Intervention de Annick Girardin

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 17 octobre 2019 : 1ère réunion
Audition de Mme Annick Girardin ministre des outre-mer

Annick Girardin, ministre :

L'examen des dossiers dans le cadre de la clause de revoyure sur les exonérations de charges sociales patronales aura bien lieu dans les jours qui viennent. Il s'agit de regarder les secteurs dans lesquels les entreprises auraient dû être gagnantes et ne l'ont pas été. Je regarderai chaque situation avec la plus grande attention, entreprise par entreprise, notamment dans les secteurs de l'agro-alimentaire et de la presse. Le barème a été largement simplifié.

Sur la cohérence entre ces exonérations et le volet fiscal, j'ai missionné Louis-Charles Viossat pour mesurer les effets de notre réforme sur l'emploi et mettre en place un compteur emploi. Cet outil a été présenté au Président de la République mais nous devons encore l'améliorer et développer une véritable pédagogie afin de le rendre lisible pour nos concitoyens. M. Viossat a également pour mission de mettre en cohérence codes NAF et codes sécurité sociale. Toutefois, la réforme a été actée, nous l'assumons et nous n'y reviendrons pas : nous ne ferons pas entrer de nouvelles catégories d'entreprises dans le renforcé ; nous ne modifierons pas la grille. Si toutefois des difficultés apparaissent, deux mois après le début de mise en oeuvre de la réforme, nous regarderons au cas par cas et très en détail.

La France, deuxième domaine maritime mondial, est particulièrement concernée par la question des déchets dans les océans. C'est pourquoi j'ai souhaité que la Trajectoire 5.0 comporte un axe consacré au « zéro déchets » ; ma collègue Brune Poirson y travaille également dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ; un prochain CIMer va établir une feuille de route. Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) constituent une énorme richesse de biodiversité. Sur la question de la gestion des déchets à Mayotte, une action plus soutenue de l'AFD en direction des territoires les moins développés - Mayotte, la Guyane, Saint-Martin après le passage du cyclone et Wallis-et-Futuna - me semble souhaitable. En effet, notre organisation, décentralisée et déconcentrée, ne nous permet pas toujours d'être à la hauteur des enjeux auxquels sont confrontés ces territoires. Je suis très heureuse que des parlementaires de l'hexagone découvrent nos territoires d'outre-mer : c'est bon pour la visibilité de nos territoires au sein de nos institutions !

La question de la mobilité est cruciale dans nos territoires. C'est pourquoi 130 millions d'euros sont prévus pour le transport dans le contrat de convergence et de transformation de Mayotte. À La Réunion, ce sont 900 millions d'euros qui sont prévus pour la nouvelle route du littoral (NRL). C'est une compétence des collectivités mais l'État les accompagne.

À Mayotte, des réflexions sont en cours sur la question de la piste longue mais les inquiétudes sont grandes aussi autour des effets du dérèglement climatique et de la découverte d'un volcan sous-marin au large de Mayotte. Petite-Terre s'enfonce de 13 centimètres chaque année, la population ressent de fortes vibrations et les risques de tsunami existent. Je tiens à être très transparente sur ces questions car nous devons affronter les sujets si nous voulons leur trouver une solution. Il n'est pas question de retarder le chantier de la piste longue mais il est du rôle de l'État d'assurer la sécurité des populations : les pays du Sud seront les premières victimes du dérèglement climatique et l'aéroport de Mayotte serait très vite inondé.

Nous finançons de très nombreuses actions environnementales au travers du contrat de convergence et de transformation, du FEI, des crédits européens, de la mobilisation des collectivités locales et de l'AFD dont le fonds vert est désormais ouvert à tous. L'un des objectifs de la Trajectoire 5.0 est de faire de nos territoires des pionniers et les inventeurs des modèles de demain.

Cela fait vingt ans que l'on parle de la vie chère. Il y a eu la loi Lurel du 20 novembre 2012 mais les dispositifs qui existent ne sont pas tous appliqués. C'est pourquoi j'ai nommé M. Francis Amand délégué interministériel à la concurrence outre-mer. Nous avons besoin de faire jouer la concurrence sur nos territoires mais on ne pourra pas faire disparaître toutes les différences de prix entre l'hexagone et les territoires. Certains territoires ont su revoir leur marché, leur positionnement et leur ravitaillement dans leur bassin. Certains sont allés plus loin que d'autres en production locale. Les engagements du CIOM ont été confirmés. Nous devons continuer d'aider encore davantage la production locale à travers notre système de taxation, ce qui n'empêche pas de le repenser.

L'octroi de mer, c'est Colbert. On sait pourquoi il a été créé et comment on l'a fait évoluer. Peut-être est-il temps de réfléchir à un système articulant TVA et octroi de mer, et pourquoi pas à faire disparaître cette dernière taxe coloniale ? Trois obligations devront être respectées : préserver le financement des collectivités, maintenir les aides à la production locale, et réduire le phénomène de la vie chère. La concurrence est inéluctable, mais nous pouvons transformer nos modèles en profondeur. La sur-rémunération en est la preuve. Le Président de la République a pris l'engagement qu'elle ne serait pas modifiée dans les outre-mer durant son quinquennat. Cela n'empêche pas de travailler sur la variation des taux selon les territoires. L'octroi de mer est une compétence des collectivités ; la TVA relève de l'État. Nous ne pourrons les faire évoluer qu'en travaillant tous ensemble. L'État n'obligera pas à ce type de réforme, sauf si vous m'invitez à m'en saisir, comme l'ont fait les députés, avant-hier. M. Victorin Lurel l'a bien dit au sujet du statut : il faut un consensus.

