Intervention de Didier Guillaume

Réunion du 30 octobre 2019 à 15h00
Quel avenir pour l'enseignement agricole — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Didier GuillaumeDidier Guillaume :

J’ai entendu les propositions et préoccupations des uns et des autres. Je vais essayer d’y répondre, dans le temps qui m’est imparti.

Pour parler de l’avenir, partageons d’abord des constats factuels et transpartisans. Vos interventions étaient d’ailleurs quasiment toutes transpartisanes, et c’est tant mieux.

Premier constat, grâce à l’enseignement agricole, nous disposons d’un maillage territorial au service des jeunes et de l’emploi dont vous mesurez bien, en tant que sénateurs, l’importance.

L’avenir, c’est de préserver ce formidable et indispensable maillage territorial.

Celui-ci nous permet de répondre aux attentes des employeurs, qui, dans tous les secteurs, recherchent des compétences par dizaines de milliers, et offrent des emplois majoritairement non délocalisables. C’est aussi cela la force de nos établissements : former des jeunes qui seront ensuite employés sur place. Ce maillage nous permet aussi de répondre aux besoins de jeunes qui ne sont malheureusement pas toujours mobiles, on le sait très bien.

Deuxième constat, et non des moindres, l’enseignement agricole, ça marche ! Il permet aux jeunes de s’épanouir, d’obtenir un diplôme et, surtout, de s’insérer dans la société. Le taux de réussite aux examens est très élevé, vous le savez. L’avenir, c’est de continuer à offrir ces formidables résultats à nos concitoyens.

Troisième constat, l’enseignement agricole est une école du succès pour les jeunes des milieux modestes, pour les jeunes du monde rural qui sont parfois un peu délaissés. On ne peut pas les laisser de côté : ils doivent être au cœur des dispositifs et des formations, et c’est notre enseignement agricole qui les tire vers le haut !

Comme je le rappelle très souvent, on compte 35 % de boursiers dans l’enseignement agricole, ce qui n’est pas rien, grâce à l’importance de l’enseignement socioculturel.

Quatrième constat important, l’enseignement agricole représente une école inclusive. Le nombre d’élèves en situation de handicap a fortement augmenté et leur proportion y est désormais largement supérieure à celle qui est enregistrée dans l’éducation nationale. Soyons fiers de cette école inclusive dans une société inclusive !

Plus de 6 % des élèves bénéficient d’un aménagement d’épreuves ; le nombre de jeunes bénéficiant d’un projet personnalisé de scolarisation a triplé entre les rentrées 2010 et 2018. Dans le même temps, le nombre d’auxiliaires de vie scolaire a été multiplié par six, et les crédits dédiés au handicap multipliés par sept : oui, l’enseignement agricole a les moyens de son ambition !

Les crédits augmenteront encore de 26 % en 2020 pour tenir compte de la transformation des contrats aidés en postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap, les AESH.

L’avenir, c’est de continuer à accueillir plus de jeunes en situation de handicap pour faire face à ces besoins.

Cinquième constat, l’enseignement agricole, ce sont 15 000 fonctionnaires de mon ministère, mais aussi 5 000 agents sur budget, 3 000 agents des régions qui jouent un rôle primordial dans le fonctionnement des établissements. Je veux les saluer toutes et tous : les enseignants, les formateurs, les personnels administratifs et techniques, et les directeurs sont pleinement investis dans leur mission. Ils méritent d’être reconnus, encouragés et soutenus.

Les succès de l’enseignement agricole, nous les leur devons, et je remercie une nouvelle fois le groupe CRCE et le sénateur Ouzoulias de l’avoir souligné. Sans ces personnels et ces fonctionnaires, l’enseignement agricole ne serait rien, tout comme l’enseignement en général, ou encore la fonction publique, parfois tant décriée. La fonction publique, sans les fonctionnaires, marcherait beaucoup moins bien !

L’avenir, c’est de valoriser nos agents via des chantiers statutaires et de revalorisation pour rendre leurs métiers plus attractifs. Nous l’avons fait cette année pour les directeurs, alors qu’ils attendaient depuis très longtemps un nouveau statut. Je m’y étais engagé et je pense que cette démarche a été appréciée.

