Intervention de Bertrand Pailhès

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 26 septembre 2019 à 10h25
Audition de M. Bertrand Pailhès coordonnateur national de la stratégie d'intelligence artificielle

Bertrand Pailhès, coordonnateur national pour la stratégie d'intelligence artificielle :

Je voudrais préciser que chacun de ces sujets étant porté par des ministères différents, dans certains cas, les dernières évolutions n'ont pas toujours été portées à ma connaissance.

Sur le premier point relatif aux champions européens, la trajectoire de croissance d'OVH a été évoquée. À notre connaissance, OVH n'a pas aujourd'hui le même niveau de service pour l'intelligence artificielle que les trois grands fournisseurs : Microsoft, Google et Amazon. Mais le développement de la couche de plateforme est l'un de ses axes prioritaires. Le cloud comporte trois couches : l'infrastructure, la plateforme, qui est un environnement de développement, et les services rendus aux personnes. L'activité de base d'OVH porte sur l'infrastructure, sachant que pour l'intelligence artificielle, l'infrastructure et les calculateurs ne suffisent pas. Il faut aussi des logiciels. C'est sur cet aspect qu'OVH se positionne et continue à se développer.

Atos-Bull est également un acteur du projet européen de calculateur exaflopique. À ma connaissance, la stratégie de cette entreprise prend en compte les supercalculateurs.

L'activité de publicité en ligne de Criteo n'étant pas stratégique, le suivi est plus lointain. Dans l'écosystème parisien, c'est l'une des rares entreprises françaises à avoir créé un laboratoire de recherche publiant des articles, avec une grande liberté d'action, ce qui correspond aux pratiques des entreprises numériques mondiales. Les publications sont consultables sur leur site. De même, Valeo a choisi de créer un laboratoire de recherche publiante à Paris.

Parmi les autres acteurs majeurs de l'intelligence artificielle, Dataiku développe son activité aux États-Unis. D'autres acteurs travaillent dans des domaines plus applicatifs, tels que Therapy Cells ou Cardiologs en santé. L'idée est de continuer à les soutenir.

En termes d'actions stratégiques, l'objectif présenté en juillet est de « faire émerger et structurer une offre française de l'IA ». Nous nous focalisons sur les algorithmes et composants spécifiques pour les systèmes industriels, ainsi que sur les logiciels, les solutions et l'intégration. Cette approche assez ciblée ne privilégie pas forcément les grandes plateformes génériques, comme celles des fournisseurs de cloud américains, ou les puces graphiques. À l'inverse, elle vise l'intégration, et les briques spécifiques pour les systèmes, notamment industriels.

Concernant les investissements privés, nous ne les suivons pas, mais ils apparaîtront très certainement dans l'observatoire européen AI Watch et dans l'Observatoire des politiques relatives à l'IA de l'OCDE.

La BPI dénombre 552 start-up en intelligence artificielle en France, qui ont levé 2,1 milliards d'euros. Un nouveau décompte fait état de 650 start-up. On arrive donc à peu près à cartographier un écosystème de financement de l'innovation en France. Il est très dynamique. On essaie de le renforcer, par une action sur les deeptech, qui ne concerne pas que l'intelligence artificielle. Ce plan deeptech ne relève pas de la stratégie d'intelligence artificielle mais je le fais parfois figurer dans les tableaux. Dans le numérique, la deeptech relève souvent de l'intelligence artificielle, mais le Gouvernement a retenu un instrument ouvert à toutes les start-up du monde de la recherche, non un instrument spécifique à l'intelligence artificielle.

Aujourd'hui, je ne suis pas capable de donner le montant de l'investissement public et privé en France. La Commission européenne fixe un objectif de 20 milliards d'euros d'investissement public et privé annuellement consacré à l'intelligence artificielle pour que l'Europe soit compétitive. Les 1,5 milliard d'euros d'investissement public que nous suivons sur la durée correspondent à environ 300 millions d'euros par an.

Quel serait l'effet de levier ? C'est un axe d'amélioration, en tous cas d'évaluation, qu'il faudra encore une fois développer avec l'Union européenne dans les prochains mois.

