Je laisserai Renaud Villard répondre aux questions sur l'article 52 et sur l'évolution tendancielle des comptes.
Puisque vous me posez une question personnellement, je vous répondrai à titre personnel. Mon avis n'est pas forcément celui du conseil d'administration de la Cnav, qui, sur le sujet, n'a d'ailleurs pas d'avis, car nous évitons de débattre des sujets qui ne concernent pas la gestion directe de l'organisme et ainsi de nous fâcher. Mon avis n'est pas non plus forcément celui de mon organisation. Entre ma réflexion propre et mon expérience de président de la Cnav, je regarde les choses sous le prisme du réalisme.
Comme je suis profondément attaché à la sécurité sociale et à la retraite par répartition, je n'accepte pas, en tant que président de la Cnav, mais aussi en tant que citoyen, la dérive, même lente, des comptes, laquelle met en danger, alors que l'on parle d'une réforme systémique, le devenir de notre système, qui est assez largement apprécié à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières.
Avant de parler des mesures d'âge ou de durée, j'évoquerai les conditions qui permettent à des assurés du régime général ou d'autres régimes de partir plus tôt que d'autres, en fonction d'un certain nombre de critères plus ou moins anciens. Je veux bien qu'on invoque l'histoire, mais le régime général et son régime frère, l'Argirc-Arrco, pourraient en effet être les dindons de la farce d'une réforme systémique qui serait supportée, notamment économiquement, par les salariés de l'ancien régime général et par les entreprises. Je pense aux entrées différenciées ou éloignées dans le système de certains membres de régimes spéciaux, au maintien pendant un certain nombre d'années, voire de décennies, de dispositions particulières, par exception à la règle générale qui prévaudrait pour 85 % de la population cotisante du nouveau système.
Je considère que les retraites anticipées pour carrières longues étaient pleinement justifiées en 2003-2004, car elles bénéficiaient à une population qui avait commencé à travailler à 14 ou 15 ans, et alors que l'on s'apprêtait à porter l'âge légal de la retraite à 62 ans. On ne pouvait pas traiter ces salariés de la même façon que ceux qui avaient commencé beaucoup plus tard. Il s'agissait de prendre en compte une forme de pénibilité en termes de durée de l'activité professionnelle. Les populations concernées étaient des ouvriers, au sens manuel du terme. Il s'agissait de personnes qui avaient connu des débuts de carrière, voire une carrière complète, extrêmement pénibles.
Soyons réalistes, les départs anticipés servent à faire passer des pilules. Ils ont ainsi servi à faire passer la pilule des 62 ans. Idem en 2012-2014, sauf que là, des moyens spécifiques ont été mis sur la table, les cotisations ayant augmenté. Aujourd'hui, les carrières longues sont moins nombreuses, mais elles représentent toujours entre 20 % et 25 % de nos flux de départ. La situation n'est plus du tout la même. Je rappelle que ces départs anticipés concernent les plus grosses retraites, les salariés concernés ayant eu la chance de faire des carrières complètes, sans rupture pour cause de maladie, de chômage, de congé maternité ou parental. Ce sont majoritairement des hommes, qui ont commencé à travailler avant l'âge de vingt ans et qui sont issus du secteur tertiaire. Il me semble donc que l'on dévoie là les principes de solidarité de la sécurité sociale. La règle devrait être « trimestres plus âge » pour tous. Ces salariés devraient cotiser un peu plus longtemps que d'autres, par solidarité.
Je pense que l'on doit mettre fin aux dispositifs injustifiés et dégager de l'argent - les carrières longues représentent 3 milliards d'euros pour le seul régime général. Voyons combien on peut réaffecter à l'équilibre général du système et, pour partie, à une véritable prise en compte de la pénibilité des métiers qui, aujourd'hui, n'est pas traitée.
L'amorce a été faite par la loi de 2014, très rapidement remise en question. Le C3P a été transformé en C2P. On était dans la demi-mesure ; on est tombé dans le quart de mesure. La vraie pénibilité, dans le régime général, n'est pas prise en compte ; or il faut absolument la traiter. Celles et ceux qui ne relèvent pas de cette situation doivent, quelle que soit leur durée d'assurance, contribuer au régime jusqu'à l'âge légal.
Des réflexions sont en cours sur l'emploi des seniors. Tant que l'on arrêtera la formation professionnelle à 40 ou 45 ans, il est évident que l'on aura des quinquagénaires inemployables. On les laisse sur la touche puis on considère qu'ils ne savent plus rien faire - c'est un peu facile. Ce n'est ni le Parlement ni même le Gouvernement qui sont responsables de cette situation. Il faut une prise de conscience collective. Conditionnons une partie des exonérations de cotisations à l'emploi des seniors. C'est tout de même 32 milliards d'euros.
Mettons à plat tous les départs anticipés, dans toutes les catégories socioprofessionnelles ; redynamisons l'emploi des seniors, avant d'examiner les mesures nécessaires. Je considère qu'il n'est peut-être pas inéluctable de regarder du côté de l'âge légal - c'est un avis personnel. Le report de l'âge légal est la mesure la moins injuste dans un système en annuités. Je n'adhère pas au système en points, même si ce n'est pas lui qui est mauvais, mais le système universel à trois plafonds de sécurité sociale. Si le Gouvernement avait limité son ambition à un seul plafond, on aurait pu préserver la démocratie sociale qui s'est exercée par la création et la gestion rigoureuse et positive des systèmes de retraite complémentaire des salariés et non-salariés. En noyant tout cela, on a une appropriation collective des plus de 160 milliards d'euros des différentes réserves.