Le service militaire adapté (SMA) offre une vraie réponse aux jeunes qui ont besoin d'une deuxième chance. Dans les outre-mer, l'échec est un sujet fondamental. Il serait bon de refaire un état des lieux avec des informations actualisées, car les derniers résultats du baccalauréat dont nous disposons remontent à 2014 ! Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) bénéficie d'une enveloppe de 700 millions d'euros dans les territoires d'outre-mer. Nous devons utiliser ces fonds pour développer des projets expérimentaux, dans le cadre de conventions avec les régions. Le taux de chômage moyen, outre-mer, est de 23,9 %, trois fois plus élevé que dans l'hexagone. Renforcer l'alternance est une voie pour en sortir, même si elle a malheureusement énormément baissé, notamment aux Antilles, en Guadeloupe et à La Réunion.

L'ordonnance sur la formation qui vient d'être publiée prévoit des outils de promotion de l'apprentissage dans les outre-mer. L'État doit continuer d'apporter un soutien fort aux entreprises. Les conditions sociales et fiscales outre-mer sont plus intéressantes qu'en Islande ! On ne le sait peut-être pas assez, mais on est au rendez-vous.

La reconstruction de Saint-Martin après le passage d'Irma interroge notre capacité à travailler ensemble sur un petit territoire. Un travail intense, en concertation, a déjà été mené par les uns et les autres. Peut-être aurait-il fallu associer davantage les parlementaires pour qu'ils donnent leur avis. Sur un petit territoire, on va vite à l'affrontement. Multiplier les interlocuteurs permettra de trouver un juste milieu.

Le plan de prévention des risques naturels (PPRN) est un sujet fort de divergences. Le Président de la République souhaitait aller vite. Chacun convenait que c'était nécessaire. Mais l'État est peut-être allé trop vite dans un contexte où les acteurs n'étaient pas forcément prêts. J'étais présente pour constater les dégâts causés par Irma. La France a été à la hauteur, jamais nous n'avions connu un ouragan d'une telle violence. Je comprends que les populations et les acteurs économiques puissent être choqués lorsqu'on leur montre une carte avec un zonage non accompagnée de commentaires ; ils craignent que cette nouvelle cartographie mette en péril l'activité touristique. Cependant, ma priorité est la sécurité de tous. J'ai demandé qu'une consultation soit mise en place pour que la population puisse aller dire ce qui ne va pas dans le PPRN.

Pour ce qui est du temps, nous n'en avons pas suffisamment. L'essentiel est que nous travaillions ensemble. Nous continuerons d'accompagner la collectivité et d'associer tout le monde. L'avenant est en négociation. Nous avons passé l'étape de la reconstruction à Saint-Martin. Il est temps d'ouvrir la réflexion sur le développement économique et touristique de l'île. Quant aux sargasses, c'est un sujet qui hystérise les médias. Vu de Paris, on croit que la Martinique et la Guadeloupe sont couvertes de sargasses, alors que le phénomène ne concerne que 2 % du territoire. Ne nous tirons pas une balle dans le pied. Une grande conférence est prévue sur le sujet. Au Mexique, il y a autant de sargasses que chez nous si ce n'est davantage. Les touristes ont-ils cessé d'y aller ? Non.

Enfin, la Guyane dispose depuis 2005 d'un dispositif pour faciliter le recrutement des médecins. Il faudrait l'étendre à la Guadeloupe et à la Martinique. Un autre dispositif est prévu pour le recrutement des sages-femmes. Le décret est en cours de préparation.

Les ARS sont mobilisées et nous maintenons la pression pour que les projets avancent.

Plusieurs dispositifs sont destinés à favoriser l'attractivité médicale : les aides à l'installation, les coopérations renforcées avec des hôpitaux de l'hexagone et le doublement des maisons de santé d'ici à 2022 - cinq maisons de santé ont ainsi été labellisées en Guyane -. Il faut aussi un travail plus important dans certains bassins maritimes comme par exemple avec Cuba.

La France peut développer une vraie diplomatie climatique à partir de nos territoires d'outre-mer, grâce notamment à la Trajectoire 5.0. Cela concerne aussi le tourisme car aujourd'hui les touristes se dirigent de plus en plus vers des territoires durables. Notre grande réforme fiscale de l'an dernier se traduit par les chiffres suivants : maintien du FEI au niveau élevé de 110 millions d'euros, c'est près de trois fois plus qu'en 2018 ; 23 millions d'euros sont apportés en 2019 au budget de l'État par les ultramarins pour la politique outre-mer, 117 millions d'euros en 2020 et 70 millions d'euros en 2021 ; en tenant compte du prélèvement à la source et de la baisse de l'impôt sur le revenu annoncée par le Président de la République suite au Grand débat, le montant actualisé s'établit à 92 millions d'euros pour 2020. Tous ces crédits sont au service des territoires d'outre-mer.