Concernant la coopération avec l'Allemagne, la principale action annoncée dans une annexe du traité d'Aix-la-Chapelle était la mise en place d'un réseau virtuel franco-allemand, l'idée étant d'avoir un cadre de collaboration, notamment en termes de recherche scientifique.

L'écosystème allemand s'avère assez compliqué, avec le niveau fédéral et celui des Länder. Comme vous l'avez rappelé, certains acteurs traditionnels étaient très bien implantés, notamment le Centre de recherche allemand sur l'intelligence artificielle (Deutsche Forschungszentrum für Künstliche Intelligenz ou DFKI). À très gros traits, sa branche principale traitait plutôt d'intelligence artificielle symbolique. Il couvre à présent l'ensemble des champs. Par ailleurs, l'Allemagne a créé quatre centres de compétences (Kompetenzcenter) sur l'apprentissage machine.

Notre axe de travail est double, à la fois avec le ministère de l'économie et le ministère de la recherche. Sur la partie recherche, nous allons essayer de monter ce réseau virtuel franco-allemand, la partie économique pouvant y contribuer. Nous essayons de construire d'autres axes de collaboration. Par exemple, les Allemands créent une agence pour l'innovation de rupture qui se rapproche un peu de nos Grands défis. Cela peut représenter un axe de travail en commun.

Enfin, dans la perspective d'un conseil des ministres franco-allemand, le ministère de l'économie nous a demandé de contribuer à la partie intelligence artificielle. Pour répondre à la question sur « l'Airbus de l'IA », aujourd'hui, notre position est pragmatique. Je crois que le ministre de l'économie Bruno Le Maire souhaite avancer sur cet aspect de souveraineté, de maîtrise des données et des technologies, notamment dans certains environnements critiques. Il a demandé à un certain nombre de fournisseurs français - OVH, Outscale, etc. - de conduire un travail avec leurs homologues allemands pour étudier comment donner corps à cette coopération. À ce stade, il n'existe cependant pas de définition de « l'Airbus de l'IA ». Est-ce qu'il s'agirait d'une entreprise, d'un projet commun, ou d'une proposition commune à porter au niveau de l'Union européenne, pour obtenir un soutien européen ? Nous sommes encore dans la phase de diagnostic, sachant que, côté allemand, les échos sur la maturité du projet sont assez variables. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous poursuivons l'effort. Nous essayons de faire sens par rapport à nos objectifs stratégiques, de ne pas relancer des initiatives sur lesquelles nous n'avons pas eu un succès total par le passé, tout en portant ce sujet de souveraineté.

Concernant le commissaire responsable de la recherche en intelligence artificielle, à ma connaissance Mme Mariya Gabriel sera en charge de l'innovation, avec sous ses ordres la direction générale de la recherche et de l'innovation (DG RTD). Pour autant, la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG CONNECT) est leader pour la stratégie d'intelligence artificielle de la Commission européenne.

L'instrument « Europe Numérique » est opéré par la DG CONNECT, dont le directeur est M. Roberto Viola, tandis que l'instrument « Horizon Europe » est opéré par la DG RTD. Je crois comprendre que le périmètre de Mme Sylvie Goulard inclura les questions de maîtrise technologique et de souveraineté, y compris pour la défense et les industries stratégiques, comme l'intelligence artificielle. Tout cela s'articule avec une politique de concurrence qui sera du domaine d'expertise de Mme Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence. Donc, vos interlocuteurs seront probablement Mariya Gabriel, par ailleurs très au fait du numérique, Sylvie Goulard et Margrethe Vestager.

Au niveau européen, globalement, dans les prémices que je perçois, on passe d'une vision qui était très axée sur le marché unique numérique - comment le faire fonctionner ? - à une approche plus stratégique des questions numériques, notamment sur les aspects industriels.

