Intervention de François Jacq

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 octobre 2019 à 9h30
Audition de M. François Jacq administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives cea

François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives :

Je commence par votre question, madame la présidente, car elle permet de faire le lien avec celles de Mme la Sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et de M. le Sénateur Alain Duran.

Un RNR produit bien des déchets technologiques et des verres après retraitement des combustibles. Il est possible d'aller un cran plus loin dans le processus de retraitement : au lieu de se contenter d'extraire l'uranium et le plutonium, on peut extraire des actinides mineurs, comme l'américium, et leur faire subir un traitement dédié. Ces opérations supposent d'abord le recyclage et la fermeture du cycle, et donc le traitement de l'uranium et du plutonium, qui constituent l'essentiel des déchets. Les technologies de transmutation ont ainsi pour socle les techniques de retraitement des déchets d'aujourd'hui, sur lesquelles il faut donc continuer à travailler.

Cela dit, la transmutation nécessite d'extraire la matière et de la conditionner, puis d'utiliser un RNR spécialement optimisé pour cela. Or ASTRID avait pour mission de produire de l'électricité. L'horizon temporel visé ici va donc au-delà du déploiement du cycle fermé. Ces techniques s'inscrivent bien dans les contraintes de temps propres au nucléaire, qui se comptent en dizaines d'années.

Parmi les concepts de transmutation, deux écoles coexistent depuis une vingtaine d'années. L'école classique s'appuie sur un RNR de type sodium, l'autre sur des réacteurs innovants.

Carlo Rubbia a ainsi imaginé un système, appelé accelerator driven system (ADS), dans lequel un accélérateur produit des neutrons utilisés dans un réacteur sous-critique.

L'apport du laser dans ce processus ne permet pas de régler la question des déchets comme par miracle, mais de remplacer l'accélérateur pour produire des neutrons de manière plus efficace.

Cette idée est portée par le lauréat du prix Nobel Gérard Mourou, qui est un spécialiste des lasers. C'est extrêmement intéressant, mais je ne voudrais pas que l'utilisation d'un laser oblitère la nécessité de disposer, derrière, d'un réacteur nucléaire.

M. le Sénateur Daniel Gremillet, en effet, le projet de réacteur Jules Horowitz a connu, comme un certain nombre de projets nucléaires, des difficultés, mais il reste très ambitieux. Il doit servir à irradier des matériaux afin de nous aider à comprendre comment ceux-ci se comportent sous flux de neutrons. Nous pourrions ainsi observer en un an ce qui mettrait dix ans à se produire dans un réacteur, afin d'anticiper les problèmes éventuels.

En outre, il a une autre vertu : il produit des radioéléments à usage médical. Les réacteurs construits dans les années 1950 et qui avaient cette fonction ferment les uns après les autres dans le monde, c'est le cas, par exemple, d'Osiris, à Saclay. Jules Horowitz, quand il sera opérationnel, sera le meilleur outil au monde dans ce domaine. Nous avons rencontré, dans la conduite du projet, un certain nombre de difficultés. Pour autant, l'ambition demeure : le Gouvernement a acté la poursuite du projet, à la condition que sa gestion soit améliorée. Le CEA est en train d'y travailler.

S'agissant du financement des surcoûts, il est assuré par le CEA sur ses moyens propres, avec un effort complémentaire des industriels partenaires et de l'État. Le décret arrivant à échéance, car le projet a été lancé en 2005, le Gouvernement en a signé un nouveau, qui prévoit une nouvelle borne éloignée, pour pallier d'éventuels problèmes à venir, mais l'objectif, ambitieux, est de parvenir à la divergence en 2025.

Vous m'interrogez sur l'avancement d'ITER. ITER ne produira jamais d'électricité, il a pour objectif d'atteindre un plasma, c'est-à-dire une fusion deutérium-tritium, et d'étudier les phénomènes physiques susceptibles de se produire dans un tel réacteur électrogène, qui ne serait en tout état de cause pas en service avant 2050 et qui doit encore être conçu et bâti. Les aspects opérationnels de ce projet concernent donc le siècle prochain.

L'objectif est de parvenir à un premier plasma en 2025. Cette machine est très complexe et son fonctionnement constitue une véritable performance technologique. Nous en sommes à 60 % d'avancement sur la feuille de route, un état compatible avec les délais impartis, le projet est suivi avec rigueur par le directeur général d'ITER Organisation, dont je vous rappelle qu'il s'agit d'un consortium international dont la France n'est membre qu'à travers l'Union européenne.

Sur le Brexit, le domaine atomique est aujourd'hui celui dans lequel le processus est le mieux géré, car il s'inscrit dans le cadre du traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom). Toutes les situations, en cas de deal comme de no deal, ont été anticipées pour garantir la fluidité de la coopération et des approvisionnements en matière.

Je n'ai pas le droit d'évoquer Epure avec vous, mais cela fonctionne très bien.

Sur la sécurité énergétique et l'approvisionnement en uranium, nous avons sécurisé, par le biais d'Orano, un certain nombre d'accès à la matière dans le monde, à travers des mécanismes, des stocks et des réserves. Nous ne rencontrons pas de difficulté particulière au vu des prix du marché aujourd'hui, mais nous devons être vigilants sur les signes précurseurs de tensions, ainsi que je vous l'ai indiqué, et, le moment venu, être prêts à aller plus vite sur la fermeture du cycle. Nous avons toutes les cartes en main.

