Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes, comme vous, très préoccupés par la situation du Venezuela. Je vous remercie d’avoir salué le travail persévérant de notre ambassadeur sur place, Romain Nadal, et de son équipe. Ils font, dans ce contexte difficile, un travail qui me semble être à notre honneur.
Depuis le premier semestre de l’année 2019, le nombre de personnes en besoin d’assistance alimentaire a quasiment doublé et représente désormais 10 millions à 14 millions de personnes, selon les chiffres du groupe de contact international auquel la France participe. Ces chiffres n’incluent pas les 4, 3 millions de Vénézuéliens qui ont déjà quitté leur pays.
L’exode en cours pourrait concerner 7 millions de personnes d’ici à la fin de l’année 2020, ce qui constitue la seconde crise migratoire à l’échelle mondiale, derrière la Syrie, mettant sous pression les infrastructures d’accueil de tous les États de la région. Face à ce constat, il est essentiel de permettre l’accès des acteurs humanitaires au territoire vénézuélien.
Sur le plan politique, nous sommes confrontés à un blocage des discussions qui devaient aboutir à la mise en place d’un processus électoral libre et crédible. Le processus de médiation dit d’Oslo entre le régime et l’opposition a été ajourné sine die le 15 septembre par l’opposition, après que M. Maduro a lui-même suspendu, au mois d’août, sa participation à cet espace de dialogue.
Alors, face à l’impasse, la France et l’Union européenne portent le même message. L’issue à cette crise ne peut être que pacifique et négociée. Elle passe par l’organisation d’élections présidentielles crédibles qui permettront au peuple vénézuélien de choisir de nouveau son destin.
Le groupe de contact international, auquel participe la France, a pour mandat de créer les conditions d’une telle solution négociée, tout en améliorant l’accès de l’aide humanitaire aux Vénézuéliens. Ce groupe de contact, qui s’est encore réuni cette semaine, a permis des progrès significatifs en matière d’acheminement de l’aide humanitaire. Sur le plan politique, ce groupe appelle à la tenue, dès que possible, d’élections présidentielles libres, transparentes et crédibles. Il incite à travailler, pour y parvenir, à l’élaboration d’une feuille de route recensant les garanties nécessaires à mettre en œuvre pour y arriver. Le groupe de contact international constitue aujourd’hui le seul groupe capable de parler aux deux parties. Ces efforts coordonnés doivent être poursuivis et encouragés, et vous pouvez compter sur nous pour ce faire.
Par ailleurs, nous rejetons fermement tout recours à la force, qu’il soit le fait des Vénézuéliens eux-mêmes ou de puissances étrangères.
Pendant que les discussions sont suspendues, les droits de l’homme sont toujours bafoués par le régime de Nicolás Maduro, comme l’a tristement documenté le rapport publié le 5 juillet dernier par la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Mme Michelle Bachelet. La répression touche avant tout les populations les plus défavorisées et de fortes présomptions d’exécutions extrajudiciaires dans les quartiers populaires ont été mises en lumière par la haut-commissaire.
Je tiens à le dire ici très solennellement, la France appuie sans réserve l’action de la haut-commissaire et condamne fermement la répression violente des manifestations, ainsi que les menaces et les violations des droits de l’homme survenues dans les derniers mois à l’encontre d’élus et de représentants de l’opposition. Vous avez mentionné Edmundo Rada, conseiller municipal de Caracas, membre du parti d’opposition Voluntad popular. Nous appelons à faire la lumière sur les circonstances de sa mort, le 17 octobre dernier.
Nous appelons également à la libération immédiate, complète et irréversible des prisonniers politiques.
Ces violations des droits de l’homme nous conduisent à regretter que le Venezuela ait été élu, il y a deux semaines, par l’Assemblée générale des Nations unies pour siéger pendant trois ans au Conseil des droits de l’homme. La France, en lien avec ses partenaires européens, veillera avec rigueur à la manière dont le Conseil conduira sa mission l’an prochain dans ce contexte, comme l’a indiqué, dès le 22 octobre dernier, la porte-parole de Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union européenne. Cette élection, qui illustre les clivages internationaux sur le sujet du Venezuela, me semble devoir nous conduire à rechercher encore davantage une solution endossée par tous les acteurs.
J’en viens aux différentes questions et remarques au cœur de cette résolution sur les initiatives actuellement prises par la France pour faire cesser les atteintes aux droits de l’homme au Venezuela.
Tout d’abord, votre résolution nous interroge sur notre position à l’égard de l’enquête préliminaire de la Cour pénale internationale concernant le Venezuela. La position de la France ne varie pas : nous soutenons, sans réserve, sans préjugé, sans arrière-pensée, la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves, considérant qu’elle contribue directement à la paix, à la stabilité et à la sécurité internationales tout en répondant à une demande de justice légitime de la part des victimes.
En septembre 2018, le Canada et cinq États latino-américains – Argentine, Chili, Colombie, Paraguay et Pérou – ont adressé à la Cour pénale internationale un renvoi concernant la situation au Venezuela depuis février 2014 et demandant au procureur d’ouvrir une enquête sur d’éventuels crimes contre l’humanité.
