Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne — Réunion du 12 juin 2019 à 17h08
Entretien avec une délégation de la chambre des lords

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Étant élue des Français de Grande-Bretagne et d'Irlande depuis 31 ans, je vis moi aussi au Royaume-Uni, et je me sens donc particulièrement concernée. Je voulais vous remercier de votre présence et rappeler tout ce que nous devons au peuple britannique. J'étais aux cérémonies du débarquement et en particulier à la cérémonie franco-britannique qui était extrêmement émouvante et nous ne pouvons l'oublier. Parler des questions de défense est fondamentale, et vous avez bien fait de parler de l'OTAN.

Je suis membre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN où je préside une commission et je dois dire que nous y trouvons des parlementaires britanniques remarquables. D'ailleurs la Grande-Bretagne accueillera la session annuelle de l'OTAN. Je n'ai donc pas d'inquiétude en ce qui concerne le travail fait à l'OTAN, mais j'en ai un peu plus quant à la poursuite du travail dans le cadre des accords de Lancaster House qui sont tellement importants pour nous. Je vous assure par ailleurs que les Français apprécient aussi les militaires britanniques. Je reste assez opposée à un second référendum car cela diviserait trop. Le premier référendum a déjà considérablement divisé la société britannique et il y a des inquiétudes profondes de faire perdurer ces divisions. Mais la situation a changé. Ce qui m'avait frappé lors du premier référendum était l'impréparation : par comparaison, j'avais travaillé sur le référendum écossais pour la commission des affaires européennes que préside Jean Bizet et j'avais rencontré les artisans du référendum qui avaient préparé des montagnes d'argumentations efficaces. En revanche, côté britannique pour ce référendum-là, c'était complètement différent. J'avais essayé de faire du « lobbying » pour que les ressortissants européens de Grande-Bretagne soient associés, ce qui n'a pas été le cas, de la même manière que les Britanniques vivant en Europe n'ont pas été associés non plus. Je suis persuadée que s'il y avait un nouveau référendum, bien précis, sur des questions fermées, on pourrait avoir un autre résultat. D'autant que le public britannique, même s'il en a assez du Brexit et qu'il souhaite que cela se termine, avec cette nouvelle classe d'âge et une meilleure information, pourrait voter pour un autre résultat, car les Remainers seraient moins arrogants. La veille du référendum, j'interrogeais le Ministre des affaires européennes britannique à l'ambassade de Grande-Bretagne, qui disait de ne pas s'inquiéter, que le résultat ne serait pas aussi bon que celui attendu, mais évidemment favorable au Remain. Il y a eu un péché par manque de préparation, manque de travail et manque d'information sur les enjeux véritables.

J'aimerais vous poser deux questions : ne pensez-vous pas que réintroduire la question écossaise dans le débat pourrait être utile ? Je rappelle que les Ecossais avaient dit que si le Royaume-Uni quittait l'Union européenne, ils se reposeraient la question d'un référendum. Deuxièmement, la Chambre des Lords était très favorable au Remain, avez-vous eu l'impression d'un changement d'attitude, ou bien les positions sont-elles toujours les mêmes ? Et accessoirement, pensez-vous pouvoir gagner plus d'influence au Parlement britannique ?

Lord Robin Teverson. - Je laisserais la question écossaise à mes collègues. Il y a effectivement une grande inquiétude chez de nombreuses personnes quant à leur statut et quant au fait que les gens n'ont pas pu voter aux élections européennes. La commission électorale va-t-elle lancer une enquête officielle ? Je n'en suis pas sûr. Peut-être que mes collègues en savent plus.

Concernant le no deal, la commission des affaires européennes de la Chambre des Lords a étudié cette question il y a un an et demi et nous sommes arrivés à la conclusion qu'un retrait sans accord serait le pire des scénarios. Le débat fait rage au Parlement car, si personne n'arrive à se mettre d'accord sur quoi que ce soit, si l'un des 27 pays membres de l'Union refuse une nouvelle extension, comme le Président Macron par exemple, nous serons sortis le 31 octobre à 11 h.

