Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 octobre 2019 à 9h30
Audition de M. François Jacq administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives cea

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente :

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. François Jacq, administrateur général du Commissariat général à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Je vous remercie vivement, monsieur l'administrateur général, d'avoir accepté d'être auditionné par notre commission sur un sujet qui nous préoccupe beaucoup : le devenir de notre politique de recherche nucléaire.

Doté d'un budget de 5 milliards d'euros et de 20 000 salariés fin 2017, le CEA est un acteur essentiel - historiquement le premier - de cette politique.

Créé en 1945 par la volonté du général de Gaulle, il a promu la mise en place de notre parc de centrales nucléaires et continue d'être très impliqué en matière de traitement des déchets, de démantèlement des installations, mais aussi de maintien de la sûreté nucléaire.

De plus, il pilote des programmes de recherche, parmi lesquels le démonstrateur de quatrième génération ASTRID, un réacteur à neutrons rapides (RNR) refroidi au sodium développé à Marcoule, ainsi que le réacteur expérimental Jules Horowitz et le réacteur à fusion ITER, situés à Cadarache.

C'est donc avec un grand intérêt que nous vous accueillons.

Comme vous le savez, en juillet dernier, le Sénat et l'Assemblée nationale convenaient d'un accord sur le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, qui doit permettre à notre pays d'atteindre un objectif de neutralité carbone en 2050.

Dans cette perspective, notre commission obtenait l'inscription, dans le code de l'énergie, de la nécessité pour l'État « d'impulser une politique de recherche et d'innovation ».

Un mois plus tard, nous apprenions par voie de presse l'arrêt probable du démonstrateur ASTRID par le Gouvernement.

Si le projet annuel de performance de la mission « Recherche et enseignement supérieur », annexé au projet de loi de finances pour 2020, évoque la « restructuration » de ce projet, certains acteurs de la filière nucléaire se sont émus de son « abandon ».

En tout état de cause, la construction d'un démonstrateur de RNR ne semble plus être envisagée par le Gouvernement avant 2050 : quand la France aura atteint - souhaitons-le ! - son objectif de neutralité carbone au mitan du siècle, elle ne disposera donc toujours pas d'un tel équipement.

On peut donc légitimement se demander ce qu'il va advenir des neuf ans de recherche qui se sont écoulés, depuis le lancement du projet en 2010, et des 737,8 millions d'euros d'investissements qui lui ont été consacrés, selon une évaluation sénatoriale de 2017.

Cette décision du Gouvernement ne manque pas d'interroger, alors que le projet de loi relatif à l'énergie et au climat prévoit que la moitié de notre mix électrique continuera d'être issue de la production d'énergie nucléaire en 2035.

Est-ce à dire que les acteurs de la filière nucléaire devront continuer de produire en cessant d'innover ?

Dans la mesure où l'énergie nucléaire, largement décarbonée, demeurera longtemps un atout majeur pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et atteindre ainsi notre objectif de neutralité carbone, un effort de recherche public suffisant doit lui être consenti.

De surcroît, l'arrêt du démonstrateur ASTRID laisse irrésolue la question de la gestion des déchets nucléaires, puisque son intérêt principal était de permettre le réemploi comme combustibles des stocks d'uranium appauvri et de plutonium résultant du processus de production d'électricité nucléaire.

Le Gouvernement fait l'hypothèse que les cours d'uranium naturel demeureront durablement faibles dans les prochaines décennies, rendant ainsi moins pressante la nécessité d'utiliser des combustibles usagés. Cette position est discutable à l'ère du développement durable et du recyclage de la matière.

Le Gouvernement identifie comme solution au réemploi des déchets nucléaires un nouveau type de MOX, c'est-à-dire un combustible fabriqué à partir d'oxydes d'uranium et de plutonium et pouvant être utilisé dans les réacteurs à eau pressurisée (REP), qui sont les plus communs.

Cependant, il reconnaît lui-même, dans le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qu'une telle perspective est conditionnée « à un programme approfondi de recherche et de développement et à des études d'ingénierie » ainsi qu'« au développement de nouvelles infrastructures ».

Au total, l'arrêt du démonstrateur ASTRID paraît soulever plus de questions qu'il n'en résout.

Dans ce contexte, pour le moins incertain, la commission est désireuse de connaître votre point de vue sur ce dossier, mais aussi, plus largement, sur le devenir de notre politique de recherche nucléaire.

Avant de donner la parole à mes collègues, dont les questions seront assurément nombreuses, je souhaiterais vous interroger sur trois points.

Tout d'abord, pourriez-vous dresser le bilan du démonstrateur ASTRID et expliciter les motifs qui ont conduit à ne plus envisager sa construction avant 2050 ?

Ensuite, pourriez-vous préciser les conséquences économiques, sociales et environnementales de cette décision ? Surtout, un développement du MOX vous paraît-il suffisant pour permettre le réemploi des déchets nucléaires ?

Enfin, à l'heure où nous apprenons pêle-mêle l'arrêt du démonstrateur de quatrième génération ASTRID, le surcoût de 1,5 milliard d'euros du réacteur de troisième génération de l'EPR de Flamanville ou encore le conflit social à General Electric - à qui l'État a cédé en 2014 nos turbines nucléaires - que reste-t-il de l'ambition économique et scientifique de la France en matière d'énergie nucléaire ?

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