Ils marquent enfin l’éloignement de la Turquie de l’Europe. En faisant le jeu russe, en attaquant nos alliés kurdes, en permettant la résurgence de Daech et en nous menaçant d’un chantage aux réfugiés, la Turquie est entrée dans l’isolement. Après la remise en cause des libertés publiques, après l’achat des systèmes de défense antiaérienne S400 à la Russie, après les forages illégaux au large de Chypre, la Turquie achève de tourner le dos à l’Europe. Là encore, les conséquences seront très lourdes !
Enfin, il y a les conséquences de long terme. Cette crise est le fruit du « pivot stratégique » vers l’Asie organisé par les Américains, annoncé par Barack Obama et accéléré par Donald Trump : l’Europe et le Moyen-Orient ne sont plus des priorités stratégiques pour les États-Unis. Ce retrait américain laisse apparaître l’Europe dans toute sa faiblesse stratégique et pose une forte question à l’OTAN. Aujourd’hui, l’OTAN n’a aucune autonomie par rapport aux États-Unis, comme l’a illustré l’indigence des réponses que son secrétaire général, M. Stoltenberg, avait à présenter lorsque je l’ai moi-même interpellé à Londres sur ce sujet il y a une semaine. Pourtant, à part les États-Unis et la Turquie, l’ensemble des alliés condamnaient cette attaque.
Pouvons-nous agir sans les Américains ? Je souhaite que ces événements, qui inquiètent tous les pays européens, accélèrent la prise de conscience de ceux de nos partenaires qui avaient du mal à imaginer qu’un jour l’Europe doive, et donc puisse, se défendre par elle-même.
L’enjeu, pour les Européens, est de construire ensemble leur sécurité. Nous commençons à peine à partager l’analyse des menaces. Pendant longtemps, on opposait deux Europe : une Europe de l’Ouest, préoccupée surtout de la menace au Sud, et une Europe de l’Est, préoccupée surtout par l’action déstabilisatrice de la Russie. Nous constatons tous que cette opposition n’a plus lieu d’être. L’acteur principal aujourd’hui en Syrie, celui devant qui les États-Unis ont choisi de s’effacer, c’est la Russie. Ce qui se passe en Syrie a des conséquences pour l’Europe, tout comme ce qui se passe en Irak, au Sahel, en Ukraine ou en Géorgie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il convient de parler à la Russie !
Aujourd’hui, nous sommes encore très loin de pouvoir imaginer des opérations militaires européennes d’envergure, mais je ne doute pas que le drame kurde va accélérer le réveil stratégique de beaucoup d’Européens. Dans un monde où l’égoïsme et le court-termisme électoraliste deviennent les seuls axes de la politique étrangère, dans un monde où le jeu des puissances broie sans états d’âme le droit international, mais aussi, hélas, les populations civiles, ceux qui ne seront pas capables de se défendre par eux-mêmes s’exposeront à être délaissés, abandonnés, trahis et enfin soumis. Nous le disons solennellement : il s’agit, pour l’Europe, de ne pas sortir de l’histoire.