Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 24 octobre 2019 à 10h30
Pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, présidée par Jean-Marie Bockel, nous soumet aujourd’hui une proposition de résolution qui est le fruit d’un long travail achevé avec la présentation, au mois de juin dernier, d’un excellent rapport sur la réduction du poids des normes en aval de leur production, sorte de cauchemar récurrent de l’ensemble des élus locaux.

La réduction du nombre de normes est évidemment une préoccupation extrêmement importante, régulièrement exprimée au Sénat. On le sait, un peu plus de 400 000 normes réglementaires s’imposent aux seules collectivités locales et les enferment très souvent dans un coûteux carcan juridique.

Cette « incontinence normative », pour reprendre les termes employés par MM. Lambert et Boulard dans leur rapport de 2013, est un obstacle considérable à l’initiative. Elle est surtout contreproductive à l’efficacité de l’action publique, qui nous est chère et dont nous n’avons cessé de parler pendant ces quinze derniers jours. Elle l’est a fortiori dans un contexte de crise économique et de baisse des ressources des collectivités.

Les normes sont souvent, nous n’arrêtons pas de le dire, un empêchement de faire !

Mais ce matin, nous débattons plus spécifiquement du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets, une sorte de rêve pour les élus locaux, qui constitue un aspect important de cette thématique.

Il convient en effet de s’intéresser aux outils qui permettent d’accompagner avec souplesse et pragmatisme les élus sur le terrain, à savoir l’« interprétation facilitatrice » et le pouvoir de dérogation des préfets.

Et ce que nous examinons ce jour est bien, mes chers collègues, une facette de la différenciation territoriale.

On ne cesse de parler de différenciation territoriale depuis plusieurs mois, à commencer par le Gouvernement. Ce fut en effet un axe très important du dernier discours de politique générale du Premier ministre, et Mme la ministre Jacqueline Gourault est en ce moment en pleine consultation afin de préparer le texte qu’il est maintenant convenu d’appeler le projet de loi 3D.

Les centristes du Sénat, par nature, par essence et par conviction décentralisateurs, ne sont pas en reste sur le sujet. En effet, nous avons organisé, au mois de septembre dernier, un colloque sur la différenciation territoriale qui a connu un certain succès, Jean-Marie Bockel l’a rappelé.

Des mesures de différenciation territoriale, nous en avons adopté un certain nombre au cours des deux semaines passées lors de l’examen du texte Engament et proximité, présenté par le ministre Sébastien Lecornu. Eh oui, comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous faisons de la différenciation sans le savoir ! Nous la souhaitons néanmoins.

Aujourd’hui, il est question d’une forme particulière de différenciation, qui concerne non pas l’organisation territoriale, mais l’adaptation des normes ou, plus précisément, l’adaptation des normes à la diversité et à la spécificité des territoires.

Rappelons-le très fortement, différenciation rime avec déconcentration. Il n’y aura pas de différenciation sans déconcentration !

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble de cette proposition de résolution, mais je tiens à insister sur ses trois derniers points, qui me semblent stratégiques.

« Envisager la possibilité pour le représentant de l’État de déroger à des décisions relevant de la compétence des autorités supérieures » : il faut que les préfets aient cette possibilité de dérogation. C’est une nécessité pour commencer à s’extraire de l’inertie de la technostructure administrative à laquelle il arrive d’être un peu trop conceptuelle et normative. Dans la mise en œuvre de tel ou tel projet, les élus doivent savoir que leur préfet détient en propre une réelle faculté d’adaptation, laquelle les dispense d’en référer systématiquement à une autorité supérieure, à Paris.

« Étendre le droit de dérogation en l’ouvrant aux autorités décentralisées pour les actes individuels des collectivités territoriales relevant de leurs compétences » : cette deuxième proposition est liée à la précédente. Là encore, la finalité est que les élus aient face à eux une autorité pleinement déconcentrée et sécurisée, une autorité qui représente l’État, mais à laquelle on a conféré une autonomie de décision suffisante lui permettant d’accorder des dérogations.

« Envisager de permettre aux collectivités territoriales de déroger, sur leur demande, aux normes législatives ou réglementaires relatives à leurs compétences, sous réserve d’un mécanisme politique empêchant la survenance d’abus et garantissant l’égalité des citoyens devant la loi » : cette dernière proposition, probablement la plus ambitieuse, serait de facto une nouvelle étape fondamentale de la décentralisation. Une décentralisation qui ferait le choix de la différenciation, d’une adaptation aux réalités locales avec, comme priorité, l’amélioration de la qualité des politiques publiques au bénéfice de nos concitoyens.

Si nous appelons de nos vœux ces évolutions, je partage pour autant la réserve formulée par les auteurs de la proposition de résolution, qui insistent sur la nécessité de mettre en place « des mécanismes concrets permettant d’empêcher des abus locaux qui, une fois installés, seraient difficiles à corriger. »

Je tiens à saluer, une fois encore, la qualité du travail de nos deux collègues, Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud. Nous espérons que leurs propositions seront entendues par le Gouvernement dans les mois à venir, notamment dans le cadre du projet de loi 3D.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste, convaincu que la décentralisation arrivera un jour, partage l’intégralité des préconisations de cette proposition de résolution. Sans surprise, nous la voterons à l’unanimité.

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