Intervention de Gérard Longuet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 26 septembre 2019 à 10h25
Examen des conclusions de l'Audition contradictoire sur le problème des soudures de l'epr de flamanville gérard longuet sénateur et cédric villani député rapporteurs

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet, sénateur, président de l'Office :

Nous avons ce matin un ordre du jour assez riche, comprenant l'examen des conclusions de l'audition contradictoire du 17 juillet dernier, ainsi qu'une désignation, en remplacement de Mme Émilie Cariou, qui a formulé le voeu de ne plus siéger au conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ; elle devra être remplacée par un parlementaire issu de l'Assemblée nationale. Enfin, en troisième et dernier point, nous procèderons à l'audition de M. Bertrand Pailhès, le coordonnateur national de la stratégie en intelligence artificielle. Pour conduire cette partie, je céderai la présidence à notre premier vice-président Cédric Villani.

Ma première remarque, est que cette audition publique est une initiative de l'Office parlementaire, initiative commune de Cédric Villani et de moi-même. Je pense que nous avons eu raison de rappeler que l'Office existait, et qu'il avait compétence pour organiser des débats, afin d'éclairer les parlementaires, députés et sénateurs.

Cette audition, longue et fructueuse, a d'ailleurs suscité au Sénat - je ne sais pas s'il en est allé de même à l'Assemblée nationale - une sorte de jalousie. Il faut en effet reconnaître que des commissions comme celle des affaires économiques au Sénat auraient pu très légitimement organiser une telle audition. Nous aurions donc pu l'organiser en liaison avec cette commission, ou avec d'autres de l'Assemblée nationale, comme celle chargée de l'environnement. Mais l'Office est dans son rôle, et, avec nos dix-huit membres de chaque assemblée, pratiquement chaque commission y est ainsi représentée. Nous sommes donc une institution du Parlement à la fois bicamérale et pluri-commissions.

Ce qui apparaît avec force, c'est que l'EPR de Flamanville souffre manifestement de l'interruption de l'activité de l'industrie nucléaire. La construction du dernier réacteur s'est achevée à Civaux à la fin des années 1990, suivie de presque une quinzaine d'années sans véritable projet nucléaire. Cette interruption a sans doute abouti à une perte de compétences. Nos prédécesseurs, avec beaucoup de pertinence, avaient fait valoir dès 1990 qu'une interruption de la construction des réacteurs pourrait conduire à ce résultat.

À l'inverse, il faut reconnaître que nos anciens ont lancé le programme nucléaire à un rythme tel, avec jusqu'à quatre réacteurs en chantier en parallèle, que cela a conduit à construire le parc actuel sur une période très courte. L'aspect positif est que la France s'est libérée de la dépendance à l'égard des énergies fossiles pour la production d'électricité. Nous avons été précurseurs dans la production d'électricité décarbonée. En revanche, ce parc construit sur une période courte en mobilisant des moyens considérables, souffre aujourd'hui d'être globalement d'une même génération. Cela pose un certain nombre de problèmes pour son renouvellement. Il serait raisonnable de l'étaler dans le temps, ce que la pérennité garantie par les contrôles de l'ASN devrait permettre.

Nous n'avions pas encore procédé à un débat contradictoire de ce type. Je crois qu'il est très important que l'Office joue son rôle, car les autorités indépendantes, telles que l'ASN, doivent aussi rendre des comptes. Le Parlement est un lieu adéquat pour que les autorités indépendantes expliquent leur politique, leur comportement et leurs attitudes. Par ailleurs, l'exploitant EDF, pour lequel tout le monde a une grande admiration, car c'est une belle réussite française, montre parfois une certaine satisfaction de lui-même, et un certain repli sur soi. Comme souvent, les ingénieurs, qui ont le sentiment d'être incompris, décident de travailler entre eux et de ne pas toujours tout expliquer. Cette audition contradictoire a eu le mérite, d'une part, d'amener EDF à être plus ouverte et à s'interroger sur elle-même ainsi que sur son comportement, d'autre part, de permettre à l'ASN de se rendre compte qu'elle avait d'autres interlocuteurs que les journalistes, les associations et les ONG. Il est bon que les autorités indépendantes prennent l'habitude de parler avec les parlementaires, qui ont la responsabilité de représenter, à travers le suffrage universel, les citoyens.

Sur le fond, l'ASN évoque une « défaillance industrielle globale de la chaîne de conception, de fabrication et le contrôle ». C'est sévère. À cela, le constructeur répond qu'elle est imputable à une certaine perte d'expérience, due à l'arrêt de la construction nucléaire en France, difficulté que j'ai évoquée. Par ailleurs, nous avons constaté que les délais de traitement des problèmes avaient été assez longs, mais les choses évoluent dans le bon sens.

Je voudrais, au risque de paraître un peu provocant, positiver un peu les événements intervenus depuis l'audition du 17 juillet. En effet, le 9 septembre dernier, EDF a informé l'ASN d'autres écarts de fabrication constatés sur des soudures d'équipements nucléaires. En effet, les soudures, une fois réalisées, doivent être portées en température, afin de réhomogénéiser la structure du métal et de la soudure. Ce réchauffement doit se faire à une température comprise entre deux limites haute et basse, mais EDF a constaté que certaines soudures, dont celles des générateurs de vapeur de Gravelines et de Flamanville, avaient fait l'objet d'un recuit qui n'était pas conforme à celles-ci. Cet écart ne traduit pas nécessairement une fragilité des soudures, mais la forme n'est pas respectée. Par ailleurs, le 11 septembre, l'ASN a mis sous surveillance renforcée les réacteurs numéros 1 et 2 de la centrale de Flamanville, à la suite de difficultés rencontrées par EDF sur cette centrale depuis mi-2018.

