Intervention de Jean Bizet

Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne — Réunion du 12 juin 2019 à 17h08
Entretien avec une délégation de la chambre des lords

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Monsieur le Président, mes chers collègues, messieurs, permettez-moi de vous souhaiter à mon tour la bienvenue au Sénat. Je ne vous poserai pas la question du prochain premier ministre. Mais les fondamentaux demeurent. J'étais moi-même sur la frontière irlandaise il y a 48 heures, et j'en ai la certitude : une frontière virtuelle, avec des drones, ne résoudra pas le problème !

Je ne reviendrai pas non plus sur les dernières élections. Elles ont vu un succès des libéraux démocrates, et la question se pose de nouveau : un nouveau référendum serait-il possible ? Dans l'hypothèse d'un résultat positif, pourrait-il faire évoluer les positions de la classe politique britannique ?

J'ai une troisième question sur les propos du président Trump, qui a proposé au Royaume-Uni un accord de libre-échange, qu'il a qualifié de phénoménal. Cet accord n'est cependant peut-être pas aussi intéressant qu'il le semble car il faudrait que le Royaume-Uni change un certain nombre de ses normes, s'interdise de commercer avec la Chine, et accepte de réfléchir à une évolution de son système de santé, le NHS. Alors dans ces conditions, au niveau du Parlement britannique, un tel accord séduit-il toujours autant ? Par ailleurs, la Commission européenne, par l'intermédiaire de Michel Barnier, a répondu fermement aux propos de Boris Johnson : toute discussion sur les relations futures ne sera possible que si le Royaume-Uni respecte ses engagements financiers.

Enfin, je voudrais insister sur l'environnement mondial turbulent, très inquiétant, dans lequel les présidents Trump et Poutine attisent les braises. L'Europe assiste à une véritable guerre technologique et ne peut rester qu'une simple spectatrice. Nous avons donc tout intérêt à repenser l'Union européenne.

Je salue ainsi votre initiative de rencontrer les différentes capitales. Soyez sûrs que le Sénat, et en particulier ses deux commissions que nous représentons, est très attentif et soucieux de garder dans de nombreux domaines des relations très étroites avec nos partenaires britanniques. L'union fait la force, au-delà de l'attraction et la passion qui lient nos deux peuples, ainsi que l'ont montré les récentes cérémonies du 75ème anniversaire du débarquement.

Lord Robin Teverson. - Merci messieurs les Présidents de nous accueillir aujourd'hui. Cela fait maintenant trois ans que les Britanniques ont voté pour sortir de l'Union européenne. Un de mes opposants me disait à l'époque que peu importait le résultat, l'important était que celui-ci soit tranché et décisif. Or ce n'est pas le cas. Ce qui est triste pour le Royaume-Uni, c'est que notre pays est très divisé quant à notre relation future avec l'Union européenne. Il est intéressant de remarquer que Theresa May concevait une différence entre les citoyens du Royaume-Uni et ceux qui venaient de « nulle part », les mondialistes.

Les élus sont aussi divisés : les libéraux se positionnent sur le référendum, les partis nationalistes, le parti travailliste ne s'accorde pas, nous n'avons pas su trancher. Le pire, c'est que certains des plus fervents partisans du Brexit et du Remain ont empêché ensemble que l'accord soit adopté. La Première ministre a même connu la plus lourde défaite de l'époque moderne. Les positions se sont durcies, jusqu'à la démission de Theresa May. Elle est à l'heure actuelle toujours première ministre, mais il y aura bientôt une nouvelle élection. Il y a un éventail assez large de candidats. Un ou deux sont prêts à accepter un no deal. Les onze candidats seront réduits au nombre de deux et le vainqueur sera connu aux alentours du 23 juillet après consultation des membres du parti conservateur. Tout le monde est dans l'expectative. Boris Johnson est le favori des bookmakers, du Parlement aussi certainement. Mais l'histoire nous a montré que ce n'est pas toujours le « cheval de tête » qui gagne. M. Johnson a ses admirateurs et ses détracteurs. Il n'a pas toujours joint le geste à la parole, mais il se contrôle beaucoup ces derniers temps, nous verrons. Ce qui est certain, c'est que nous aurons peu de temps avant le 31 octobre alors que beaucoup de candidats veulent un nouvel accord. La question du « backstop » sera au coeur des discussions. On nous demande souvent : que va-t-il se passer ? Nous ne faisons plus de prédictions, car elles ne se sont jamais avérées exactes. Les acteurs économiques, les entreprises sont inquiets.

