Merci de recevoir le Grand Orient de France, dont la Commission nationale de santé publique et de bioéthique travaille depuis presque trente ans sur les thèmes que nous allons aborder. En vue de la révision de la loi bioéthique, le CCNE a pris en compte, de manière inédite, l'avis des citoyens, et non pas seulement celui des experts. De nouveaux espaces de réflexion en matière de santé se sont ouverts, s'appuyant non pas sur des avancées scientifiques et techniques, mais sur des demandes émanant d'une partie de la société. Nous souscrivons aux avis du CCNE et souhaitons les soutenir.
Concernant la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, le CCNE est favorable à la recherche sur les embryons surnuméraires issus des fécondations in vitro qui n'ont pas été conduites jusqu'au bout par les parents. Il est en revanche opposé à la création d'embryons par la culture de lignées de cellules souches embryonnaires. L'idée est d'utiliser les matériaux biologiques existants, de recycler ceux qui ont été créés pour un projet parental, mais non - pour éviter tout eugénisme - d'autoriser une nouvelle forme de création de la vie en laboratoire. La difficulté de définir une législation dans ce domaine tient à l'évolution relativement rapide des biotechnologies à base de cellules souches. Il faut donc être vigilant sur la finalité médicale, l'absence d'alternative, la robustesse du protocole sont à questionner.
Dans le domaine des examens génétiques et de la médecine génomique, la finalité médicale rend les décisions plus faciles à trancher sur le plan éthique. Le diagnostic génétique préconceptionnel, c'est-à-dire le dépistage en amont d'anomalies qui peuvent être engendrées par des géniteurs porteurs sains, telles que des monosomies ou des déficits immunitaires par exemple, est ainsi légitime. C'est un acte médical de prévention qui devrait être pris en charge par l'assurance maladie ; le consentement éclairé devrait être recueilli à tous les stades. Diagnostic préimplantatoire ou diagnostic prénatal doivent pouvoir être étendus à la population générale et une étude doit être menée sur vingt-quatre mois afin d'en établir les bénéfices éventuels.
Concernant les dons et transplantations d'organes, le prélèvement d'organes chez des patients décédés souffre aujourd'hui de fortes disparités régionales. L'offre de greffons arrive trop tôt ou trop tard, ce qui compromet le principe d'égalité lorsqu'il s'agit de bénéficier d'une greffe. En accord avec le CCNE, nous sommes favorables au don d'organes, qu'il faut amplifier, d'abord en formant mieux les personnels médicaux, ensuite en réalisant une large campagne d'information auprès du public. L'inscription au registre national des refus est accessible partout sur Internet depuis quelques années. Le plus important est de faire prévaloir le consentement éclairé et le choix de la personne sur les arrangements médicaux ou les pressions. Il en va de même pour les greffes d'organes à partir de donneurs vivants. Un statut de donneur dans le respect du principe d'équité entre tous les patients inscrits en liste d'attente reste fondamental ; il serait souhaitable de raccourcir les délais de remboursement des frais avancés par le donneur vivant, afin qu'il ne soit pas amené à supporter les conséquences financières de ce geste généreux.
Concernant les neurosciences, ce domaine de la recherche scientifique s'appuie principalement sur l'énergie cérébrale pour approfondir la connaissance du fonctionnement du corps humain, ainsi que les possibilités du diagnostic d'un certain nombre de pathologies. L'étude de ces mécanismes cérébraux soulève néanmoins un certain nombre de questions éthiques relatives à la frontière entre le normal et le pathologique. Une imagerie cérébrale anormale chez un criminel peut-elle expliquer ses actes criminels ? Quelles sont les limites du neuro-marketing, voire d'une neuro-politique ? Un employeur potentiel pourrait-il passer votre cerveau dans une machine afin de savoir s'il va vous embaucher ? Si la neuro-éthique est très développée dans les pays anglo-saxons depuis une quinzaine d'années, elle l'est encore assez peu en France. Les concepts de dignité humaine, d'autonomie, de non-malfaisance et d'équité restent fondamentaux. Les techniques de neuro-amélioration concernant des dispositifs médicaux et surtout non médicaux doivent être encadrées par la loi et une information doit être diffusée.
