Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où la réindustrialisation des territoires est un objectif partagé du Gouvernement et des élus locaux, la consolidation de notre industrie sidérurgique nationale est absolument stratégique.
Notre mission d’information a identifié trois défis majeurs pour le futur de la sidérurgie française.
Tout d’abord, la surcapacité de production persiste à l’échelon mondial, exacerbant la concurrence, au détriment de l’industrie européenne. De plus en plus de pays, en particulier la Chine, ont recours au protectionnisme commercial et à des pratiques déloyales.
Ensuite, les sidérurgistes doivent prendre le virage de la transition énergétique. L’acier doit nécessairement devenir plus vert, mais les objectifs climatiques et énergétiques se renforcent et la hausse du coût du carbone s’accélère sur le marché des quotas, alors que les pays tiers ne sont pas soumis aux mêmes exigences.
Enfin, les moyens nécessaires à l’adaptation de l’industrie sidérurgique sont difficiles à mobiliser, alors que les investissements sont particulièrement lourds et risqués, notamment en matière de recherche et développement, et que la conjoncture ne s’améliore que lentement. L’acier est pourtant le fondement de nombreux secteurs en aval : la construction, l’automobile, et bien d’autres…
Pour donner des armes à l’acier français dans la compétition mondiale, nous avons formulé trente recommandations, qui agissent sur quatre leviers.
Le premier est le soutien de la transition énergétique à la sidérurgie française.
Alors que le prix de la tonne de carbone à l’échelon européen augmente depuis quelques mois, il serait inacceptable que ce renchérissement renforce la compétitivité des entreprises situées en dehors de l’Union européenne et qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes, alors même que leurs émissions de CO2 sont souvent bien plus importantes qu’en Europe.
Il faut mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. À cet égard, on peut se réjouir que la nouvelle Commission européenne y soit favorable. Il faut maintenant faire vite et être très offensif, car l’urgence pour le tissu industriel sidérurgique n’est pas le temps de l’Europe.
Ensuite, les investissements des entreprises sidérurgiques pour décarboner la filière ne porteront leurs fruits qu’à la condition d’être soutenus par un coût de l’énergie compétitif. La compétitivité du prix de l’énergie en Europe est un élément déterminant dans les choix d’investissement des groupes sidérurgiques et conditionne l’avenir de la filière.
À l’échelon national, le coût de la compensation carbone, compensant les coûts des quotas carbone qui sont répercutés sur le prix de l’électricité pour des secteurs exposés à un risque de fuite carbone, est appelé à augmenter ces prochaines années.
Notre recommandation de conforter le budget qui lui est dédié a été entendue, madame la ministre, 279, 5 millions d’euros de crédits ayant été prévus à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2020, que nous allons prochainement examiner.
Cela étant, j’attire votre attention, madame la secrétaire d’État, mais vous le savez mieux que moi, sur le fait que ce sujet se posera de façon tout aussi aiguë lors des prochains budgets, voire davantage, et qu’il sera nécessaire de donner de la visibilité au secteur.
Le second levier est la défense de nos intérêts commerciaux et la protection du marché sidérurgique européen contre des compétiteurs aux pratiques déloyales. L’industrie européenne utilise de plus en plus d’acier importé, au très mauvais bilan carbone et largement financé par des subventions des États.
Pour restaurer des conditions équitables, il faut une politique volontariste de la Commission européenne, qui doit se saisir pleinement de ses nouveaux outils de défense commerciale, lesquels sont aujourd’hui insuffisants et plus adaptés. Il faut absolument les revisiter, à un rythme différent du tempo européen habituel.
Le troisième levier est la stratégie de filière, qui améliore l’articulation entre les besoins des entreprises sidérurgiques et le soutien des pouvoirs publics. Il faut que les industriels s’impliquent fortement dans ces projets structurants, qui bénéficient à tous, et que l’État engage plus de moyens pour améliorer le dialogue.
Le quatrième levier, le plus essentiel, c’est, comme l’a dit mon collègue Franck Menonville, l’accompagnement stratégique à tous les niveaux des politiques publiques.
Pour mobiliser pleinement les trois autres leviers et renforcer le pilotage de la politique industrielle, il faut mettre en place un véritable ministère de l’industrie, non pas symbolique, mais doté de moyens humains et budgétaires appropriés, ce qui n’est plus le cas depuis trop longtemps, madame la secrétaire d’État. Ce n’est pas le fait de ce gouvernement, mais ce gouvernement peut changer les choses et faire de la sidérurgie une véritable priorité nationale.
Seul un tel – ou une telle ! – ministre de l’industrie pourra défendre nos entreprises industrielles à l’échelon européen et s’engager aux côtés des sidérurgistes dans la mutation écologique. Il portera la vision stratégique qui fait aujourd’hui défaut, au lieu de jouer au pompier, faute de moyens et sans anticipation, dans les situations difficiles, comme on l’a vu dans le cas de l’aciérie Ascoval, dont les salariés ont dû en souffrir beaucoup trop longtemps.
Il rassemblera tous les acteurs concernés autour de la table, en lien avec le Conseil national de l’industrie, dans une approche partenariale avec l’échelon territorial et régional, premier maillon de l’accompagnement des bassins sidérurgiques.
Madame la secrétaire d’État, vous avez lu notre rapport et nos recommandations, partagez-vous notre vision stratégique pour l’acier français ? Quels moyens concrets entendez-vous dédier à l’accompagnement de ce secteur industriel, alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de finances pour l’année 2020 ?
Nous sommes à la croisée des chemins à l’échelon européen ; beaucoup de décisions vont être prises. Que comptez-vous faire ?