Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 30 octobre 2019 à 15h00
Violations des droits humains au venezuela — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Les attendus de la proposition de résolution invitent en effet le Sénat à emboîter le pas, sans nuance, à ceux qui reconnaissent Juan Guaidó comme président autoproclamé, alors même que son soutien à l’intérieur du pays recule fortement au rythme des révélations sur ses liens directs avec les entreprises de déstabilisation engagées sur l’initiative des États-Unis.

Ces mêmes attendus mettent en cause la Russie, avec une rhétorique de guerre froide qui conduira, une fois de plus, la France à se marginaliser dans la région si nous en suivions le fil. Je crois qu’il y a bien mieux à faire !

La situation de crise est grave, je l’ai dit. La crise politique est devenue une crise violente. Les Vénézuéliens en paient un prix élevé. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, parle aujourd’hui de 3, 7 millions de Vénézuéliens ayant quitté le pays et 80 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

Les causes de la crise sont multiples. Après des années de lutte contre les inégalités et la pauvreté financées par la manne pétrolière, l’affaissement des cours du pétrole a replongé le pays dans d’importantes difficultés, faisant reculer le PIB de 50 % depuis 2015.

Ce recul brutal a d’autant plus déstabilisé l’économie nationale que les réponses apportées en termes de stratégie économique n’ont pas toujours été appropriées. Ces erreurs sont d’ailleurs débattues au sein même des forces qui soutiennent Nicolás Maduro et refusent la prise de pouvoir de Juan Guaidó.

Mais il est clair, et les attendus de la proposition de résolution n’en disent rien, bien au contraire, que cette déstabilisation a été souhaitée et clairement alimentée par les États-Unis, qui ont saisi là l’occasion, après la mort d’Hugo Chávez, d’en finir avec une expérience politique dont ils n’ont jamais voulu.

Les sanctions américaines, souvent extraterritoriales – mais, cette fois-ci, cela ne pose visiblement de problème à personne –, ont nourri le désordre économique du pays. Pourquoi le nier quand Donald Trump, lui-même, s’en vante ? Et pourquoi s’en tenir à emboîter le pas à la rhétorique américaine sans prendre aucun recul ?

Pour les États-Unis, le Venezuela est une clé de voûte en Amérique latine, où, en même temps, ils renforcent les sanctions illégales contre Cuba, soutiennent de toutes leurs forces le régime de Jair Bolsonaro, appuient les gouvernements du Chili et de l’Équateur réprimant les révoltes populaires.

Est-ce l’intérêt de la France de suivre cette doctrine qui fleure bon le retour de la « doctrine Monroe » en Amérique latine ? Le Venezuela a surtout besoin d’un retour à la stabilité politique, à la paix, à la réconciliation pour retrouver le chemin du développement. Et il a besoin pour cela d’un plein respect de sa souveraineté et d’un processus politique négocié de sortie de crise.

Où mène la reconnaissance unilatérale et extérieure de Juan Guaidó, sinon à la confrontation ?

La vérité est que les élections récentes dans ce pays ont donné des résultats opposés : les unes, dont l’élection présidentielle, ont été gagnées par Maduro et les forces qui le soutiennent ; les autres par l’opposition.

Sortir de cette situation par la violence, voire, pire, par la guerre civile dont le spectre plane, serait un calcul effroyable.

La droite vénézuélienne a sa responsabilité dans l’engrenage des violences. Les trois gouverneurs qu’elle a fait élire dans le bassin du lac de Maracaibo, le long de la frontière colombienne, l’ont été dans une région où le pouvoir du crime organisé est évident, tout comme l’implantation de longue date des narcotrafiquants et des paramilitaires.

Plutôt que de soutenir cette logique de confrontation, nous devons appuyer le retour à un processus politique reconnu de tous.

La tentative, en toute inconstitutionnalité, de destitution de Nicolás Maduro par la majorité parlementaire en 2016 avait enflammé la situation. Inversement, le retour des députés de la majorité présidentielle au sein de l’Assemblée nationale vénézuélienne, à la suite d’un accord avec une partie importante de l’opposition, est un premier pas à saluer.

La France devrait appuyer le Mexique et l’Uruguay, qui ont proposé leur médiation, et les efforts de la Norvège pour ouvrir à Oslo un dialogue entre le président Maduro et les forces d’opposition de l’assemblée vénézuélienne.

La France devrait entendre l’appel de l’ONU mettant en garde contre les conséquences des mesures coercitives unilatérales en ces termes : « Ce n’est pas la réponse à la situation politique du Venezuela. » Cet appel souligne « l’urgente nécessité pour tous les acteurs concernés de participer à un dialogue politique inclusif et crédible pour aborder la longue crise que traverse le pays, dans le plein respect de l’État de droit et des droits humains ».

Évidemment, la situation des droits humains est au cœur des enjeux de la sortie de crise. Le rapport de Michelle Bachelet pour l’ONU chiffre à 5 000 le nombre de personnes tuées par les forces de sécurité en 2018, dans la spirale de violences alors provoquée. Près de 400 fonctionnaires des Forces d’action spéciales sont actuellement jugés pour ces délits.

Il faut se féliciter que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ait signé un accord avec le Venezuela pour renforcer leur coopération, avec l’objectif d’ouvrir un bureau permanent sur place. Deux représentants de l’ONU sont autorisés à rester et à accéder à tous les centres de détention.

À l’opposé des sanctions décidées par Washington et soutenues par la présente proposition de résolution, nous devrions donc soutenir les efforts de dialogue, d’où qu’ils viennent, et associer la France à ces efforts.

Cette proposition est à contre-courant de cette ambition. Elle se contente d’alimenter un portrait caricatural d’une situation particulièrement complexe. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte.

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