Sixième constat, l’enseignement agricole est un dispositif qui sait s’adapter et mener des réformes. Oui, les réformes du bac et de l’apprentissage ont été source d’inquiétudes. Vous avez été nombreux à en parler, notamment Mme Monier.

Je connais ces inquiétudes, mais n’ayons pas peur et essayons d’avancer. L’immobilisme n’est pas une bonne chose : nous devons accompagner les mutations de la société, parce que la société change. Il faut donc que l’enseignement et la fonction publique changent aussi.

Je veux vraiment saluer la mobilisation des équipes.

Prenons la réforme de l’apprentissage. Certaines personnes me disaient qu’elles avaient peur du changement. Or cette réforme a permis de conforter les effectifs : on observe une hausse de 1 400 apprentis cette année, soit une progression de 4 %. L’enseignement agricole forme presque 10 % des apprentis de notre pays.

Alors, certes, l’avenir des CFA suscite des craintes, mais je constate aujourd’hui qu’il s’agit d’un succès, grâce à la communication un peu plus efficace et la mobilisation des professionnels, qui a été sans borne. En effet, le facteur limitant est souvent le nombre de maîtres d’apprentissage.

Nos CFA sont performants – soyons-en fiers – et sont accompagnés dans cette réforme. Le sénateur Joly exprimait son inquiétude. Je lui réponds qu’il faut se battre pour les maintenir. Cette année, les professionnels ont investi 25 millions d’euros de subventions exceptionnelles directement dans les CFA : c’est bien que la profession y croie, et nous pouvons y croire.

Cela dit, je suis heureux que, sur de nombreux aspects, la réforme du baccalauréat reprenne des points forts de l’enseignement agricole : les contrôles en cours de formation, le rôle des oraux, par exemple.

Concernant la question des spécialités, je ne partage pas totalement l’inquiétude manifestée par plusieurs d’entre vous. Ne nous racontons pas d’histoire, les lycées agricoles ne peuvent pas rivaliser sur le terrain avec les grands lycées des centres-villes et les grandes écoles. Nous n’avons que cent classes.

Nos atouts, Mme Vérien l’a évoqué tout à l’heure, ce sont le cadre de vie, les internats, l’ouverture internationale, la capacité à concilier la pratique d’un sport et des études de haut niveau. Nous avons des champions de France, des champions d’Europe, des champions du monde dans nos lycées agricoles.

Et, surtout, les résultats aux examens sont excellents : 93, 5 % en 2019 contre 91, 2 % dans l’éducation nationale. Ce n’est pas une compétition, mais les résultats dans l’enseignement agricole sont d’un très haut niveau.

L’avenir, c’est de poursuivre ces réformes et de faire valoir ces atouts.

Malheureusement, un dernier constat assombrit la situation, comme certains l’ont noté.

Malgré la hausse des moyens publics – plus de 850 postes ont été créés en six ans –, malgré l’ouverture de nouvelles classes – plus de 210 ont été ouvertes dans la même période –, l’enseignement technique agricole perd des élèves depuis dix ans.

Chaque année, on regardait les effectifs baisser sans rien faire. Lors de la rentrée 2018, on a comptabilisé 4 000 élèves en moins. J’ai alors considéré que l’on ne pouvait pas continuer ainsi : j’ai dit « stop » !

Soit on décide de maintenir un enseignement agricole partout sur le territoire, soit on ferme 7, 8 ou même 10 lycées agricoles pour s’adapter. Ce n’est finalement pas cette dernière option que j’ai choisie : en effet, je pense que l’avenir de l’enseignement agricole n’est pas menacé, et qu’il s’agit d’une pépite qui brillera encore longtemps !

Pour ne pas me résoudre à assister à la lente érosion du nombre d’élèves, j’ai souhaité m’engager dans la mère des batailles : la reconquête des effectifs. Or, en cette rentrée scolaire, nous avons regagné plus de 750 élèves !

Pour y parvenir, nous avons agi avec une ambition simple : convaincre les jeunes que l’enseignement agricole est un primo-choix. Henri Cabanel a raison : étudier dans un établissement agricole n’est pas un deuxième choix ; ces études ne concernent pas des élèves de seconde zone.

