Intervention de Olivier Jacquin

Réunion du 5 novembre 2019 à 14h30
Orientation des mobilités — Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de Olivier JacquinOlivier Jacquin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la barre n’a-t-elle pas été placée trop haut lors des Assises nationales de la mobilité ? Alors que nous espérions un projet de loi d’orientation des mobilités qui soit vraiment pour tous, le texte auquel nous aboutissons s’avère insuffisant.

Le projet de loi comporte bien sûr des dispositions utiles, voire indispensables, que je tiens à souligner : la prise en compte des données et de la révolution numérique, la décarbonation des motorisations, les zones à faibles émissions, les voies réservées, le plan vélo et le forfait mobilité, qui sont sur les rails, ainsi que la réglementation de l’usage des engins de déplacement personnels.

Je n’oublie pas les deux points essentiels que sont, d’une part, la programmation pluriannuelle des infrastructures, tant attendue par les territoires, bien que la version retenue ne soit qu’une version amoindrie du scénario 2 du Conseil d’orientation des infrastructures, et, d’autre part, la volonté de placer les territoires au cœur de la démarche des mobilités via la fin des « zones blanches de la mobilité » – songez qu’aujourd’hui, mes chers collègues, 75 % des intercommunalités n’exercent pas leur compétence en matière de mobilité.

Mais c’est précisément sur ces deux points que le bât blesse, en raison du manque de financements adéquats. Je ne veux pas minimiser les apports de ce texte, mais vous aurez constaté comme moi, mes chers collègues, qu’il ne contient presque que des mesures réglementaires et peu coûteuses. La LOM a-t-elle fait les frais du rachat partiel de la dette de la SNCF lors de la réforme précipitée du système ferroviaire l’année dernière, monsieur le secrétaire d’État ? De quels moyens disposez-vous réellement ?

Je ne reviendrai pas sur le bricolage du Gouvernement, qui a sorti de son chapeau, quelques heures avant la réunion de la commission mixte paritaire, une taxation de l’aérien, la réduction de 2 centimes d’euro par litre de l’exonération de TICPE pour les poids lourds et la promesse du transfert d’une part de TVA sans fléchage, tout cela sans débat ni étude d’impact.

Un socialiste ne peut bien sûr que se satisfaire de voir le début de la fin d’une injustice fiscale profitant à certains modes de transport, ici l’aérien, en attendant le maritime, mais comment être certain qu’il s’agisse de la bonne méthode ou de la bonne échelle ?

Concernant les poids lourds, vous ne faites qu’aggraver la distorsion de concurrence entre les transporteurs français et ceux qui traversent notre pays sans même y faire le plein.

Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi avoir supprimé le taux réduit de versement mobilité à 0, 3 % et le fléchage d’une part du produit de la TICPE vers les petites autorités organisatrices, imaginés et votés ici même de façon consensuelle ? Il y avait là de bonnes idées. Ces suppressions vont créer une fracture entre nos territoires.

De même, chers collègues de la majorité, pourquoi avoir refusé nos propositions visant à affirmer le principe du pollueur-payeur ? Nous avions par exemple suggéré la création d’une contribution carbone pour les donneurs d’ordre, et non pour les transporteurs, ou encore le financement de la transition écologique par un grand emprunt.

Autre très grand point de désaccord entre nous : l’obstination du Gouvernement sur le fameux article 20 et le sort des travailleurs des plateformes. Votre système de charte volontaire, qui avait été supprimé en première lecture au Sénat, est un véritable cheval de Troie contre le code du travail, sans autre but que de protéger les plateformes contre la requalification régulière de ces travailleurs en salariés. À cet égard, je vous invite à aller voir le dernier film de Ken Loach, qui évoque cette question difficile et terrible – le problème est grave.

Surtout, je m’attriste de l’absence de tout ce qui aurait dû figurer dans ce texte, à l’instar de l’affirmation nette du principe du pollueur-payeur ou de mesures concernant les secteurs aérien et maritime – sur ces derniers, le débat serein qui était attendu n’a pu avoir lieu ici.

S’agissant des autoroutes, j’avais salué la proposition particulièrement audacieuse que vous aviez faite lorsque vous étiez député, monsieur le secrétaire d’État, de créer une société de gestion publique afin d’anticiper la fin des concessions autoroutières en 2032 et de préempter les bénéfices futurs pour financer les infrastructures aujourd’hui. J’espère que vous allez remettre l’ouvrage sur le métier !

Ce sont deux amendements beaucoup plus discrets qui ont été adoptés par l’Assemblée nationale, visant à étendre le champ des concessions autoroutières aux nationales attenantes, dispositif très largement soutenu par le lobby autoroutier.

Autre point oublié : le transport de marchandises, alors que le transport routier international dérégulé tire les prix à la baisse et tue nos canaux et nos lignes ferroviaires.

Enfin, j’évoquerai le problème de l’attrition du réseau et des petites lignes ferroviaires. Votre prédécesseur, Mme Borne, nous avait promis que cette question serait traitée dans le présent projet de loi pour justifier son refus d’en débattre lors de la réforme de la SNCF. Je ne filerai pas à mon tour la métaphore de l’Arlésienne Philizot. Disons plutôt que ce rapport, c’est En attendant Philizot… Existe-t-il vraiment ?

Mes chers collègues, le texte qui nous est proposé ne permet pas de concilier fin du monde et fin du mois, selon la formule consacrée, pour ce qui concerne les transports. Les problèmes de financement pérennisent un système de mobilité à deux vitesses : illimité et confortable pour les plus argentés, grâce au TGV, à l’avion, aux VTC, à portée de main ; contraint pour les « navetteurs », qui n’ont d’autres choix, eux, que de conduire leurs vieux diesels ou de prendre le RER bondé. Et je ne parlerai même pas des « insulaires », terme utilisé par le sociologue Éric Le Breton pour désigner toutes ces personnes qui sont quasiment assignées à résidence : ruraux sans voiture, handicapés, personnes âgées dépendantes, jeunes sans permis.

En tout état de cause, les débats sur les transports et les mobilités ne sont pas terminés. La prochaine loi sera sans aucun doute une loi d’orientation des « démobilités », c’est-à-dire des mobilités évitées et des mobilités non contraintes. Ses auteurs intégreront à leur réflexion des sujets tels que l’urbanisme, le prix de l’immobilier, l’aménagement du territoire et des temps.

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