicat et parfois moins bien compris, il y a le principe d'équivalence, c'est-à-dire l'égalité de traitement des arguments : quel que soit le statut de la personne qui l'avance et quel que soit le nombre de personnes qui pensent de même, nous donnons exactement le même poids à chaque argument. Il arrive qu'un argument exprimé une seule fois soit extrêmement important pour la suite du projet. De plus, à ce stade de la procédure, il est difficile de donner un poids relatif aux différents arguments.
Notre dernier principe est celui de l'argumentation : nous ne recensons pas des opinions, mais les raisons qui les fondent. Nous invitons toujours les participants à expliquer pourquoi ils défendent telle ou telle position. C'est au regard de ces raisons que le maître d'ouvrage pourra éventuellement faire évoluer son projet.
Les ordonnances de 2016, opérationnelles depuis mars 2018, ont conduit à la multiplication par cinq de notre activité. Ainsi, nous avons pris le mois dernier 145 décisions, contre 26 en septembre 2016. Nous pourrons revenir sur les questions d'organisation qui en découlent.
La période récente a vu une multiplication des lois et initiatives autour de la participation, avec des logiques parfois différentes : ordonnances de 2016 généralisant la participation même pour les plus petits projets, qui peuvent aussi être conflictuels et entraîner des drames, puis loi sur les jeux Olympiques et loi sur la société de confiance tendant à éviter la procédure d'enquête publique au profit d'une consultation numérique.
Trop de personnes, dans les procédures de participation, expriment une forme de déception, notamment parce qu'elles n'ont pas obtenu de réponses à leurs arguments ; le public comprend bien souvent qu'on ne reprenne pas ses options, mais il vit très mal qu'on ne lui réponde pas. Nous ne nous prononçons pas sur le contenu, mais nous veillons à ce que la réponse apportée soit complète.
De leur côté, les maîtres d'ouvrage sont confrontés à la complexité assez déconcertante du processus de consultation, puis d'évaluation environnementale. Nous-mêmes sommes parfois obligés de recourir à des conseils juridiques pour savoir quelle procédure appliquer... Cette complexité est source d'une incertitude et d'une insécurité très grandes pour le maître d'ouvrage.
Le droit à l'information, qui est une dimension fondamentale de la participation, suppose de mettre à disposition du public une information accessible et compréhensible par tous, mais aussi fiable et complète. L'analyse préalable de l'Autorité environnementale est extrêmement importante, car elle permet d'identifier les questions qui se posent. Par exemple, s'agissant du projet de terminal 4 à Roissy, un projet d'importance, nous avions des doutes sur le périmètre concerné et sur les thèmes à traiter. Le maître d'ouvrage, Aéroports de Paris, avait recensé environ 200 communes concernées ; dans son cadrage préalable, l'Autorité environnementale en a identifié plus de 480, que nous avons toutes incluses dans la participation.
Au reste, l'expertise de l'Autorité environnementale nous est précieuse à tous les stades de la procédure. Inversement, quand cette autorité rend son avis sur l'étude d'impact qui lui est soumise, il est important qu'elle puisse organiser un nouvel échange avec le public.
C'est pourquoi nous proposons un rapprochement entre nos deux structures, non pas pour étendre encore le périmètre de la participation, mais pour renforcer la consistance de celle-ci dans le cadre d'une chaîne de décisions intégrée. Le titre II du code de l'environnement institue en effet un continuum de participation entre la CNDP, l'Autorité environnementale et l'enquête publique. Mais ce continuum n'est pas organisé : le maître d'ouvrage s'adresse d'abord à la CNDP, puis à l'Autorité environnementale, puis passe à l'enquête publique. L'intégration de la CNDP avec l'Autorité environnementale - sans fusion complète, car nos missions sont très différentes - permettrait aux maîtres d'ouvrage de disposer d'un interlocuteur unique.
Nous proposons également un système de validation au franchissement de chaque étape du processus. Dans de trop nombreux cas, le maître d'ouvrage oublie la première étape, ce qui peut ensuite lui poser problème, puisque le public peut exercer un droit d'initiative. La validation serait donc aussi une garantie pour lui.
Enfin, nous suggérons de valider la complétude de la réponse apportée par le maître d'ouvrage aux arguments et questions soulevés par le public dans la procédure de participation.
Les débats que vous avez cités, monsieur le président, sur le noeud ferroviaire lyonnais et le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs se sont conclus. Cinq débats sont en cours ou sur le point de s'ouvrir : l'identification des futures zones d'implantation d'éoliennes en mer au large de la Normandie, la traversée routière de Saint-Denis de La Réunion, la liaison entre Fos et Salon-de-Provence et, plus généralement, le contournement d'Arles, le projet éolien de Dunkerque et le plan national stratégique d'application de la PAC. Ce dernier thème est une nouveauté : l'Union européenne exige désormais que les déclinaisons nationales de la PAC soient soumises à évaluation environnementale ; par ricochet, ce plan national entre dans le champ de la participation.