Intervention de Rémi Féraud

Réunion du 22 octobre 2019 à 14h30
Offensive militaire turque au nord-est de la syrie — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Rémi FéraudRémi Féraud :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la semaine dernière, nous sommes nombreux à avoir interpellé le Gouvernement sur la réponse que la France doit apporter à l’agression militaire turque.

Le 9 octobre, en effet, les troupes d’Erdogan ont envahi le nord de la Syrie, en complète violation du droit international et à la suite d’une nouvelle volte-face du président Trump, qui confine à la trahison.

En visant les Kurdes du Rojava, qui ont combattu si courageusement et si efficacement à nos côtés, le président turc a mis à mal une situation déjà très fragile et menace notre propre sécurité, car son action ouvre la voie à la résurgence du terrorisme islamiste jusque sur notre sol. N’oublions pas les crimes de guerre qui sont commis depuis quelques jours dans le nord de la Syrie ; n’oublions pas non plus que les supplétifs de l’armée turque sont des milices islamistes.

Je veux remercier le président Retailleau d’avoir pris l’initiative de cette proposition de résolution, que j’ai cosignée avec Patrick Kanner et Christian Cambon. Elle vise à engager la France dans la recherche d’une sortie de cette situation dramatique, une situation profondément injuste quand on connaît l’engagement des Kurdes aux côtés de la coalition internationale contre Daech et particulièrement dangereuse pour l’avenir, tant elle nous affaiblit face au terrorisme islamiste.

Certes, la situation géopolitique est complexe, et le nord-est syrien est aujourd’hui au carrefour de toutes les influences qui s’exercent au Moyen-Orient.

Certes, les présidents américain et turc ont pris des décisions très néfastes, chacun pour des raisons de politique intérieure.

Certes, l’Iran constitue sans faiblir un axe chiite, porteur, d’ailleurs, de graves conflits à venir.

Certes, la Russie, quant à elle, poursuit avec détermination une politique cynique et brutale de soutien au régime syrien, en cohérence avec ses ambitions régionales, tandis que l’Europe reste faible de ses divisions et de son manque d’ambition.

Leur lâchage contraint aujourd’hui les Kurdes à passer, sous l’égide de la Russie, un marché de dupes avec le régime syrien. Ils n’ont malheureusement pas d’autre choix.

Le message que nous adressons ici, c’est celui du refus du fatalisme, car l’Europe n’est faible que de son manque de volonté. Aujourd’hui, seule la France peut, avec l’Allemagne, l’entraîner à affirmer la défense de ses valeurs, de ses alliés et de ses intérêts.

Sanctions économiques contre un pays, la Turquie, largement dépendant de ses échanges avec l’Europe, sanctions contre les dirigeants turcs détenant des avoirs à l’étranger, demande de suspension de la participation de la Turquie à l’OTAN, arrêt des négociations d’adhésion à l’Union européenne, saisine du Conseil de sécurité : les leviers d’action ne manquent pas, mais nous n’en utilisons aucun ou presque. Si elle était, bien sûr, nécessaire, la demande d’une réunion de la coalition internationale contre l’État islamique formulée par le Gouvernement n’en est pas moins très insuffisante.

Je rappellerai la résolution 688 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en avril 1991, qui permit l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne dans le nord de l’Irak. Âprement négociée par François Mitterrand, elle visait déjà à protéger les populations kurdes du nord de l’Irak, et elle l’a effectivement permis.

Aujourd’hui, en 2019, il manque jusqu’aux symboles. Bruno Retailleau l’a souligné, le Gouvernement n’a même pas rappelé notre ambassadeur en Turquie, alors qu’il avait rappelé, il y a peu, notre ambassadeur à Rome. Or en attaquant les Kurdes, la Turquie nous a attaqués nous-mêmes, d’autant que nous leur sous-traitons la prise en charge des prisonniers djihadistes.

Erdogan comprend très bien le langage de faiblesse. Nous devons sortir de la posture défensive et de l’impasse dans lesquelles nous nous sommes nous-mêmes placés. Cette proposition de résolution vise à encourager la France à reprendre l’initiative et à ne pas renoncer à faire entendre la voix de l’Europe. Nous sommes convaincus qu’il est encore temps d’éviter d’avoir et la guerre, et le déshonneur. Notre groupe votera donc cette proposition de résolution avec conviction.

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