Intervention de Nicolas Revel

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 octobre 2019 à 8h35
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 — Audition de M. Nicolas Revel directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie cnam

Nicolas Revel, directeur général de la CNAM :

Monsieur Chasseing, le ministère réfléchit à la labellisation des hôpitaux de proximité et travaille sur les critères à définir. Un CHR peut-il devenir hôpital de proximité ? Rien ne l'exclut. Cependant, la notion renvoie davantage à une structure proposant une offre de soins tournée vers la médecine interne, la gériatrie, les soins de suite et la psychiatrie, c'est-à-dire une offre spécialisée vers la prise en charge de premier recours.

L'Ondam médico-social a son évolution propre. Que se passera-t-il une fois que la dette sociale aura été « éteinte » ? Pour le coup, c'est une question qu'il vous appartiendra de traiter, parce qu'elle relève de la loi, et certainement pas de l'assurance maladie, les masses financières en jeu étant tout à fait considérables. Je ne m'autoriserai donc pas à répondre à cette question, qui, de surcroît, ne se pose pas immédiatement, puisque l'échéance est fixée à 2024.

S'agissant de la reconnaissance des interventions des pharmaciens, nous sommes précisément en train de discuter avec les syndicats de pharmaciens de la possibilité et de l'utilité de la création d'une sorte de bilan de médication adapté à la problématique des résidents en Ehpad. Il n'est absolument pas exclu que cette réflexion aboutisse.

Pour ce qui concerne les indemnités journalières, il y a beaucoup de choses dans le rapport de la Cour des comptes. Je n'ai pas d'avis sur la question du premier jour de carence d'ordre public, mesure qui relève, elle aussi, de la loi. Comme vous le savez, l'application de ce dispositif a été neutralisée par des accords sociaux dans la plupart des grandes entreprises. Son rétablissement dans celles-ci ne manquerait pas de les impacter.

Alors que le débat se focalise toujours sur les petits arrêts maladie itératifs, il est frappant de constater que ce sont les arrêts de longue durée qui font la dynamique du poste. Aujourd'hui, les arrêts de courte durée représentent 75 % du volume des arrêts et 18 % de la dépense. Les arrêts de très longue durée, supérieurs à six mois, représentent quant à eux 6 % du volume et 50 % de la dépense. Les chiffres sont encore plus significatifs pour les arrêts supérieurs à un mois.

Dès lors, nous nous concentrons prioritairement sur les arrêts longs, et donc sur l'accompagnement des malades. Il n'y a pas de doute sur la réalité des maladies : il ne s'agit pas de dénoncer des malades imaginaires ou des prescriptions de complaisance. Aujourd'hui, un peu plus de la moitié des arrêts de plus de six mois ne sont pas liés à des affections de longue durée : les pathologies peuvent être liées à des troubles anxio-dépressifs ne relevant pas d'une reconnaissance d'une affection de longue durée (ALD), à des lombalgies, des TMS... Notre vraie marge de progrès réside dans l'accompagnement des salariés concernés vers une reprise d'emploi, qui, à mesure que la mesure que la durée de l'arrêt s'allonge, devient plus difficile, à plusieurs titres.

Nous considérons que, pour être plus efficace dans cet accompagnement individuel, qui prend un peu de temps, il est de notre responsabilité de nouer des relations avec les patients, les médecins traitants prescripteurs et les services de santé au travail. Il s'agit de travailler de manière partenariale, dès lors que le médecin traitant, le médecin-conseil de l'assurance maladie et le médecin du travail conviennent qu'une reprise d'activité est non seulement envisageable, mais souhaitable pour le patient.

Je veux vous rassurer, cette priorité n'exclut évidemment pas que nous continuions à convoquer les patients arrêtés pour une courte durée, pour vérifier que leur arrêt est bien justifié. Chaque année, nous convoquons physiquement au service médical 1 million des quelque 4,5 millions de personnes arrêtées, 200 000 étant arrêtées pour une durée inférieure à 15 jours et 800 000 pour une longue durée.

Nous accompagnons les médecins. L'idée de la Cour des comptes est en quelque sorte de rendre opposables les durées indicatives que nous avons définies dans des fiches repères, qui figurent dans l'arrêt de travail en ligne, y compris en sanctionnant financièrement les médecins qui ne les respecteraient pas. Bien évidemment, ces durées indicatives doivent être nuancées, pour une même pathologie, en fonction de la situation de l'assuré, de son environnement professionnel, de la pénibilité de son travail... Cela dit, il me paraît très compliqué de sanctionner financièrement un médecin qui a été amené à déroger - à la hausse ou à la baisse, d'ailleurs - à la durée fixée dans la fiche repère, compte tenu de la situation globale du patient. Je pense qu'il faut être très précautionneux sur ce plan.

Par ailleurs, nous travaillons sur le profil des médecins extrêmement prescripteurs. Les médecins-conseils de l'assurance maladie rendent visite à de nombreux médecins pour échanger sur le cas de patients. Ces échanges se passent très bien, parce qu'il ne s'agit pas de reprocher aux médecins d'avoir prescrit un arrêt : l'objectif est de rechercher, ensemble, des évolutions possibles, notamment en étudiant l'éventualité d'une reprise d'activité.