Sur les sujets agricoles, je me réjouis que la question du sucre soit en voie de règlement à travers le CIOM ; 40 millions d'euros ont été rebudgétisés à la demande du Premier ministre et du Président de la République ; le débat sur l'aide à la production dans nos territoires d'outre-mer se poursuit mais nous devons rester vigilants sur les risques de concurrence entre territoires avec le développement de la production en Guyane et à Mayotte car l'enveloppe est constante depuis plusieurs années. Je souhaite que nous allions vers un nouveau modèle de production et je défends une augmentation de l'enveloppe.

La gouvernance fait partie de mes préoccupations. L'ODEADOM, qui comprend moins de 100 équivalents temps plein (ETP), pourrait être finalement adossé à FranceAgriMer. Toutes les décisions ne sont pas encore prises mais je sais combien vous êtes très attachés à cet outil et j'en ferai part au ministre de l'agriculture. Treize actions ont été prévues dans le volet agricole du dernier CIOM : le soutien technique et financier de la nouvelle filière wassaï en Guyane, l'abattoir de volailles à Mayotte, la production de volailles bio et la reconnaissance de l'indication géographique protégée (IGP) pour la vanille à La Réunion, la marque collective fruits et légumes 100 % locaux en Guadeloupe, la charte pour la restauration collective, le développement de l'observatoire des filières dans tous les départements, la hausse de l'accompagnement financier des productions bio, etc. Les bilans des deux comités interministériels sont à votre disposition.

S'agissant de la SNSM dans le Pacifique, je vous confirme que les 300 000 euros prévus seront au rendez-vous. La SNSM a donné son accord pour intervenir en Polynésie sur la formation, l'équipement et le petit matériel. Ils feront donc partie du tour de table pour accompagner la fédération d'entraide polynésienne de sauvetage en mer. Le budget de mon ministère est porteur d'un effort exceptionnel car nous avons connu un drame terrible et les besoins sont immenses. Les derniers arbitrages seront rendus cette semaine et s'il faut faire plus, je ferai plus. Je serai aux côtés des Polynésiens et des Polynésiennes sur ce sujet.

La question des normes sera remise en débat dans le cadre de la réforme constitutionnelle. Le droit à la différenciation va être ouvert à toutes les collectivités territoriales françaises ; le droit commun va rejoindre les exceptions ultra-marines de l'article 73 de la Constitution ! Cela fait deux ans que je vous invite à en parler et j'attends vos propositions. Aujourd'hui les expérimentations sont possibles mais elles sont rares car complexes ; je pense par exemple à La Réunion dans le cadre de l'amendement Virapoullé : la dernière crise a fait apparaître une demande d'évolution émanant de la population mais les élus étaient majoritairement contre toute évolution ; les choses sont donc restées en l'état. Nous allons simplifier le régime des expérimentations dans la prochaine réforme.

Pour la Guyane, les premiers résultats du plan Mules signé au ministère de la Justice il y a quelques mois sont encourageants. Nous manquons malheureusement de personnel médical pour mettre en service un échographe-scanner à l'aéroport de Cayenne mais il faut étudier la possibilité juridique d'autoriser d'autres personnels à l'utiliser. Le Livre Bleu prévoit des moyens supplémentaires pour prévenir et lutter contre les addictions, comme par exemple la vignette sécurité sociale qui sera mise en place au 1er janvier prochain.

La décentralisation est un sujet majeur. Nous n'en avons pas suffisamment débattu. Une grande concertation territoriale est prévue. Le champ d'application concerne tout autant les transports que la transition énergétique ou le logement. Les élus ont demandé à ce que l'État conserve le même niveau d'implication en matière de logement. Il reste à aborder les autres sujets.

Nous renforcerons la présence de l'État à Mayotte et en Guyane, en procédant notamment à une réorganisation des services. Le préfet coordonnera le positionnement de l'État grâce au programme des interventions territoriales de l'État (Pite). Le transport est un enjeu important, qu'il soit intérieur ou extérieur. L'exemple de la Polynésie est sans doute à suivre. Une démarche comparative ne peut être qu'intéressante. Les billets d'avion entre Paris et la Martinique ou la Guadeloupe sont souvent moins chers qu'entre la Martinique et la Guadeloupe. Le tourisme est essentiel, mais l'inter-île doit être préservé. Je crois à la stratégie touristique que nous portons, grâce au cluster tourisme et au cluster maritime. La Trajectoire 5.0 devrait créer un nouvel élan. La mise en place d'une commission sur le marketing et d'une autre sur l'intelligence économique et l'attractivité permettra d'approfondir ces sujets. Enfin, nous avons doublé le financement d'Atout France.

Je vous remercie pour votre attention. C'est toujours un plaisir pour moi de discuter avec les parlementaires. Le ministère des outre-mer vous est ouvert.

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