Le Président de la République s’est exprimé clairement sur ce sujet : le processus en cours concernant le Venezuela est bien de nature à établir les faits qui ont conduit à la crise et à contribuer ainsi à y trouver une issue.
Nous devons ici nous en souvenir, c’est la première fois depuis l’entrée en vigueur du statut de Rome en 2002 qu’un groupe d’États défère une situation concernant le territoire d’un autre État partie, également lié par ce statut devant la Cour pénale internationale. Au-delà du cas précis du Venezuela, cette appropriation nouvelle du statut de Rome montre l’importance du rôle de cette Cour pénale internationale et la promotion, par de nombreux États, de la lutte contre l’impunité.
Nous suivons donc avec attention la procédure actuellement menée par le bureau du procureur de la CPI, Mme Fatou Bensouda, qui étudie l’ouverture d’une enquête. Notre position consiste à soutenir les travaux de la CPI et à faire une confiance totale, sans réserve et sans arrière-pensée, à cet organe.
Dans le même sens, j’ai évoqué le rapport de la haut-commissaire aux droits de l’homme paru en juillet dernier. Il a conduit le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à instaurer une mission de vérification des faits sur place. Ces initiatives nous semblent de nature à démêler l’écheveau des responsabilités aboutissant à la situation de crise que connaît le Venezuela et que vous avez tous très bien décrite.
Votre résolution souligne ensuite les liens entre les fonds et le narcotrafic ou le terrorisme. Il s’agit également pour nous d’éviter, de manière concrète, que le régime n’ait les moyens de poursuivre sa répression et les atteintes aux droits de l’homme. En novembre 2017, à la suite des répressions de manifestations observées sur place en 2014 et 2017, l’Union européenne a mis en place un embargo sur les matériels de guerre et les équipements sensibles pouvant être utilisés pour la surveillance et la répression de la population vénézuélienne par le régime de Nicolás Maduro. Ces dispositions, vous l’imaginez – il n’est pas besoin de vous le rappeler, mais je le fais quand même –, sont bien sûr strictement appliquées par la France.
La France a noté que le régime de Nicolás Maduro recourait à d’autres acteurs extérieurs pour maintenir son contrôle sur la population. Nous exhortons – je le fais très solennellement ici devant vous – l’ensemble des États à favoriser des négociations qui sont d’abord politiques.
J’en viens maintenant à la pression que nous mettons en œuvre dans un cadre européen. J’ai pris connaissance de la proposition de résolution du Sénat relative aux sanctions et au contrôle des fonds : je tiens à le dire ici, nous maintenons un effort continu en ce sens.
L’Union européenne a annoncé, le 27 septembre, de nouvelles sanctions individuelles à l’encontre de 7 membres du régime vénézuélien directement impliqués dans des atteintes aux droits de l’homme, ce qui porte à 25 les personnalités vénézuéliennes sanctionnées par l’Union. Les sanctions sont envisagées comme un mécanisme d’incitation aux négociations, elles peuvent donc être modulées selon l’évolution de la situation sur place. Ces sanctions individuelles prévoient un gel des avoirs des personnalités vénézuéliennes concernées, ainsi qu’une interdiction d’admission sur le territoire de l’Union européenne, et donc en France métropolitaine, comme dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer. Au vu des atteintes renouvelées aux droits de l’homme et de l’impasse politique, nous étudions de nouvelles possibilités de désignations individuelles avec nos partenaires européens.
L’action de la France, saluée par nos interlocuteurs et vous-mêmes, conjugue donc l’appui aux négociations et la pression sur les autorités vénézuéliennes, au moyen de sanctions individuelles décidées avec nos partenaires européens.
Je voulais, pour conclure, vous dire que, au fond, nous soutenons cette résolution sur son analyse de la situation et sur la nécessaire pression à exercer sur les autorités vénézuéliennes actuelles.
Sur le point spécifique de la saisine de la Cour pénale internationale – et donc sur votre demande implicite que la France rejoigne les pays signataires du dossier en cours devant la CPI – nous avons une approche quelque peu différente.
Nous apportons un soutien général et entier aux travaux de la CPI. Nous faisons confiance à cet organe, y compris pour examiner la situation au Venezuela. Il est, selon nous, nécessaire d’établir les faits qui ont conduit à la crise et que la CPI contribue à y trouver une issue. Cela implique que son travail puisse être accepté par toutes les parties – gouvernement et opposition –, qu’il favorise une solution politique négociée, alors qu’il risque d’être instrumentalisé et politisé, et qu’il constitue ainsi bien un préalable. Sans préjuger de ses conclusions, nous suivrons très attentivement son évolution. Cela ne nous empêche pas d’être attentifs aux travaux menés et de tirer, ensuite, toutes les conséquences quand les faits auront été établis et caractérisés par la CPI.
J’espère ainsi, madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avoir pu répondre à vos interrogations.
Je vous remercie à nouveau pour votre travail de vigilance sur ce sujet ô combien important en Amérique latine, mais aussi pour la réaffirmation des principes que nous défendons ensemble au nom de notre liberté, de l’égalité et de la fraternité.