Monsieur Mouiller, vous m'avez posé une question très importante sur la combinaison des stratégies de moyen et de long termes avec la difficulté, pour les professionnels, d'attendre que les mesures produisent leurs effets, ce qui peut prendre plusieurs années.

Objectivement, la stratégie de transformation du système de santé annoncée en septembre 2019 a été très bien accueillie par l'ensemble des parties. Je pense que la vision stratégique que nous avons définie n'a été contestée par personne. Or sa mise en oeuvre prend évidemment du temps. À cet égard, nous sommes confrontés, aujourd'hui, à une difficulté quand les mesures que décidons n'ont aucune réalité dans le quotidien des soignants : alors que ceux-ci exercent leur métier dans des conditions extrêmement pénibles, il leur est très difficile d'entendre que les choses ne s'arrangeront que d'ici trois ou quatre ans !

Si j'ai bien compris ce qu'ont dit les plus hautes autorités de l'État, la prise en compte de cette difficulté conduira le Gouvernement à annoncer prochainement un certain nombre de mesures. J'ignore si celles-ci devront être traduites dans le PLFSS, mais il y a effectivement un risque de télescopage en termes de calendrier. Quoi qu'il en soit, si ces réponses ont une portée législative, elles devront, par définition, passer entre vos mains.

Pour ce qui concerne la question de la dépendance, j'estime que la création d'un congé pour le proche aidant constitue un début de réponse. C'est une mesure importante.

Le libre choix du matériel est une préoccupation tout à fait légitime. Elle doit toutefois être nuancée par la liberté de prescription médicale. En outre, si nous étions amenés à référencer un nombre plus réduit d'appareils que les 700 existant actuellement sur le marché, il faudrait évidemment veiller au maintien d'une pluralité d'offres pour chacune des gammes d'appareils ou chacun des éléments de la gamme.

Pour sauver un système à bout de souffle, il convient de mieux mobiliser les économies que l'on peut tirer de l'efficience médico-économique. Cela paraît plus pertinent que de jouer sur les tarifs. J'en suis tout à fait convaincu depuis que j'ai commencé à exercer mes responsabilités ! Au demeurant, je suis aussi très conscient qu'il est bien plus difficile et plus long de mettre en place des stratégies sur une multitude de sujets pour réaliser des gains possibles, d'identifier les actes redondants, de travailler sur la pertinence des prescriptions, d'améliorer la qualité des prises en charge, de renforcer la prévention primaire et secondaire que de réguler un tarif. Autant de chantiers absolument considérables sur lesquels nous essayons évidemment de progresser.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ces différents sujets. Quoi qu'il en soit, s'il y a des marges de progrès à réaliser sur le plan organisationnel, c'est bien en matière d'organisation des soins dans les territoires.

En effet, ce qui constitue aujourd'hui, à mes yeux, un handicap lourd du système de santé français, c'est que nous n'avons pas réussi, jusqu'à présent, à apporter une réponse au double phénomène de cloisonnement et d'atomisation des acteurs. C'est d'autant plus préjudiciable que le choc épidémiologique et démographique que nous connaissons actuellement va se poursuivre et s'intensifier. La question de l'accès aux soins est d'autant plus difficile à régler quand on travaille seul, avec peu de moyens et pas d'équipe autour de soi, a fortiori quand on sait que les nouvelles générations ne s'inscrivent pas du tout dans le même schéma professionnel.

Quel que soit le bout par lequel on prenne le problème, on ne coupe pas à la nécessité qu'émerge, notamment au travers des CPTS, une capacité des professionnels de ville, mais aussi des hospitaliers et des acteurs du secteur médico-social, à travailler ensemble. Les CPTS ne doivent pas être des structures virtuelles, répondant à un schéma théorique. Elles doivent permettre de travailler ensemble sur des enjeux extrêmement concrets pour les médecins : comment prendre en charge, sur le territoire, un malade souffrant d'insuffisance cardiaque, de diabète ou de troubles psychiatriques ? Comment travailler ensemble ? Comment gérer une sortie d'hospitalisation compliquée ? Comment éviter une hospitalisation au profit d'une prise en charge à domicile ? Quand on les interroge, les acteurs demandent à ce qu'on les aide à travailler ensemble et à ce que l'on complète la palette de leurs outils, notamment en matière d'accompagnement social et par une meilleure collaboration entre médecine de ville et médecine hospitalière.

Nous n'avons pas souhaité plaquer les CPTS de manière autoritaire, parce que cela n'aurait pas marché. Nous avons voulu qu'elles partent de la ville. Si elles étaient parties des hôpitaux, tous les acteurs de la médecine de ville auraient refusé d'y participer...

Voilà le pari que nous faisons. Nous verrons ce qui en résultera au final, mais nous avons d'ores et déjà des retours positifs sur les 400 projets en cours.

Il y a encore six mois, j'entendais dire que la CPTS était un objet technocratique, qu'elle n'avait aucun sens, qu'elle n'intéressait personne et qu'elle ne servait à rien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion