Les PLFSS sont ainsi faits que nous devons successivement : porter un regard rétrospectif sur l'exercice écoulé en en approuvant les tableaux d'équilibre ; rectifier les prévisions de l'exercice en cours, le cas échéant en ayant adopté des mesures ayant un impact sur ses comptes ; nous pencher sur les mesures de recettes et de dépenses de l'exercice suivant, le rapport figurant en annexe B du projet de loi nous donnant même une perspective pour les quatre prochaines années.
Ce balayage successif du passé, du présent et de l'avenir va donc nous donner une vision contrastée de la santé financière de la sécurité sociale
Le retour sur l'exercice 2018 nous replace dans la continuité des dernières années : une sécurité sociale toujours en déficit, mais en redressement continu et avec une perspective de sortir du rouge.
Le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est établi l'an passé à 1,2 milliard d'euros sur le périmètre du régime général et du FSV - 1,4 milliard en incluant l'ensemble des régimes obligatoires de base (ROBSS). Ce résultat est meilleur que le solde voté par le Parlement, à - 2,2 milliards d'euros.
Ce bon résultat pour 2018 est avant tout le fruit de la progression des recettes, qui ont augmenté de 3,4 % par rapport à 2017, sous l'effet d'un bond de 3,5 % de la masse salariale. Dans le même temps, les dépenses ont augmenté de manière significative, mais moindre, de 2,4 %.
Dans ces conditions, le vote, l'année dernière, d'un budget de la sécurité sociale pour 2019 à l'équilibre pour la première fois depuis 18 ans semblait être un aboutissement normal et réalisable. Hélas, la partie rectificative de ce PLFSS propose une très nette correction de cette ambition.
Le solde consolidé du régime général et du FSV est estimé à - 5,4 milliards d'euros pour 2019, soit une dégradation de 5,5 milliards d'euros par rapport au petit excédent de 100 millions finalement voté pour cette année.
Cette dégradation est le résultat conjugué de trois facteurs. D'abord, une diminution conjoncturelle des recettes, pour un peu moins d'un tiers - soit une perte de 1,6 milliard d'euros pour le régime général. C'est l'effet d'une évolution moins favorable que prévu de la masse salariale : 3,3 % cette année par rapport à 2018, et même 3 % en tenant compte de la part qu'occupe la prime exceptionnelle qui, par définition, n'apporte aucune recette à la sécurité sociale.
Deuxième facteur, des dépenses plus élevées que prévu pour les branches maladie et vieillesse, pesant environ un quart de la dégradation.
Enfin, la politique du Gouvernement consistant à ne pas compenser à la sécurité sociale les mesures de diminutions de recettes qu'il décide. Les mesures adoptées dans le cadre de la loi portant mesures d'urgence économiques et sociales (MUES) du 24 décembre 2018 pèsent ainsi pour près de la moitié de la dégradation, soit 2,7 milliards d'euros.
En fait, le Gouvernement propose même d'aller au-delà puisque l'article 3 du PLFSS ne compense pas plusieurs mesures de la LFSS pour 2019, alors que nous nous étions prononcés contre la non-compensation.
Au-delà de l'exercice en cours, ce PLFSS dessine pour les quatre prochaines années une trajectoire dégradée, en fort contraste avec les prévisions des dernières lois de financement.
Mais autant l'année dernière, la révision (déjà forte) de la trajectoire était un mouvement volontaire du Gouvernement, qui semblait souhaiter un « pilotage à solde zéro » de la sécurité sociale, autant cette année, la dégradation est subie.
Le Gouvernement reste en partie sur sa logique de l'année dernière.
D'un côté, le transfert à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) de 15 milliards d'euros de dettes actuellement logées à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), et les transferts de CSG du même montant qui l'accompagnaient, sont abandonnés.
De même et de manière encore plus significative, les coupes « aveugles » de TVA entre 2020 et 2022, que nous avions unanimement dénoncées, seront également abrogées.
En revanche, la politique de non-compensation se poursuit, elle est même amplifiée.
Ce choix, qui s'accompagne d'une conjoncture bien moins favorable et de dépenses qui continueront à croître, en particulier sur la branche vieillesse, se traduit par un déficit constant sur l'ensemble de la période 2019-2023 - avec un excédent symbolique de 100 millions d'euros affiché en 2023 sur le périmètre régime général + FSV.
Nous avons de quoi douter des hypothèses sur lesquelles se fonde ce mini-excédent. En effet, il résulte d'un niveau de recettes qui, en pratique, n'a rien d'évident puisqu'il suppose une masse salariale au moins égale et une croissance du PIB qui ne fléchisse pas. En d'autres termes, la trajectoire financière qui soutient ce PLFSS est très optimiste...
Conséquence logique des déficits, la dette de la sécurité sociale va continuer à croître ces prochaines années.
Comme nous l'a indiqué le Premier président de la Cour des comptes, si la dette sociale transférée à la Cades sera bien amortie en 2024 - selon les projections faites aujourd'hui-, il est faux de dire qu'à cette date, il n'y aura plus de dette sociale.
En effet, la dette des différentes branches portée par l'Acoss devrait atteindre 47,5 milliards d'euros en 2024 - soit entre deux trois années de la totalité des ressources de la Cades au moment de son extinction... ou, environ deux fois le montant du premier transfert à la Cades, celui qui a justifié sa création.
En somme, en 2024, nous risquons fort de nous trouver comme Sisyphe, revenu au pied de la montagne à l'heure où il croyait avoir achevé son ouvrage.