Ce qui est important, c'est que nous avons constaté que l'ASN et EDF mettaient du temps à se mettre d'accord et à se parler. Ce n'est qu'en janvier 2017 qu'EDF a informé l'ASN des écarts qu'elle connaissait depuis août 2015. L'ASN considère que ces délais témoignent d'une stratégie d'attente de la part d'EDF qui aurait privilégié, selon une formule de l'ASN que je retiens, une posture de « justification technique a posteriori » plutôt que de réparation immédiate des écarts. EDF plaide, pour sa part, de mauvaises décisions techniques isolées.

En réalité, EDF a toujours parlé avec l'ASN, mais pas d'une façon officielle. C'est pour cela que nous avons pu déceler, du côté d'EDF, une certaine amertume à l'égard de l'ASN, EDF ayant le sentiment d'avoir parlé de ces écarts dès qu'elle en avait été informée. En réalité ces échanges n'avaient certainement pas le caractère formel d'un engagement réciproque, raison pour laquelle la décision finale de l'ASN en juin, déclarant les soudures invalides, a surpris EDF, qui avait le sentiment d'une coopération.

Je trouve que cette audition contradictoire met désormais chacun en face de ses responsabilités de transparence. J'ai presque envie de positiver l'incident de ce dernier mois pour montrer que, enfin, tout le monde prend l'habitude de se parler : l'ASN accepte de discuter et d'accompagner techniquement EDF, ce qu'elle n'avait pas nécessairement envie de faire. EDF accepte d'exposer ses problèmes à l'ASN, même ses problèmes formels, alors qu'elle avait tendance auparavant à se dire que l'ASN n'avait qu'à la laisser tranquille, tant que les choses allaient bien.

Cette audition publique a donc permis que l'ASN et EDF continuent à se parler, et qu'EDF accélère sa réflexion sur les soudures, ce qu'elle aurait pu faire voici dix-huit mois, mais n'a pas fait, parce qu'elle pensait que les choses se résoudraient naturellement. En trois mois, des propositions de réparation ont été approfondies dans différentes voies. Pour l'instant, EDF n'a pas encore officiellement choisi la solution, mais elle devrait le faire très bientôt, lors d'un conseil qui aura lieu, je crois, début octobre. Je pense qu'EDF ne présentera que des solutions qui ont déjà obtenu l'aval de l'ASN. La forme que prendra cet aval est évidemment un peu complexe, parce que l'ASN ne peut répondre qu'à une demande officielle et à sa réalisation. Mais on ne peut pas non plus demander à EDF d'avancer dans le noir, en tâtonnant, sans savoir ce que l'ASN acceptera ou pas, en termes de solutions. Nous sommes face à un dispositif qui est, en quelque sorte, celui du juge et du conseil. Je ne sais pas si les élus locaux présents le savent, mais quand on se tourne, cela m'est arrivé, vers la chambre régionale des comptes pour demander si une solution est bonne, celle-ci répond que son rôle est de contrôler, et qu'elle ne peut donc pas conseiller. L'ASN est pour sa part dans la situation d'un contrôleur qui juge mais conseille aussi. C'est assez normal, parce qu'elle en a les moyens et surtout dispose de ceux de l'IRSN.

En conclusion, nous vous proposons quatre recommandations que l'Office pourrait retenir, si vous en êtes d'accord.

Premièrement, assurer à l'ASN et à l'IRSN - c'est important - des moyens humains à la hauteur des enjeux de la sûreté nucléaire, sur le plan quantitatif et qualitatif. Je préfère d'ailleurs que l'ASN et l'IRSN aient leurs propres moyens humains, plutôt que de s'appuyer sur des moyens extérieurs.

Deuxièmement, inciter fermement EDF à prendre le recul nécessaire, pour analyser ses difficultés de surveillance et les résoudre de manière pérenne, afin de garantir la sûreté de la filière nucléaire.

Troisièmement, appuyer l'exigence permanente de transparence dans le domaine de la sûreté nucléaire. Il s'agit de la mise en oeuvre de l'esprit de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, votée à l'unanimité.

Quatrièmement, organiser plus fréquemment des auditions contradictoires destinées à confronter les points de vue opposés, lorsqu'il s'agit de sujets majeurs pour nos concitoyens et notre pays. Cela peut d'ailleurs s'appliquer à des sujets complètement différents, comme le spatial, pour lequel les techniciens, les industriels, et les clients pourraient être utilement confrontés publiquement. Je prends cet exemple, mais il y en a évidemment beaucoup d'autres.

Même s'il est toujours gênant de montrer de l'autosatisfaction, je pense que nous avons eu raison de prendre cette initiative, utile à la nécessité absolue de transparence. Quelle que soit la passion ou l'hostilité que suscite l'activité nucléaire, nous avons un devoir absolu de transparence, à l'égard non seulement des citoyens français mais de l'Europe et du monde, les ennuis du nucléaire lorsqu'ils se produisent, ne s'arrêtant pas aux frontières politiques ou administratives. Même si la transparence est parfois irritante pour les uns ou pour les autres, selon leur statut, elle constitue la condition de l'acceptation du nucléaire par l'opinion. De mon point de vue, le nucléaire assure à la fois l'indépendance et la décarbonation de notre énergie.

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