Concernant le plateau de Saclay, ce projet n'a effectivement pas été retenu par le comité de sélection. Pour autant, le plateau de Saclay avait été attributaire auparavant d'un projet IA : l'Institut Convergence-Dataia, qui nourrit l'écosystème de Saclay. Nous visons un programme de recherche incluant l'ensemble des parties prenantes, au-delà des quatre instituts 3IA. Notre approche concentre des forces sur les instituts 3IA, pour en faire une composante emblématique (flagship), tout en ayant conscience qu'en région parisienne un ensemble très puissant existe, constitué de l'institut 3IA PRAIRIE, du Sorbonne Center for Artificial Intelligence (SCAI), avec ses laboratoires de robotique et d'informatique fortement liés à l'intelligence artificielle, et des laboratoires de Saclay. C'est l'ensemble de ce réseau que nous allons animer. À ma connaissance, à court terme, il n'existera pas de deuxième tour, pour de nouveaux instituts 3IA. Il faudrait poser la question au ministère de la recherche. L'objectif est vraiment de structurer le programme de recherche et de démarrer les instituts existants.

Sur la question de l'augmentation des effectifs étudiants, le nombre de masters est le premier indicateur que nous essayons de suivre. Il est capital pour notre écosystème de produire des étudiants en master et en PhD d'intelligence artificielle. Contrairement à d'autres champs du numérique, nous n'avons pas de mal à trouver des étudiants. Dans n'importe quelle école d'ingénieurs française, une spécialisation en dernière année dans le Big Data ou l'intelligence artificielle sera la plus populaire. Par exemple, à l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA Paris), il m'a été indiqué que tous les élèves choisissent celle-ci, au point qu'il devient difficile de couvrir d'autres champs d'ingénierie : l'énergie, l'eau, etc.

Le nombre de masters d'intelligence artificielle est passé d'environ dix-huit en 2015 à trente-cinq en 2018. À l'initiative conjointe des étudiants, des établissements d'enseignement supérieur et de la demande des entreprises, l'offre de formation s'adapte. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de dénombrer chaque année le nombre d'étudiants spécialisés en intelligence artificielle ou le nombre d'étudiants en médecine sensibilisés à celle-ci. C'est l'un des axes sur lequel nous devons structurer notre discours et mener d'éventuelles actions complémentaires. Je mets de côté le sujet des PhD, traité à part. Dans ce cas, il y a un appel à doctorat, c'est assez facile à suivre, mais cela ne concerne que quelques centaines de personnes.

Pour les masters, nous sommes actuellement en train de définir les actions nécessaires, et d'imaginer ce qui serait envisageable à des niveaux inférieurs, comme la licence professionnelle, autour de métiers touchant à l'intelligence artificielle, comme celui de préparateur de données. On peut imaginer de nouvelles fonctions et de nouveaux diplômes, y compris au niveau brevet de technicien supérieur (BTS), en appui aux ingénieurs en machine learning. En effet, pour le machine learning, les bases de données doivent être « nettoyées », organisées, etc. Ces fonctions ont vocation à se diffuser dans l'ensemble des entreprises.

Pour l'enseignement secondaire, voire primaire, l'Éducation nationale a lancé l'appel à projets Partenariat d'innovation et intelligence artificielle (PI-IA), pour développer les ressources pédagogiques sur l'intelligence artificielle, en stimulant l'écosystème des éditeurs scolaires. À ce stade, l'approche retenue a pour axe principal la réforme du lycée et l'introduction d'une formation aux sciences du numérique obligatoire pour tous en seconde, et d'une spécialité « Numérique et sciences informatiques », en première et en terminale. Dans ce cadre, il serait envisageable d'introduire des notions plus avancées sur l'intelligence artificielle.

Comme vous le savez, les programmes scolaires sont définis par un conseil des programmes en partie indépendant du ministère de l'Éducation nationale, et a fortiori du coordonnateur de la stratégie pour l'intelligence artificielle. J'ai le sentiment que notre enseignement secondaire est en train d'être remis à niveau sur le numérique. À cette occasion, le sujet de l'intelligence artificielle sera traité, soit sous l'angle de la compréhension du sujet, soit sous celui des premières notions à introduire, probablement en terminale, autour de l'intelligence artificielle, sachant que, en ce qui concerne l'algorithmique ou la programmation, des actions sont prévues également en primaire et au collège.

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