Comme l’a dit Anne-Marie Bertrand, j’ai lancé une grande campagne de communication, L’Aventure du vivant. Nous avons recueilli 10 millions de vues sur le compte Snapchat consacré à cette campagne et dénombré 18 600 visites sur le site internet que nous venons de mettre en ligne.

Oui, nous allons gagner le pari de la reconquête des effectifs ! Je vous le dis, plus d’apprenants demain, ce sera forcément plus d’enseignants dans les classes. C’est dans cette direction qu’il faut poursuivre. Franchement, cette remontée des effectifs est un formidable signal adressé au monde agricole.

Plusieurs d’entre vous l’ont dit : malgré l’agri-bashing et les difficultés agricoles, les jeunes s’inscrivent dans les lycées. C’est une vraie réussite, dont on peut être fier.

Je fais confiance aux établissements et à leur gouvernance inclusive pour optimiser l’offre de formation et leurs moyens. Ils le font sous l’autorité des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, les Draaf, qui sont les véritables responsables et que j’ai mobilisées pour assurer qu’autonomie ne rime pas avec dérégulation.

Oui, je crois aux décisions prises au plus près du terrain, parce que c’est là que les choses bougent, mais cela ne veut pas dire pour autant que tout le système doit être éclaté. Il faut une régulation, un cadre national, seulement corrigé par un peu de flexibilité à l’échelon local.

Cette année, nous avons augmenté les seuils de dédoublement de certaines classes pour optimiser nos moyens là où il est possible d’accueillir plus d’élèves. C’est très bien ! J’ai veillé à ce que la sécurité des jeunes ne soit pas compromise : dès qu’un sujet relatif à la sécurité apparaît, nos services agissent.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la principale difficulté de l’enseignement agricole, ce sont non pas des classes trop chargées, mais des classes avec des effectifs trop faibles. Voilà l’enjeu ! Nous nous sommes battus pour engager la reconquête.

Notre ambition est claire : atteindre 200 000 apprenants l’année prochaine. Y arriverons-nous ? Nous verrons bien, mais il faut se fixer un cap, une date, un objectif chiffré. C’est absolument indispensable, comme Mme Chauvin l’a clairement exprimé.

Cet objectif peut être atteint partout grâce à notre campagne L’Aventure du vivant, dans l’Hexagone, mais aussi en outre-mer. À Mayotte et en Guyane, notamment, les effectifs sont en très forte hausse. Permettez-moi de citer le lycée agricole de Matiti, fondé par mon ami Antoine Karam, établissement qui affiche l’une des plus fortes augmentations en termes d’effectifs grâce à l’ouverture de deux nouvelles classes.

L’enseignement agricole est le moteur de la transition agroécologique. Franck Menonville le soulignait tout à l’heure, il faut de nouvelles formations, mieux adaptées. Je vais lancer très prochainement le nouveau plan Enseigner à produire autrement, qui remplira cette mission.

Ce plan répondra à quatre engagements.

Le premier est d’être à l’écoute des jeunes, de ce qu’ils souhaitent aujourd’hui. Dans tous nos établissements, nous désignerons des jeunes éco-responsables. Nous allons généraliser ce dispositif parce que, qu’on le veuille ou non, les jeunes sont sensibles à l’écologie.

Le deuxième engagement consiste à rénover toutes les formations pour bien intégrer l’agroécologie et le bien-être animal.

Le troisième engagement est d’atteindre des objectifs ambitieux pour les exploitations agricoles de nos lycées : 100 % des 19 000 hectares d’exploitation de nos lycées devront être cultivés en agriculture biologique ou certifiés « haute valeur environnementale de niveau 3 ».

Enfin, le quatrième engagement est d’être exemplaire pour ce qui concerne l’alimentation et la qualité des repas servis dans les cantines scolaires : nous visons 50 % de produits bio dans les lycées agricoles.

Les établissements vont former et démontrer que cette transition est possible, avec le soutien de nos grandes écoles agronomiques et de l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, produit de la fusion entre l’INRA et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, l’Irstea.

