Intervention de Max Brisson

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 23 octobre 2019 à 9h00
Proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Max BrissonMax Brisson, rapporteur :

Avant tout, je souhaite remercier celles et ceux d'entre vous qui ont participé aux auditions que j'ai menées. Les échanges avec nos interlocuteurs nourriront le débat que nous allons avoir. Mais ils ont surtout montré l'attachement des membres de notre commission, quel que soit le positionnement de chacun sur l'échiquier politique de notre assemblée, à l'école de la République et aux valeurs qu'elle porte.

Je tenais à le rappeler, car je sais que le thème que nous allons aborder aujourd'hui, et la semaine prochaine en séance, s'inscrit dans un contexte particulier qui va bien au-delà de l'objet de cette proposition de loi. Aussi, il est important que nos débats se focalisent sur l'école, qui mérite la plus grande attention et qui, pour reprendre les mots de Jean Zay, ministre de l'instruction publique du Front populaire, doit rester cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». L'école, ceux qui la servent et ceux qui en bénéficient y seront gagnants. Nous aurons l'occasion de reparler de cela lorsque nous définirons le périmètre de la proposition de loi et examinerons la recevabilité des amendements au titre de l'article 45 de la Constitution.

D'abord, je ne résiste pas à vous faire un rapide cours d'histoire !

L'école publique en France s'est construite dans un contexte politique particulier et a progressivement affirmé sa dimension laïque, c'est-à-dire neutre du point de vue de l'affichage des convictions religieuses.

Au début des années 1880, un enseignement élémentaire public, gratuit et obligatoire a été mis en place. Son caractère obligatoire imposait que cet enseignement soit neutre du point de vue des croyances. Dès 1881, les cours de morale religieuse étaient remplacés par une instruction morale et civique laïque. En 1886, il était acté que cet enseignement devait être délivré dans les écoles publiques par un personnel laïc. Dans le prolongement, les signes religieux étaient progressivement retirés des salles de classe. La chose était définitivement acquise en 1903, soit deux ans avant la rupture du Concordat et la loi de 1905. L'exigence de neutralité de l'école publique est donc ancienne, particulière et antérieure à la loi de séparation des églises et de l'État.

Au-delà des combats politiques de l'époque, la volonté du législateur a bien été de faire de l'école un espace neutre d'un point de vue religieux. Cela s'explique par la mission que la Nation a confiée à l'école sous la IIIe République - mission qui reste celle de l'école de la Ve République : permettre à l'élève de se construire librement en tant que citoyen à l'abri de toute influence extérieure. Ainsi, en France, l'idéal émancipateur de l'école a pour corollaire sa neutralité religieuse. Cette neutralité doit permettre de protéger, pour reprendre les mots de Jules Ferry, « cette chose délicate et sacrée qui est la conscience de l'enfant ».

Il faut donc protéger l'école pour protéger l'enfant et sa conscience en construction.

Ces principes rappelés, quittons le XIXe siècle pour évoquer la situation actuelle. Je poserai quatre questions : qu'est-ce qu'une sortie scolaire ? Que signifie la neutralité religieuse à l'école ? Qu'est-ce qu'un accompagnateur scolaire ? Une loi est-elle nécessaire ?

Qu'est-ce qu'une sortie scolaire ? La circulaire de 1999 est claire : il s'agit d'un prolongement des enseignements délivrés en classe, une sorte « d'école hors les murs ». Comme le résume le recteur de l'académie de Créteil, M. Auverlot, que nous avons auditionné, une sortie scolaire doit « se préparer en amont en classe, être exploitée en aval et tous les élèves de la classe doivent y participer - y compris l'élève en situation de handicap ou celui hautement perturbateur ».

D'ailleurs, l'interprétation que fait le ministère de l'éducation nationale de l'article de la loi de 2004 relatif à l'interdiction du port de tenues et signes religieux ostensibles pour les élèves en témoigne. Bien que l'article en question parle d'une interdiction s'appliquant « dans les établissements scolaires publics », tant les débats parlementaires de 2004 que l'application qui en est faite par l'administration de l'éducation nationale montrent que l'interdiction inclut les sorties scolaires, qui sont du temps scolaire. Il s'agit bien de la classe qui se prolonge et se projette hors les murs, pour laquelle le législateur exige depuis longtemps une stricte neutralité.

Que signifie la neutralité du point de vue des croyances à l'école publique ?

