Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux de ce débat sur un dossier tragique. Il nous permet de nous prononcer sur l’offensive massive et sanglante menée par la Turquie et ses supplétifs dans le nord-est de la Syrie contre les combattants kurdes.
Notre émotion est vive, car l’accord de trêve négocié entre Washington et Ankara prendra fin dans près de six heures, et l’issue est incertaine.
Notre groupe condamne avec fermeté et gravité cette opération militaire lancée par la Turquie depuis quatorze jours ; cette violation flagrante du droit international doit cesser.
La décision d’Ankara, qui a été rendue possible par le retrait des forces américaines, constitue, comme l’ont dit les collègues qui m’ont précédé, une faute politique, morale et stratégique.
Il s’agit d’une faute politique aux conséquences humanitaires dramatiques, d’abord, car elle exacerbe les souffrances des Syriens, déjà éprouvés par une guerre civile qui n’a que trop perduré, depuis 2011. Dès les premiers jours, le nombre des déplacés a été alarmant. Parmi les 166 000 personnes déplacées, l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, a compté 70 000 enfants.
Il s’agit d’une trahison, ensuite, parce que cette offensive a été lancée contre des femmes et des hommes qui sont nos alliés dans la lutte contre le terrorisme, au sein de la coalition internationale mise en place par les États- Unis en 2014 et dont la Turquie fait partie.
L’engagement des combattants kurdes dans ce combat commun a été remarquable, comme à l’habitude. Sans leur aide décisive et sans leur sacrifice ultime, nous n’aurions pu aboutir aussi vite à la fin de la bataille territoriale contre Daech en Syrie et à la libération de l’Irak. Avec la gravité qu’il se doit, nous leur témoignons notre entière solidarité. À cet égard, quelle confiance et quelle crédibilité peut-on accorder à une alliance militaire si elle débouche inopinément sur une telle trahison ?
Il s’agit, enfin, d’une faute stratégique, parce que cette décision sape cinq années de combats intensifs pour la stabilisation de la région, sans parler de la sécurité des camps de détenus djihadistes et des prisons situés à proximité de la frontière irakienne. Le risque de résurgence de Daech sur les cendres de ce chaos est élevé, et la Turquie porte désormais une forte responsabilité.
Comment parler de « grand jour pour la civilisation », comme l’a fait le président des États-Unis, au sujet d’une trêve négociée en l’absence des principaux acteurs concernés et entérinant une capitulation devant les revendications turques ?
Avec l’inconstance du président Trump, qui s’est brusquement ravisé pour imposer un accord précaire, c’est la crédibilité occidentale, celle de l’Alliance atlantique et du monde libre face au totalitarisme, qui se trouve affaiblie. La Russie et l’Iran, eux, sortent revigorés de ce chaos, qui redore leur blason, et ils apparaissent représenter une alternative crédible en vue d’une sortie de crise en Syrie.
Cette situation doit pousser à un réveil des consciences en Europe. Nous ne pouvons plus laisser l’histoire se faire sans nous. Nous ne pouvons plus faire l’économie d’une autonomie stratégique européenne, telle que défendue par le Président de la République via son agenda de renforcement de la souveraineté européenne.
Notre groupe sait déjà pouvoir compter sur la détermination résolue du Gouvernement à s’engager « en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l’offensive militaire » turque. C’est pourquoi il soutiendra cette proposition de résolution.
Nous devons multiplier les efforts diplomatiques, en étroite coordination avec nos partenaires de la coalition anti-Daech, dans le cadre de l’Union européenne, de l’OTAN et du Conseil de sécurité. La voie diplomatique est la seule qui doive être empruntée pour régler ce conflit.
Le Président de la République a dernièrement annoncé une initiative commune avec la Chancelière allemande et le Premier ministre britannique en vue de rencontrer le président turc en marge du sommet de l’OTAN de décembre. Nous nous en félicitons et espérons qu’une démarche forte permettra d’avancer vers la résolution de ce conflit.