L’Inrae sera le plus grand centre de recherche publique du monde sur ces sujets. C’est pourquoi je ne partage pas du tout le pessimisme ambiant à propos des exploitations de nos établissements, qui ne seraient pas au niveau. Il est vrai que certaines d’entre elles connaissent quelques difficultés, mais nous avons pris le problème à bras-le-corps.

Cette semaine, j’ai réuni dans mon ministère les 200 directeurs d’exploitation agricole. Je vous assure qu’ils n’avaient pas le moral dans les chaussettes ! Ils faisaient preuve d’un très bel enthousiasme pour réussir cette transition agroécologique. Il s’agit vraiment de personnes très fortes. Ces directeurs travaillent beaucoup avec les régions – c’est aussi cela la coconstruction –, lesquelles investissent beaucoup d’argent dans les établissements.

Mme Vérien a demandé que l’on n’oublie pas les formations de base. C’est vrai, mais il faut aussi que les formations soient les plus générales possible.

Pour répondre aux besoins des professionnels, les formations doivent intégrer plus d’agroécologie et de bien-être animal, mais aussi du numérique, de la communication, du management, des nouvelles technologies et – je vous le dis tranquillement – de la gestion. En effet, un jeune qui sort d’un lycée agricole doit savoir gérer son exploitation agricole : il sera certes paysan, mais aussi chef d’exploitation et chef d’entreprise. Si on ne remet pas un peu le tracteur au milieu du village, on ne s’en sortira pas ! §Aussi faut-il que la gestion soit à la base de l’enseignement.

Enfin, nous devons penser aux métiers de demain et encourager les jeunes à poursuivre leurs études dans le supérieur, en particulier ceux qui sont issus des milieux populaires. Quand je me rends dans les établissements et que je vois des jeunes, venant plutôt de ces milieux, des zones rurales ou périurbaines, je suis très heureux, car je sais qu’ils parviendront à poursuivre dans l’enseignement technique et dans le supérieur. À mes yeux, il s’agit d’un chantier essentiel, sur lequel nous devons vraiment travailler.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très fier de notre enseignement agricole, de ses agents et des jeunes que je rencontre dans les établissements.

Je suis parfaitement conscient de l’ampleur du travail qu’il nous reste à accomplir : la reconquête des effectifs, la transition agroécologique, la rénovation de nos formations – nous avons lancé un grand chantier dans ce domaine – et, évidemment, la promotion sociale. Surtout, je le répète, s’inscrire dans un lycée d’enseignement agricole doit être un primo-choix et non un choix par défaut.

J’ai entendu beaucoup d’intervenants exprimer leur confiance, leur optimisme, mais j’ai aussi parfois entendu des propos pessimistes. Pour ma part, je suis confiant dans l’avenir, car l’enseignement agricole et ses agents démontrent leur capacité à évoluer pour être le ferment de la transformation de nos territoires et de la réussite de nos jeunes.

Oui, les lycées d’enseignement agricole sont sur tous les territoires, et ils doivent y rester. Je souscris complètement à l’invitation lancée par Antoine Karam à sortir d’une logique de conservation pour entrer dans une logique d’expansion. C’est dans cette voie qu’il faut s’engager !

Je vous assure de nouveau de mon ambition pour l’enseignement agricole, mesdames, messieurs les sénateurs. Il doit former davantage, mieux et partout : c’est l’enjeu à relever et l’engagement que j’ai pris. J’espère que vous aiderez les jeunes à rejoindre ces établissements.

Je conclurai mes propos avec trois chiffres : aujourd’hui, sur les quelque 450 000 agriculteurs que compte la France, un tiers – 150 000 – prendra sa retraite dans les dix ans à venir ; l’an dernier, 12 000 jeunes se sont installés comme agriculteurs, malgré les difficultés, malgré l’agri-bashing, malgré la faiblesse des revenus, malgré toutes les crises. C’est pratiquement un renouvellement complet de génération !

Si nous parvenons à passer la barre des 200 000 apprenants, si nous progressons encore pour encourager les jeunes à rejoindre nos établissements d’enseignement agricole, nous aurons gagné une bataille, la plus belle des batailles, celle du renouvellement des générations.

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