Le 12 septembre dernier, lors de son discours sur la réforme, le Premier ministre a commandé au Conseil d'orientation des retraites un diagnostic incontestable sur la perspective financière du système de retraite à l'horizon 2030.
Sans attendre le rapport, prévu pour le 21 novembre, ce PLFSS présente d'ores et déjà une trajectoire financière très fortement dégradée, par rapport à la loi de financement pour 2019, pour la branche vieillesse de la sécurité sociale qui recouvre les seuls régimes de base et le FSV.
En 2018, le solde de la branche s'établissait à - 1,9 milliard d'euros, ce qui résulte principalement du déficit du FSV. En 2019, ce projet de loi rectifie très fortement la prévision de déficit de la branche par rapport au texte de l'année dernière, pour le porter à 4,6 milliards d'euros contre 1,8 milliard initialement prévus. Cette dégradation du déficit, de près de 3 milliards d'euros, mérite d'être expliquée.
Elle résulte principalement d'une baisse brutale, de 2,2 milliards d'euros, des prévisions de recettes affectées aux régimes de base. Cette baisse a deux origines. D'abord, la non-compensation d'une mesure de la loi MUES, qui exonère de cotisations sociales les heures supplémentaires dès le 1er janvier 2019. La LFSS pour 2019 prévoyait une telle exonération à compter du 1er septembre, ainsi qu'une compensation intégrale des pertes de recettes pour la sécurité sociale. En avançant au 1er janvier cette exonération, la loi MUES a créé un manque à gagner de 1,3 milliard d'euros supplémentaires pour les recettes des régimes de retraite de base, que le présent PLFSS ne compense pas. L'autre explication est la dégradation des hypothèses macroéconomiques sous-jacentes à ce PLFSS, et plus particulièrement la prévision de croissance de la masse salariale soumise à cotisations, moins dynamique que prévu. En dépenses, le FSV voit ses charges augmenter plus fortement que prévu en raison de la dynamique plus forte de la dépense pour le chômage, toujours difficile à évaluer.
Du côté des régimes de base, la hausse des dépenses par rapport à la LFSS pour 2019 résulterait principalement d'un problème d'évaluation des dépenses de la Mutualité sociale agricole (MSA) l'année dernière.
En 2020, qui devait être l'année d'un retour à l'équilibre de la branche vieillesse, le déficit de cette dernière devrait continuer à se maintenir à 4,6 milliards d'euros, avant de se creuser à partir de 2021 à - 5,4 milliards d'euros et ce jusqu'en 2023, où il pourrait atteindre 6,6 milliards d'euros.
Alors que le FSV continuerait de réduire son déficit, mais à un rythme moins soutenu que prévu l'année dernière, les régimes de base voient leurs déficits se dégrader très fortement sous l'effet de moins bonnes prévisions macroéconomiques et, surtout, de l'incapacité du Gouvernement à prendre les mesures justes et efficaces pour maîtriser à court terme les dépenses de retraite.
Les prévisions macroéconomiques vont affecter à la fois les recettes et les dépenses. En recettes, ce PLFSS prévoit un dynamisme beaucoup moins important de la masse salariale. Sa croissance serait inférieure à 3 % jusqu'en 2023, alors qu'elle était prévue à 3,7-3,8 % l'an dernier.
À l'inverse, la reprise de l'inflation - 1,6 % attendu en 2022 et 1,8 % en 2023 - expliquerait un dynamisme des dépenses plus fort, d'autant plus qu'elles ne sont plus freinées depuis 2017 par la réforme des retraites de 2010 et que l'effet de la réforme de 2014 est plus lent et surtout moins puissant pour retarder l'âge moyen de départ à la retraite.
J'en reviens donc à la responsabilité du Gouvernement qui, depuis deux ans, n'a pas pris les bonnes mesures pour freiner l'évolution des dépenses à court terme.
Car l'autre raison à cette dégradation de la trajectoire par rapport à l'année dernière, c'est bien le plus faible impact de la sous-revalorisation des pensions, qui va être freiné en 2020 en ne concernant plus que les pensions supérieures à 2 000 euros.
L'année dernière, la mesure de sous-revalorisation des pensions à 0,3 % en 2020 portait sur l'ensemble des pensions. Elle a, vous le savez, été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif que cette mesure concernait l'année 2020 et devait donc figurer dans la LFSS pour 2020.