Du côté conservateur, on sent monter une angoisse vis-à-vis de l'avenir-même du parti. On voit les scores qu'il a faits aux élections européennes et intermédiaires. Si ses membres n'arrivent pas à mener le Brexit comme ils l'ont promis, le parti conservateur sera « cramé ». C'est une très vive inquiétude. Les votes ont été siphonnés par Nigel Farage et son « Brexit Party », même si il n'a pas remporté de siège au Parlement britannique. C'est une grosse menace pour les conservateurs. Des élus ont vertement critiqué les positions de certaines entreprises qui s'étaient avancées sur ce terrain. A la Chambre des communes, il y a une majorité opposée au no deal. Elle a tenté cette semaine de reprendre la main sur le processus en posant des obstacles parlementaires à un retrait sans accord, mais cela a échoué.

On sous-estime encore aujourd'hui, même dans les milieux d'affaires, les conséquences d'un retrait sans accord. Le « freinage d'urgence » serait que la Chambre des communes trouve une manière de revenir sur l'activation de l'article 50, en vertu de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne qui permet de le révoquer. Cela ne serait pas facile, mais c'est là-dessus que se joue la question du Brexit.

Je vais me tourner vers Charles pour la question de l'Écosse et des ressortissants communautaires. Si je puis me permettre de dire une seule chose, la question du scandale de « Windrush » sur la génération venue des Caraïbes dont les ressortissants n'ont pas eu de statut reconnu pendant des années a été déplorable et a montré le comportement contestable du Ministère de l'intérieur.

Lord Charles Kinnoull. - Le mécanisme du « settled status » et la question des 3,8 millions de ressortissants étrangers vivant au Royaume-Uni a été étudiée par ma commission. Aux dernières nouvelles -il y a seulement 10 jours-, le Ministère de l'intérieur nous disait que 750.000 personnes avaient été validées par ce mécanisme. 4 ou 5 personnes ont été « filtrées » pour ainsi dire, du fait de leurs antécédents judiciaires. Nous regrettons l'absence de passeport ou de preuve physique de cela, car pour toutes les nécessités de la vie quotidienne, pour se présenter à un emploi, pour ouvrir un compte bancaire, acheter une maison, si le système informatique gouvernemental ne marche pas, vous ne pourrez pas prouver votre statut. Venant de la société civile et du monde des affaires, j'ai une vision « pratico-pratique » de ce processus, mais il y a un bocage au niveau du Ministère de l'intérieur. Nous vous engageons à donner un maximum de voix sur ce sujet. Nous avons une réunion mardi prochain avec des représentants des 27 pays de l'Union européenne pour parler de cette question, car ces 3,8 millions de ressortissants communautaires au Royaume-Uni ne sont pas là « en vacances », ils travaillent et fournissent des services cruciaux, comme les vétérinaires par exemple. Cette profession, que M. Bizet connaît bien, n'est exercée que par des ressortissants communautaires au Royaume-Uni, donc si l'on ne résout pas cette question, il n'y aura plus de vétérinaires dans notre pays. Nous vous encourageons donc également à faire votre possible pour faire bouger les choses.

Nous n'avons pas encore évoqué la question des personnes en précarité. 20% des Britanniques vivant en France sont dans une position de vulnérabilité vis à vis de leur statut juridique, en conséquence, toutes les informations que vous pourrez nous envoyer seront les bienvenues. Nous avons en ce sens rencontré vos homologues de l'Assemblée Nationale.

Concernant l'Écosse, il y a un référendum qui a polarisé le pays, il y a même eu du vandalisme dans ma circonscription. Le côté relations publiques a bien fonctionné pour le parti nationaliste écossais, mais il est moins populaire qu'il ne l'était. Son manque de popularité vient du fait qu'au Gouvernement il n'a pas été si efficace que cela, notamment en matière d'éducation et de santé. Je ne pense pas, malgré son regain de popularité avec le Brexit, qu'un référendum sur l'Écosse puisse donner quoi que ce soit de positif, et je ne pense donc pas que ce soit la voie à suivre.

Baronne Kishwer Falkner. - Vous avez parlé de l'amendement « Costa », du nom de l'un des membres du Parti conservateur. Sachez que le Gouvernement a déjà accepté cela, l'amendement est donc inscrit dans la loi. Sur la preuve physique du statut, il y a un blocage au Royaume-Uni sur tout ce qui peut ressembler à une carte d'identité ou à une carte de séjour.

S'agissant de l'Écosse, si l'on autorise un nouveau référendum sur le Brexit, il n'y a pas de raison que l'on refuse un nouveau référendum sur l'indépendance de l'Ecosse. Je pense qu'il ne faut donc pas suivre cette voie.

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