Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 24 octobre 2019 à 10h30
Pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Je le sais, cher Jean-Marie Bockel. M. Lambert a dû vous dire que les conditions de travail n’étaient pas idéales. Bien souvent, les textes sont transmis très tardivement par le Gouvernement, et le CNEN éprouve des difficultés à formuler un avis dans les délais qui lui sont impartis. Il me semble qu’une des pistes serait de lui donner plus de moyens et de latitude pour remplir sa mission, qui est très utile.

Ainsi, dans le domaine sportif, quand l’excellente Fédération française de basket-ball – vous savez que nous n’avons rien contre le basket-ball – impose de changer les tableaux d’affichage faute de quoi le terrain ne serait pas homologué, la décision qu’elle prend entraîne des dépenses publiques dans plusieurs centaines de communes, alors que la question de savoir si c’est absolument nécessaire et si les collectivités territoriales n’ont pas d’autres priorités se pose légitimement. Par conséquent, il est bon que des élus et leurs représentants puissent dire en amont que ce n’est pas la bonne méthode et qu’il faut se centrer sur d’autres sujets.

Venons-en à nos préfets. J’ai une idée, peut-être simpliste – mais je ne crois pas –, de la fonction de préfet. Le rôle du préfet est non pas d’adapter les lois ou les décrets, mais de les appliquer ; si quelqu’un a ce rôle, c’est bien lui. Il représente l’État ; c’est une banalité de le rappeler. Que figurent dans la loi et dans d’autres textes des possibilités d’adaptation, très bien !

Permettez-moi de citer deux anciens Premiers ministres. En 2013, Jean-Marc Ayrault demandait aux préfets de veiller à ce que leurs services « utilisent toutes les marges de manœuvre autorisées par les textes » ; cela me semble très clair. En 2016, Manuel Valls s’adressait aux préfets en ces termes : « Il vous appartient d’utiliser toutes les marges de manœuvre, dans le respect des textes législatifs et réglementaires en vigueur » ; cela me paraît de bon sens.

Mon groupe pense donc qu’il faut faire preuve de prudence. Le préfet du Haut-Rhin, que M. le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation cite à juste titre dans son rapport, déclarait, à propos du décret de décembre 2017 : « Ce décret a soulevé un important paradoxe. Lors de sa parution, il a en effet suscité une grande inquiétude ». Il poursuivait en évoquant « la possibilité d’une incertitude juridique puisqu’une décision prise sur dérogation s’avère plus fragile juridiquement, ainsi qu’[un] risque de donner l’impression d’un État arbitraire prenant des décisions différentes en fonction des demandeurs et des collectivités territoriales concernées. » C’est ce que dit un préfet de la République !

Je fais également observer que M. le préfet de Vendée a utilisé cette possibilité d’expérimentation des dérogations dans une décision en faveur d’un parc éolien en évitant la réalisation d’une étude d’impact et d’une enquête publique. J’ignore ce que dirait une juridiction administrative si elle était saisie d’un tel sujet.

Nous sommes donc partisans d’une certaine prudence. Certes, c’est effectivement une bonne idée d’adapter les normes, d’expérimenter, de trouver la souplesse nécessaire et de s’adapter au terrain. Mais il faut que ce soit prévu par la loi et les autres textes et que le préfet fasse ce qu’il a à faire, c’est-à-dire représenter l’État, appliquer la loi et les instructions des ministres.

Nous voterons contre la présente proposition de résolution, parce que nous sommes attachés à la distinction des rôles et à la séparation des pouvoirs. La décentralisation n’est pas la négation de l’État ; elle est seulement la négation d’un État omnipotent qui voulait faire trop de choses au risque de ne pas bien les faire.

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