Intervention de Laurent Nunez

Réunion du 22 octobre 2019 à 14h30
Renforcement de l'encadrement des rave-parties — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Laurent Nunez :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est sous-tendue par deux objectifs que le Gouvernement partage.

Le premier est de mieux encadrer certaines fêtes, les rave-parties, qui représentent plusieurs milliers d’événements chaque année : selon les données dont je dispose, on en compterait 2 500 ; selon le rapport de la commission, que j’ai lu avec beaucoup d’attention, il y en aurait plutôt 4 000, dont 3 200 rassemblant moins de 500 participants. Ces fêtes sont souvent l’occasion d’alcoolisations fortes et, parfois, de prises de stupéfiants. Elles peuvent provoquer des dangers tant pour les participants que pour l’ordre public. Elles peuvent également laisser derrière elles des terrains saccagés et des débris à l’air libre. Cet objectif, bien entendu, nous le partageons pleinement.

Le second objectif est de renforcer le pouvoir des maires. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un point auquel le Gouvernement est attaché. Nous croyons que les maires sont l’un des maillons les plus essentiels de la République ; le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, que vous avez adopté au début de cette séance, reconnaît et promeut leur travail.

Toutefois, le texte qui vous est soumis à présent comporte plusieurs points qui retiennent notre attention en ce qu’ils ne nous semblent pas tout à fait répondre aux deux objectifs que je viens de mentionner, malgré l’adoption par la commission d’un amendement allant dans le bon sens.

La mesure principale du texte consiste à créer un régime de déclaration auprès du maire pour les rassemblements festifs à caractère musical devant compter moins de 500 participants.

Cette mesure pose un certain nombre de difficultés.

D’abord, elle crée un régime de police spéciale concurrent à celui du préfet pour les rave-parties, sans pour autant l’assortir de pouvoirs de police dédiés, comme ceux dont disposent les préfets en la matière. Ainsi, quand ils seront informés de l’organisation d’une rave-party, les maires ne disposeront que de leurs pouvoirs de police générale pour agir. C’est une difficulté. Encore une fois, j’ai bien noté qu’un amendement vise à créer un pouvoir de police spécial pour les maires.

Ainsi – je le dis comme membre du Gouvernement, mais aussi comme ancien préfet, et donc praticien –, cette mesure risquerait d’avoir des effets pervers dommageables. Pour éviter que le préfet fasse usage de ses pouvoirs de police spéciale, les organisateurs de rave-parties pourraient être tentés de volontairement sous-évaluer l’affluence à leurs événements et de profiter ainsi du nouveau régime, moins contraignant, de police par les maires. Par voie de conséquence, si les participants s’avèrent plus nombreux que prévu, les maires se retourneront vers les préfets pour maintenir l’ordre et assurer la sécurité de tous, ce qui occasionnera une perte de temps et d’efficacité.

Ensuite, je pense qu’il est important de rappeler que les rave-parties se tiennent souvent sur le territoire de petites communes, qui pourraient être dépassées par les demandes : elles n’auraient pas suffisamment de marges de manœuvre et de ressources pour préparer les rassemblements et en assurer efficacement la protection. Dépassées, ces petites communes pourraient également être amenées à solliciter l’appui du préfet ou sa substitution du fait de leur carence, pour des événements dont l’ampleur n’aurait potentiellement pas justifié un investissement lourd de la préfecture.

Parmi les amendements déposés, l’un vise à conférer aux maires les pouvoirs de police administrative spéciale dont dispose le préfet, pour les événements devant rassembler moins de 500 participants.

Une telle approche ne résout pourtant pas les difficultés que je viens d’évoquer, puisque les maires des petites communes rurales se verraient dans l’obligation de mettre en œuvre les dispositifs de préparation extrêmement lourds que prévoit la législation actuelle au-delà du seuil de 500 participants, ce qui excède leurs moyens, et ce pour tout rassemblement déclaré, y compris d’importance mineure, puisqu’aucun seuil n’est défini.

En outre, une telle mesure ferait cohabiter deux autorités de police administrative dotées des mêmes compétences, un organisateur pouvant solliciter l’une ou l’autre en fonction simplement de ses prévisions de participation, en deçà ou au-delà de 500 participants. Ce serait une situation inédite et peu souhaitable.

Par ailleurs, le texte que vous examinez vise à définir une charte d’organisation des rassemblements afin d’établir une base de dialogue entre pouvoirs publics et organisateurs.

Deux raisons me poussent à émettre certaines réserves sur ce point. D’abord, l’existence d’une telle charte relève non pas du pouvoir législatif, mais du pouvoir réglementaire. Ensuite, cette charte existe déjà : elle est prévue par l’article R. 211-8 du code de la sécurité intérieure et son contenu a été fixé dans un arrêté du 3 mai 2002.

Enfin, la dernière partie de ce texte crée un nouveau délit qui se substitue à la contravention de cinquième classe actuellement prévue en cas de non-respect des obligations de déclaration. Il serait puni d’une amende de 3 750 euros et de travaux d’intérêt général.

Si nous pourrions être favorables à la création d’un délit sanctionnant le non-respect d’une obligation de déclaration d’un grand rassemblement, afin de réprimer l’impossibilité faite aux autorités d’anticiper et de protéger, nous ne pouvons l’être quand il s’agit de sanctionner le non-respect d’une obligation portant sur des rassemblements de faible envergure, ce à quoi le texte de la proposition de loi aboutit. De même, pour assurer une répression efficace, un délit doit être puni d’une peine d’emprisonnement conforme à notre ordonnancement juridique actuel, permettant dans tous les cas que soit prononcée une peine de travail d’intérêt général, aux termes de l’article 131-8 du code pénal.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, si le Gouvernement partage sans ambiguïté les objectifs sous-tendant cette proposition de loi, ainsi que la volonté de Pascale Bories et de Henry Leroy de donner plus de pouvoirs aux maires, le texte examiné aujourd’hui nous oblige aux plus grandes réserves.

En effet, il est à craindre que ce texte, sans permettre d’obtenir les résultats désirés, engendre des effets pervers non négligeables pour les communes et s’avère finalement contre-productif. C’est pourquoi il est difficile pour le Gouvernement de soutenir en l’état cette proposition de loi.

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