En matière d'assainissement et de démantèlement, M. Roland Courteau a raison de me rappeler ce que j'avais avancé en avril 2018, je n'ai pas changé d'avis.

Tout d'abord, nos propres processus au sein de nos installations doivent être exemplaires, sous le contrôle des deux autorités de sûreté civile et de défense. Après deux années d'investigations, celles-ci ont conclu que c'était le cas.

Ensuite, la filière assainissement et démantèlement est compliquée à structurer, parce que les chantiers sont incertains, et souffrent d'une faible connaissance de l'historique. Il ne me semble pas évident que les mécanismes contractuels actuels soient adaptés à cela. Avec le groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN), nous envisageons de créer les conditions d'une telle structuration en permettant de tester des technologies et des méthodes sur des chantiers notamment du CEA, en offrant des formations pour consolider les compétences dans la filière, et en étudiant les moyens de coordonner une offre à l'export. Tout ne se fait pas en un jour, mais nous continuons à pousser en ce sens.

J'en viens à l'hydrogène. Le CEA est convaincu qu'une partie importante doit être jouée sur ce thème. Tous les travaux que nous avons conduits sur la pile à combustible en matière de mobilité ont été repris dans le monde industriel, Michelin et Faurecia ont, par exemple, conclut un partenariat sur la base d'une technologie issue du CEA, qui apparaît donc comme une option crédible.

Au-delà, le CEA travaille sur une technologie d'électrolyse à haute température, avec une source d'électricité verte, sans CO2, pour produire de l'hydrogène avec un rendement et une qualité comparables ou meilleurs que ceux des produits disponibles aujourd'hui sur le marché.

En outre, ces recherches ouvrent une autre voie en matière de capture du CO2, qui serait susceptible d'être utilisé dans cet électrolyseur pour produire des gaz synthétiques. Des industriels importants sont intéressés par cette technologie et nous préparons un tour de table pour monter une société.

Nous disposons déjà d'un atelier pilote à Grenoble, avant de monter en régime pour aller vers une production industrielle de stacks, les éléments de base de l'électrolyse. L'usage final pourrait être, par exemple, la propulsion de navires, parce que les grandes compagnies de navigation subissent de fortes pressions pour réduire leur empreinte carbone, ou le stockage, mais aussi la capture et l'usage du CO2.

Il s'agit, pour nous, d'une priorité importante, au bénéfice de laquelle des moyens ont été redéployés en interne, de manière à disposer d'une approche intégrée de l'énergie, qui ne se contente pas d'envisager le nucléaire d'un côté et les énergies renouvelables de l'autre.

Le CEA est comptable d'une énergie décarbonée dans laquelle le nucléaire a toute sa place et soumet au Gouvernement différents scénarios. Dans cette perspective, l'hydrogène est un élément majeur, avec une feuille de route, des étapes prévues en 2021 et en 2023 et la création d'entreprises dédiées.

Le projet de loi relatif au climat et à l'énergie est adapté à nos activités de recherche, car il donne le signal de la décarbonation, qui est important pour nous vis-à-vis de nos partenaires industriels.

Mme la Sénatrice Marie-Noëlle Lienemann m'a interrogé sur les algues, ce qui me rappelle d'anciennes fonctions, dans la mesure où cette question concerne plus l'Ifremer que le CEA. Toutefois, des équipes du CEA s'y intéressent effectivement. Historiquement, la biologie au CEA est issue de la volonté de comprendre les effets de la radioactivité sur l'environnement et le comportement des plantes sur des sols contaminés. Une unité spécialisée de Cadarache contribue ainsi à la décontamination des sols à Fukushima par la concentration de la radioactivité dans les plantes.

Des équipes s'intéressent également aux micro-algues susceptibles d'initier des mécanismes ou de produire des éléments. Toutefois, si, pour l'hydrogène ou pour l'hétérojonction photovoltaïque, nous en sommes à la phase de développement industriel, dans ce domaine, les applications sont prévues à moyen terme.

Une autre piste à moyen terme est la fermeture du cycle du carbone, à partir des mécanismes fondamentaux de la photosynthèse qui permettrait de consommer et de traiter du CO2, voire de produire d'autres matériaux. Ces technologies ont fait l'objet d'une initiative flagship européenne et mobilisent des équipes de recherche du CEA et du CNRS, qui sont complémentaires, car le CEA touche à la fois à la recherche fondamentale et à l'industrie.

M. le Sénateur Roland Courteau, vous m'avez interrogé sur les plateformes régionales de transfert technologique (PRTT). Celles-ci rassemblent 200 personnes sur sept plateformes présentes en région, qui ont pour mission de faire la jonction avec le tissu industriel que l'on voit le moins. Les grands industriels nous connaissent bien, nous avons conclu de longue date toutes sortes de partenariats avec eux ; en revanche, avec les PME, qui sont une des clés du développement industriel, les liens sont plus difficiles à nouer.

Ces dispositifs ont ainsi permis de signer une centaine de contrats, après la prospection de 300 ou 400 entreprises, qui traitent chacun un problème concret rencontré par une PME. Ces contrats peuvent être limités, mais si une difficulté est levée grâce à eux, nous avons le sentiment de faire oeuvre utile.

Ce dispositif avait été accueilli avec un certain scepticisme, ce n'est plus le cas maintenant, car il n'a pas pris la place des mesures existantes, mais répond à des besoins qui ne sont pas couverts. Nous sommes disposés à mettre cet outil à disposition de nos partenaires afin de partager des solutions qui ne sont pas issues du CEA et de simplifier un paysage compliqué.

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