Sur la sécurité et la défense, nous sommes très attentifs. Nous sommes conscients de notre relation étroite avec les États-Unis, et nous voulons veiller à ce que le président Trump se saisisse de la question de l'OTAN avec beaucoup de sérieux, ce qui n'a pas toujours été le cas. Nous sommes bien évidemment aussi très conscients de l'émergence de la Chine, et de la menace de la Russie. Ironie de l'histoire : nous nous intéressons beaucoup plus à la défense européenne aujourd'hui que par le passé. J'étais présent lors de la signature des accords de Lancaster house, et je les considère comme un fondamental de la défense britannique. J'espère de tout coeur que la coopération continuera à ce niveau.

S'agissant du « backstop », vous avez raison de dire que cette question n'a pas été assez débattue au Royaume-Uni lors de la campagne du Brexit. C'est une question qui reste en suspens.

Le président Trump a en effet beaucoup parlé du NHS. C'est une question très importante, qui est centrale à chaque élection. Le fait que le président Trump cible le NHS n'a pas plu. Vu les velléités du Canada et du Mexique en la matière, il ne semble pas que ce soit le moment idéal pour envisager de nouveaux accords.

Je laisserais peut-être la Baronne Falkner parler de la facture. Je ne suis pas surpris que la déclaration de M. Johnson n'ait pas été bien reçue par les Vingt-Sept. La façon dont nous sortirons de cette impasse reste à voir. Si nous sommes là aujourd'hui, c'est parce que, quoiqu'il arrive après le Brexit, la relation entre la France et le Royaume-Uni, déjà très profonde, sera encore plus importante encore à l'avenir, et l'ensemble du Parlement britannique en est convaincu.

Baronne Kishwer Falkner. - Monsieur le Président, j'aimerais revenir sur le sujet de la sécurité et de la défense. Il est clair qu'il faudra que l'Europe soit plus étroitement unie. Tous les candidats au poste de Premier Ministre ont été d'accord pour dire qu'il fallait aller vers plus de coopération avec l'Europe, et avec la France en particulier. Nous avons été les premiers à parler de la Russie et de Poutine, car nous avons subi une attaque directe. Nous avons essayé d'avertir nos collègues allemands sur le danger que représentait Poutine après l'annexion de la Crimée. Nous sommes donc bien conscients des menaces que porte la Russie.

J'inviterais à la prudence sur le risque d'un certain anti-américanisme dans certaines capitales européennes. Entre la Chine et les États-Unis, l'Europe est prise entre deux feux. Qui choisirions-nous ? Le Royaume-Uni est très clair sur son choix. Je suis très heureuse que l'Union européenne se soit montrée ferme au sujet de Hong-Kong. Toutes les démocraties doivent se saisir de ce qu'il se passe à Hong-Kong et Taïwan, pas seulement le Royaume-Uni.

Sur la facture du Brexit, je ne peux qu'imaginer ce que dirait un représentant du parti conservateur. Mais M. Barnier a été clair : il n'y aura pas d'accord tant qu'il n'y a pas d'accord sur tous les points. On verra ce qu'il se passera, ma commission a fait un rapport sur le budget et nous avons encouragé le gouvernement à payer la facture du Brexit, mais c'est une question avant tout politique, pas budgétaire ou comptable.

Enfin, s'agissant d'un nouveau référendum, je voudrais rappeler qu'il s'agirait du 3ème après celui des années 70 et celui de 2016. Un nouveau référendum ne résoudra rien ! Ceux qui veulent partir ne disparaîtront pas. Il faudra un accord de retrait. Il faut considérer notre départ comme un processus, non comme un évènement.

Lord Charles Kinnoull. - J'aimerais simplement revenir sur trois points. Sur la sécurité et la défense, depuis 2016, le Représentant militaire du Royaume-Uni à l'OTAN est aussi celui auprès de l'Union européenne. Cela est significatif. Les militaires britanniques ont un grand respect pour les militaires français. Au niveau divisionnaire, au niveau des états-majors, nos armées vont continuer à grandir ensemble, c'est un phénomène naturel.

Nous parlions de liens de sang : il y a environ 400 000 citoyens britanniques qui vivent en France et 300 000 Français résidant au Royaume-Uni. Ce sont des nombres importants. Ces liens entre nos deux pays doivent être préservés. Nous travaillons dans notre commission à faire en sorte que les citoyens français ne rencontrent pas de difficultés à vivre et travailler au Royaume-Uni.

Du point de vue historique, à chaque fois qu'un problème lié à l'Irlande s'est fait jour, la solution a toujours été celle d'un compromis un peu « mou ». Il y a en Irlande deux communautés qui ont des positions très tranchées. Par exemple, dans la déclaration conjointe de décembre 2017 entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, les paragraphes 49 et 50 sont incompréhensibles en anglais car il s'agit d'une manière d'éluder le problème. Le projet d'accord de retrait est très décevant pour les habitants d'Irlande qui ne peuvent l'accepter. L'un des premiers problèmes pour nous est donc de faire évoluer les textes sur le « backstop ». Les différentes communautés concernées doivent être face à un langage clair.

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