Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du 30 octobre 2019 à 15h00
Donner des armes à l'acier français accompagner la mutation d'une filière stratégique — Débat organisé à la demande d'une mission d'information

Agnès Pannier-Runacher :

Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez raison, la sidérurgie est un maillon central de l’industrie française.

L’importance de la sidérurgie est notamment liée à sa place incontournable dans de nombreuses filières industrielles majeures. C’est le cas en particulier de la construction, des transports et des industries mécaniques, qui représentent respectivement 43 %, 26 % et 16 % des débouchés de l’acier.

L’industrie sidérurgique française emploie environ 48 000 personnes. Elle est implantée sur tout le territoire, même si elle est partout connue pour ses grandes implantations historiques, qui emploient plusieurs milliers de salariés dans les bassins des Hauts-de-France, du Grand Est, des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Sa présence est aussi le fait de nombreuses usines de plus petite taille, aciéries électriques ou unités de transformation aval – laminoirs, fonderies.

C’est un secteur mondialisé, qui doit s’adapter à une concurrence féroce. Face à l’agressivité de la concurrence mondiale en termes de prix, de volumes, de capacités, de concentration, les acteurs de la filière ont su se transformer afin de rester dans la course : restructuration des aciers plats français, qui détiennent maintenant une bonne position de marché, transformation et sécurisation des emplois du site de Florange, où 2 200 emplois ont été conservés grâce à l’innovation.

La filière doit aujourd’hui faire face à des défis majeurs.

Vous avez parfaitement souligné dans votre rapport, monsieur le président, madame la rapporteure, les nombreux enjeux de cette filière : la réduction des émissions de carbone, la lutte contre la concurrence déloyale et les surcapacités, le développement de la recherche et développement, la transformation numérique des entreprises, la sécurisation des approvisionnements en matières premières, l’attractivité de ses métiers. Tous sont importants, mais quelques-uns me semblent vitaux pour l’avenir de la filière sidérurgique française et européenne.

Le premier enjeu est de traiter la surcapacité mondiale, ce qui renvoie à la proposition n° 6.

En dix ans, la Chine est devenue le premier producteur mondial d’acier. À elle seule, elle produit 930 millions de tonnes d’acier, soit plus de 50 % de la production mondiale, et elle est responsable de la moitié des surcapacités mondiales qui pénalisent les aciéristes européens, tirent les prix à la baisse et détruisent les marges en Europe.

Or les marges sont la condition des investissements et des emplois. Les aciers plats ont ainsi vu leur prix baisser de 21 % entre janvier 2018 et mai 2019. Sous l’impulsion de l’Union européenne et des États-Unis, le G20 a mis en place en 2016 un forum mondial sur les surcapacités dans le secteur de l’acier, le GFSEC. Celui-ci a permis d’obtenir de la Chine des réductions de capacité. C’est un premier pas, même si ce n’est pas suffisant. Nous souhaitons continuer à agir, comme je l’ai fait encore dernièrement au Japon avec mes homologues.

Le deuxième enjeu est de faire respecter une concurrence loyale, ce qui correspond aux propositions n° 7, 8 et 27 de votre rapport.

Près de la moitié des cas anti-dumping ou anti-subvention traités à l’échelon européen relèvent du seul secteur de la sidérurgie. Les règles de concurrence loyale ne sont en effet pas toujours respectées par nos partenaires. Vous le savez, nous poussons la Commission européenne à renforcer son action en la matière. C’est d’ailleurs ce que je fais au conseil Compétitivité.

Le troisième enjeu est de faire de l’impératif climat une chance ; il est en lien avec la proposition n° 9.

Les enjeux climatiques sont aujourd’hui un impératif reconnu par tous. Le plan Climat du Gouvernement et sa déclinaison dans la stratégie nationale bas-carbone fixent l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. La sidérurgie est responsable d’environ 7 % des émissions anthropiques de CO2 dans le monde. À ce titre, elle a une responsabilité envers la planète, mais elle fait aussi face à d’exceptionnelles occasions de rupture technologique qui permettront aux industriels les plus offensifs de se différencier – j’y reviendrai.

Le quatrième enjeu, celui de la compétitivité, passe par un engagement fort sur le prix de l’électricité ; cela renvoie aux propositions n° 13 et 15.

La sidérurgie est un grand consommateur d’électricité à la fois pour l’élaboration du métal dans les aciéries électriques et sa première transformation lors du laminage, du forgeage et des réchauffages de la matière. Comme vous le savez, c’est un élément que nous défendons à l’échelon tant européen, puisqu’il y a un certain nombre de négociations en cours, que national.

Je vous remercie de souligner les efforts actifs que nous avons réalisés pour défendre notre budget de compensation CO2. Je pense notamment à la réflexion que nous avons engagée pour faire en sorte que les entreprises intensives et les hyper électro-intensifs bénéficient, dans les années à venir, de tarifs compétitifs en matière d’électricité.

Le cinquième enjeu est l’effort de recherche et développement, ou R&D, qui reste le facteur principal de compétitivité et de différenciation sur les marchés ; cela donne lieu aux propositions n° 12, 22 et 26.

Le crédit d’impôt recherche, que de nombreuses nations ont copié, est un outil souple et massif de soutien à la R&D des entreprises.

En revanche, nous avons des marges de progrès s’agissant de l’industrialisation de la R&D sur le territoire national. Il faut y travailler tous ensemble. Les collectivités locales ont un rôle majeur à jouer en la matière. C’est notamment en offrant aux investisseurs un territoire accueillant et un cadre légal lisible et attractif que l’industrie et les emplois créés par elle se localiseront.

