Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début du mandat, le Gouvernement partage une conviction : il faut répondre aux questions des territoires en fonction des territoires.
Notre République est une et indivisible, et je suis naturellement profondément attaché à ce principe de notre Constitution. Toutefois, l’unité signifie que nous devons trouver les meilleures manières de faire appliquer nos lois, les meilleurs moyens de faire valoir les principes de la République.
Nous ne pouvons donc pas être aveugles face aux problématiques différentes des territoires et qui appellent, pour une même fin, des moyens parfois distincts.
C’est avec cette conviction qu’un décret du 29 décembre 2017 a permis l’expérimentation du droit de dérogation des préfets. Tous les orateurs ont rappelé ce texte qui permet une gestion au cas par cas plus efficace et pragmatique de certaines questions clés, comme l’aménagement du territoire, l’urbanisme, l’emploi et l’activité économique, ou encore la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel.
Nous avons mis certaines contraintes et conditions à cette expérimentation. Ainsi, celle-ci doit être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales – j’y reviendrai. Elle doit également avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques. Elle doit encore se limiter à la dérogation à des normes de niveau réglementaire, à l’occasion de décisions individuelles. Elle doit aussi être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France. Enfin, elle ne doit pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, pas plus qu’une atteinte disproportionnée aux objectifs fixés par les dispositions auxquelles il est dérogé.
Cette expérimentation concerne un nombre limité de départements – dix-neuf – et court sur une période de deux ans. Cependant, dès maintenant, nous pouvons commencer à en saisir l’utilité et les bénéfices. De ce point de vue, je tiens à saluer le travail mené par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, qui s’est penchée sur ce sujet et a produit au mois de juin dernier un rapport d’information particulièrement intéressant sur la réduction du poids des normes pour les collectivités.
Je crois que, sur ce thème, nous avons tout intérêt à avancer ensemble et je constate par le biais de cette proposition de résolution des sénateurs Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud que nous regardons dans la même direction.
La première vertu de cette proposition de résolution est qu’elle constate tout l’intérêt du pouvoir de dérogation aux normes des préfets. Sur ce point, le Gouvernement est en plein accord.
Ensuite, ce texte comporte des avancées que je veux saluer. Je pense à la systématisation des mécanismes de suivi et d’évaluation. C’est une mesure saine, utile et profitable à tous.
Je pense également à l’idée d’édicter un guide de bonnes pratiques, qui est particulièrement pertinent et pourrait servir à tous les préfets et aux collectivités.
D’autres exemples me viennent à l’esprit, comme un effort de communication sur la simplification des normes. C’est une volonté que le Gouvernement partage, et je peux d’ores et déjà indiquer que plusieurs pistes sont étudiées, comme la création de contenus dédiés sur les sites gouvernementaux, des communications plus régulières auprès des membres du corps préfectoral, ou encore la création de modules de formation en la matière.
J’ajoute que certains des points soulevés dans la proposition de résolution sont déjà en partie mis en place. Je citerai à cet égard deux exemples.
D’une part, l’idée de consulter les préfets expérimentateurs, afin d’avoir un retour sur expérience, est évidemment judicieuse. Nous avons déjà engagé ce travail. Le texte propose également d’aller plus loin, notamment en associant les élus à cette évaluation. C’est une suggestion intéressante, qu’il faudra creuser.
D’autre part, donner aux préfets la capacité de consulter les administrations centrales pour des questions particulièrement complexes est une bonne chose, mais elle existe déjà. Les préfets ont même la possibilité de saisir les tribunaux administratifs ou les cours administratives d’appel pour avis, au-delà de la consultation de leurs administrations centrales.
En revanche, je ne vous cache pas une plus forte réserve sur l’idée de créer une instance départementale en matière de simplification. Comme je le disais à l’instant, il existe aujourd’hui d’ores et déjà des moyens faciles pour que les préfets bénéficient d’éclaircissements sur des points de droit précis ; il pourrait donc être redondant, voire un peu contradictoire, de créer cent commissions départementales sur la simplification administrative.
Enfin, le texte de la proposition de résolution identifie des pistes pour élargir la possibilité de déroger aux normes. Vous le savez, le Gouvernement n’est pas étranger à cette philosophie, mais il ne peut se retrouver totalement dans les propositions qui sont formulées.
D’abord, il paraît important d’attendre le retour sur expérience et l’évaluation du dispositif avant d’en élargir le champ. Pour autant, il est clair que, dans son principe et pour les domaines où elle est pratiquée, cette expérimentation a permis de réelles avancées. Elle doit donc être non seulement reconduite, mais étendue à tout le territoire national.
À cet égard, je rappelle que le droit de dérogation s’applique à des décisions individuelles. Il ne s’agit pas d’une différenciation territoriale qui consisterait à appliquer les normes différemment d’un territoire à l’autre. D’une manière générale, ces décisions sont prises en tenant compte des circonstances locales, lesquelles doivent justifier l’arrêté de dérogation. D’ailleurs, et c’est un élément important, cet arrêté doit être motivé.
M. le sénateur Sueur a évoqué à juste titre les risques de contentieux, mais, comme je l’ai rappelé, cet arrêté est pris en application d’un décret. À notre connaissance, à ce jour, hormis le recours contre l’arrêté visé précédemment, qui a d’ailleurs été rejeté, sur les 134 arrêtés qui ont été pris – M. Collombat a avancé le nombre de 140 –, aucun n’a fait l’objet d’un recours.
En Vendée, où un arrêté a permis de déroger à certaines procédures, pour reprendre l’exemple cité par M. Sueur, le préfet avait conduit des concertations informelles préalables, notamment avec des associations environnementales. Cet arrêté n’a pas été attaqué : c’est bien la démonstration de toute la pertinence de ce dispositif, qui fait appel à l’audace de nos préfets.
Monsieur le sénateur Collombat, pour avoir été moi-même préfet, je pense que l’ensemble des préfets français partagent ce sentiment ; et ils sont tous très audacieux. D’ailleurs, je remercie François Calvet de leur avoir adressé un satisfecit, très apprécié par le ministère de l’intérieur. On peut compter sur les préfets, je sais que vous le savez, pour appliquer cette mesure avec beaucoup de tact et de justesse et pour apprécier les situations.