Parce que la conscience de l'élève est en pleine construction, le législateur s'est montré particulièrement strict en matière de neutralité à l'école publique. Ainsi le droit impose-t-il une neutralité religieuse dans l'enseignement public : aux personnels bien sûr, comme à tous les agents des services publics de l'État et des collectivités locales ; aux usagers de l'école que sont les élèves, mineurs ou majeurs, depuis la loi de 2004 qui a restreint leur possibilité d'afficher leurs croyances religieuses ; à toute personne intervenant dans une salle de classe, y compris les parents d'élèves, lorsqu'elle participe à des fonctions similaires à celles des enseignants, et ce depuis la décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juillet dernier - soit après l'entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance.

Le service public de l'éducation est le seul service public imposant à certains de ses usagers, en particulier les élèves, une restriction de la manifestation de leur croyance religieuse. C'est la conséquence de la loi de 2004. Cette loi peu bavarde et simple est aujourd'hui bien appliquée, comme nous l'ont confirmé les chefs d'établissements que nous avons rencontrés.

Les intervenants à l'extérieur des salles de classe et les accompagnants des sorties scolaires sont donc les seuls à ne pas être soumis à ce principe de neutralité religieuse ou a minima à une restriction de la manifestation de manière ostensible de leur appartenance religieuse.

Qu'est-ce qu'un accompagnateur ?

L'accompagnateur est un peu plus qu'un simple usager du service public de l'éducation. Comme l'indique la fiche relative aux parents d'élèves du vade-mecum de la laïcité, « participant à une activité scolaire, le parent devient un accompagnateur chargé pour une part de la sécurité de tous les élèves et pas seulement de son enfant. Il contribue ainsi à la bonne marche de l'activité pédagogique. Il a donc un devoir d'exemplarité devant tous les élèves concernés par cette activité, dans son comportement, ses attitudes et ses propos ».

C'est d'ailleurs parce qu'il est un peu plus qu'un parent d'élève qu'il bénéficie de la protection du statut de collaborateur occasionnel du service public en cas de problème. Cette proposition de loi permettrait ainsi de combler une faille dans le bouclier qui a permis d'imposer progressivement, dans le droit fil des pères fondateurs de l'école publique, une stricte neutralité de l'école face aux croyances, afin de protéger la conscience de l'enfant encore en construction.

Une loi est-elle nécessaire ? Les fonctionnaires sont-ils aujourd'hui en situation d'inconfort juridique ?

Cette proposition de loi, si elle était adoptée, permettrait de clarifier la situation pour les directeurs d'école, les inspecteurs de l'éducation nationale et les chefs d'établissement. En effet, l'étude de 2013 du Conseil d'État indique que le parent d'élève est un usager du service public de l'éducation et qu'il n'est, à ce titre, pas soumis au principe de neutralité religieuse. Mais elle précise également qu'il revient aux chefs d'établissement de déterminer si « des considérations précises relatives à l'ordre public, au bon fonctionnement du service public d'éducation ou à la nature des missions confiées aux parents » justifient l'application du principe de neutralité à l'adulte accompagnant la sortie scolaire.

Les syndicats des chefs d'établissement que nous avons auditionnés m'ont indiqué qu'en l'absence de textes clairs les chefs d'établissement doivent apprécier seuls ces considérations mentionnées par le Conseil d'État. Dans les faits, certains se réfèrent à la circulaire de Luc Chatel de 2012, d'autres à celle de Xavier Darcos de 2008. Le droit existant entraîne des décisions différentes en fonction des écoles d'une même commune. On comprend, dans ce contexte d'inconfort juridique, que ces décisions soient difficilement compréhensibles pour les parents d'élèves et les élus locaux. Et, pour moi, la situation est inacceptable pour les chefs d'établissement, qui souhaitent que le législateur décide dans un sens ou dans l'autre, afin de ne plus les laisser dans cet entre-deux.

Voilà les raisons qui justifient cette proposition de loi. Je vous proposerai deux amendements modifiant la rédaction de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio. Il me semble notamment important de faire référence aux activités liées à l'enseignement, afin de prendre en compte cette école hors les murs. En revanche, cette interdiction ne s'appliquera pas aux parents d'élèves si leurs activités ne sont pas liées à l'enseignement : je pense aux rencontres administratives, à la fête de l'école...

La neutralité de l'école est un bien précieux de notre République. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » ; et en vertu de l'article 1er de la loi de 1905, qui est une loi de liberté, la République protège la liberté de croire ou de ne pas croire, et d'afficher ou de ne pas afficher ses croyances religieuses.

La neutralité de l'école publique a été renforcée et a pris une dimension exceptionnelle par rapport à celle des autres services publics. Il nous appartient de parachever cette volonté du législateur, de mettre un terme à l'inconfort juridique dans lequel se trouvent directeurs d'écoles et chefs d'établissements, et de mieux protéger encore l'école et ce que Jules Ferry appelait « cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'élève ».

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