Vous avez évoqué la Banque publique d’investissement, Bpifrance. Je me félicite de son engagement constant pour l’industrie, qui s’est renforcé cette dernière année.

Depuis sa création, elle a été présente sur de nombreux dossiers du secteur des métaux. Elle a été associée à de grands succès, comme Constellium, auquel j’ai personnellement participé en 2009. Et elle est une actrice cruciale dans les dossiers plus sensibles, comme Vallourec.

Bpifrance est un investisseur avisé en économie de marché soumis aux règles de concurrence communautaire en matière d’aides d’État. Elle n’intervient pas directement en retournement, mais elle gère pour le compte de l’État le Fonds de fonds de retournement, ou FFR, doté de 74, 7 millions d’euros dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, qui souscrit à des fonds gérés par des équipes spécialisées et dont nous avons besoin sur certains dossiers.

Je tiens à le souligner, face à de tels défis, il y a au sein de l’État une stratégie industrielle, des plans d’action et des résultats en matière d’industrie et de sidérurgie. Je me contenterai de rappeler, via trois exemples concrets, que la stratégie industrielle de l’État s’est structurée et renforcée durant ces deux dernières années. La stratégie de filière a été renforcée.

Le 18 janvier dernier, j’ai signé le contrat stratégique de filière Mines et métallurgie avec la présidente du comité stratégique de filière, Mme Christel Bories, en présence des organisations syndicales. C’est une instance unique, où tous les acteurs, entreprises, organisations syndicales et administrations peuvent échanger hors situation de crise pour consolider et préparer ensemble l’avenir de la filière.

Ils travaillent ensemble sur plusieurs sujets importants soulevés dans le rapport : l’avenir des différentes filières acier en France – hauts-fourneaux et aciéries électriques –, la réduction des émissions carbone, la lutte contre la concurrence déloyale, la transformation numérique de la filière, la sécurisation des approvisionnements en matières premières, l’attractivité de ses métiers.

Ce contrat doit permettre une meilleure coordination entre les grands acteurs de la filière et les PME, entre l’amont fournisseur et l’aval consommateur. Pour cette filière, je le répète, la démarche est nouvelle.

Des travaux sont également menés sur les approvisionnements en matières premières stratégiques ; ce point est lié à vos propositions n° 2 et 17.

Vous avez aussi évoqué le risque de dépendance aux matières premières analysé dans le récent rapport du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, et mis en avant au cours de l’été par des déclarations de la Chine sur sa maîtrise des ressources mondiales de terres rares. Le Gouvernement est très attentif à ce risque.

À ce titre, et dans le cadre du Conseil national de l’industrie, le CNI, le Conseil général de l’économie a remis au ministère de l’économie un rapport sur la vulnérabilité de l’approvisionnement en matières premières des industries françaises, ce qui a permis d’identifier plusieurs pistes de travail.

Pour les mettre en application, a été confirmé lors du comité exécutif, le Comex, du CNI du 23 septembre dernier le lancement de travaux applicatifs sur la sécurisation des approvisionnements en matières premières associant des industriels de référence de l’amont, producteurs de métaux, et de l’aval, consommateurs, pour trois filières d’excellence et d’avenir fortement consommatrices de métaux critiques : les batteries pour la mobilité, les énergies renouvelables et le secteur de l’aéronautique et défense.

Les conclusions sont attendues pour la fin de l’année 2019, et des premières applications pratiques ont été mises en œuvre.

Des travaux sur l’avenir des aciéries électriques sont menés ; cette question est liée à la proposition n° 16. Je l’ai déjà souligné, la filière des hauts-fourneaux en France s’est restructurée et elle est maintenant au meilleur niveau européen et mondial. En revanche, les aciéries électriques françaises ont subi une succession de difficultés, que votre rapport a relevées et qui ont entraîné des fermetures de sites et des arrêts définitifs de fours.

Pourtant, la filière électrique dispose de caractéristiques qui devraient lui permettre de soutenir un développement concurrentiel : plus faible intensité capitalistique que les hauts-fourneaux, flexibilité, adaptation aux aciers de spécialité et aux petits volumes, réactivité opérationnelle…

Par ailleurs, avec une faible émission de CO2 à la tonne, l’aciérie électrique est un élément de réponse à la réduction des émissions de la filière et à l’objectif de décarbonation de l’économie.

Je me félicite donc que le comité stratégique de filière Mines et métallurgie vienne de lancer un groupe de travail pour dégager des scénarios de développement des différentes technologies de production de l’acier en France associant les industriels, les organisations syndicales et les administrations. C’est un travail fondamental, qui doit éclairer l’avenir.

Ce type de travaux est dans l’ADN des comités stratégiques de filière et fait partie des réflexions stratégiques et de l’anticipation qui sont indispensables pour l’avenir de l’industrie et dont votre rapport souligne l’impérieuse nécessité.

Puisque nous parlons d’intervention en urgence, si l’aciérie Ascoval continue de travailler, je le souligne, c’est grâce à l’action déterminée, tant de l’État tout au long de ces douze derniers mois, que des élus locaux. Je tenais à vous en remercier, madame Létard ; je pense que si vous êtes rapporteure, c’est aussi parce que ce cas emblématique a permis d’apporter un éclairage sur la situation.

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