L'insuffisante utilisation du numérique dans le domaine de la santé, qu'il s'agisse de prise en charge des patients, de recherche ou de pilotage par les données, induit sur une large échelle des situations non éthiques au sein de notre système de santé. La résorption de ces problèmes est un enjeu prioritaire et qui ne peut passer que par la loi. La diffusion du numérique en santé semble inévitable, mais face au développement de ces technologies, le recours au droit opposable doit être circonscrit au maximum, comme le précise le CCNE : « Compte tenu des marges de gain de qualité et d'efficience permises par un recours élargi au numérique dans le nouveau système de santé, mettre en oeuvre des réglementations restrictives est contraire à l'éthique. » Le contact humain, pour nous, reste essentiel, car lui seul est en mesure de transmettre l'ensemble des informations concernant le patient dans le cadre de nos parcours de soins. Comme dans d'autres domaines, le consentement libre et éclairé du patient est indispensable et fondamental pour le recours aux techniques d'intelligence artificielle.
La procréation est un des points les plus clivants. Depuis la fin des années 1960, une forte pression sociale s'est exercée en faveur de la liberté de la procréation humaine. En libérant la sexualité d'une finalité procréatrice, la possibilité pour un couple de faire un enfant quand il le veut et s'il le veut est devenu un droit revendiqué. Il implique, lorsque la procréation spontanée se heurte à une difficulté, d'utiliser une technique d'assistance médicale à la procréation. En apportant une réponse médicale à un problème d'infertilité, l'AMP recouvre un ensemble de techniques conçu par le corps médical, puis organisé par le législateur pour répondre à des infertilités dues à des dysfonctionnements de l'organisme. Mais elle soulève des problèmes éthiques d'ordre général, qui sont depuis le début au centre des travaux du CCNE et même à l'origine de sa création, avec le premier bébé-éprouvette.
Les demandes sociétales d'accès à l'AMP, c'est-à-dire à d'autres fins que de pallier l'infertilité pathologique chez les couples hétérosexuels, augmentent, alors qu'elles étaient autrefois très marginales. Elles sont portées à la fois par les évolutions de la société, de la loi française et de certains pays étrangers, et de la technique. Le CCNE est favorable à l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes et les femmes seules. Il demeure favorable au maintien de l'interdiction de la gestation pour autrui. Il souhaite par ailleurs que soit rendue possible la levée de l'anonymat des futurs donneurs de sperme pour les enfants issus de ces dons. Le CCNE est favorable à l'ouverture de l'AMP post mortem, c'est-à-dire au transfert in utero d'un embryon cryogéné après le décès de l'homme sous réserve d'un accompagnement médical et psychologique de la conjointe. Le Grand Orient de France précisait dans un communiqué officiel du 29 septembre 2017 : « Le Grand Orient de France souhaite que cette évolution vers plus d'égalité et de justice sociale se réalise rapidement. Il suffit pour cela que le législateur prenne toutes ses responsabilités, conformément aux principes de notre République laïque. Il serait contre-productif de relancer à cette occasion d'éternels débats de société qui font la part belle aux lobbies politico-religieux, voire provoquent des déferlements d'homophobie, comme en 2013. Le droit de toutes les femmes à la PMA, leur égalité quels que soient leurs préférences sexuelles et leurs modes de vie, ne doivent pas plus être otages des campagnes politiciennes que des anathèmes religieux. [...] Le vrai débat, qui revient au Parlement, doit porter sur la faisabilité technique et financière - notamment les conditions de remboursement - de cette ouverture de la PMA. Le Grand Orient de France met en garde contre tout amalgame avec l'indispensable réflexion sur la GPA, sujet de nature différente, qui pose d'autres types de questions que l'on ne peut considérer tranchées à ce jour. »