Le Sénat dans son ensemble s'était opposé vigoureusement à cette disposition en soulignant le risque d'un effet cumulatif dangereux à ne faire porter l'effort de pilotage financier du système que sur les retraités.
La mesure de sous-revalorisation pour 2019 et 2020, prévue dans le PLFSS pour 2019, intervenait après une année de gel des pensions en 2018 et une augmentation de la CSG sur les retraites sans aucune contrepartie.
Nous avions alors dénoncé le coup porté au pouvoir d'achat des retraités, coup qui allait durer dans le temps. En effet, toute mesure de sous-revalorisation des pensions se répercute les années suivantes par un effet de base, qui diminue l'effet des revalorisations futures. Le Gouvernement n'avait pas tenu compte de notre argument. La crise des « gilets jaunes » a montré que notre analyse sur le pouvoir d'achat des retraités n'était pas infondée.
L'article 52 de ce PLFSS semble en tirer les leçons en ne prévoyant la sous-revalorisation que pour les personnes ayant un montant total de retraite, base et complémentaire, supérieur à 2 000 euros.
Je pense néanmoins que cette mesure n'est pas la bonne pour améliorer la situation financière des retraites. En ne tenant pas compte du revenu fiscal de référence, elle vise principalement les retraités moyens, qui n'ont que leur retraite et pas de revenus du capital pour vivre. Cette mesure n'est donc pas juste. Elle est surtout fragile d'un point de vue constitutionnel en ce qu'elle entraîne une rupture d'égalité au regard du principe contributif des retraites, malgré le mécanisme de lissage particulièrement complexe qui est prévu. Je reviendrai sur cet argument tout à l'heure en vous présentant un amendement de suppression de l'article 52.
La majorité sénatoriale considère que le seul levier qui puisse être actionné pour rééquilibrer les retraites, c'est celui de l'âge de départ à la retraite. Le rapport sur l'emploi des seniors que j'ai présenté à la rentrée avec Monique Lubin m'a confirmé dans cette conviction : il faut que nous réussissions par tous les moyens à faire augmenter le taux d'emploi des 60-64 ans.
Cela passe par la série de propositions que nous avons formulées et sans doute par une réforme des dispositifs de départ anticipé pour carrière longue, qui ont été détournés de leur objet initial visant à compenser la pénibilité.
Ils représentent, depuis leur réforme en 2012, une dépense de plus de 10 milliards d'euros par an, tous régimes confondus, et font qu'une personne sur deux partant à la retraite actuellement peut le faire avant l'âge légal de 63,1 ans. J'ai été surpris d'apprendre aussi qu'un bénéficiaire sur trois du cumul emploi-retraite était parti à la retraite en carrière longue.
L'augmentation du taux d'emploi des 60-64 ans passera aussi, inévitablement, par un recul de l'âge effectif de départ à la retraite. Or, en la matière, l'expérience montre que la mesure la plus efficace pour un décalage rapide et effectif de cet âge est le recul de l'âge minimum légal.
Je proposerai tout à l'heure un amendement visant à reculer cet âge progressivement à compter du 1er juillet 2021 pour le porter de 62 à 64 ans au 1er janvier 2025.
Alors que le Gouvernement a annoncé vouloir remettre à l'équilibre le système de retraite au moment de l'entrée en vigueur de la réforme systémique en 2025, je pense qu'il devrait regarder avec intérêt la proposition du Sénat, qui a le mérite de la constance.
J'insiste sur ce point : la majorité sénatoriale ne souhaite pas cette année encore réformer les retraites « au détour d'un amendement » comme cela nous a été reproché l'année dernière.
D'abord cet argument ne tient pas en soi. Que sont les lois de financement de la sécurité sociale si ce n'est le meilleur véhicule législatif pour porter des mesures structurelles d'économie ?
Mais surtout, nous pensons que cette réforme est en réalité la réforme prioritaire à mener avant d'engager le système dans un vaste et encore très incertain régime universel. Et ce d'autant plus que le rapport Delevoye de juillet dernier a clairement montré ce qui allait coûter plus cher sans convaincre à ce stade sur la capacité du futur système à s'équilibrer.
Un dernier mot concernant l'article 53 : faciliter la transition vers la retraite des bénéficiaires du RSA est bienvenu, mais les économies réalisées par les caisses de retraite du fait d'un versement des pensions décalé de deux ans sont pour les départements un coût d'un montant équivalent - 5 millions d'euros tout de même -, et qui n'est pas compensé...