Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat achève aujourd’hui une séquence législative qui s’est ouverte il y a un peu plus de deux ans à l’occasion des Assises nationales de la mobilité.
Après 400 réunions de travail, 60 réunions publiques, 2 000 propositions et 200 cahiers d’acteurs, nous ne pouvons pas dire que ce texte n’a pas été rédigé dans la concertation.
Les mouvements sociaux que notre pays a traversés ont néanmoins conduit le Gouvernement à édulcorer le projet de loi, s’agissant notamment de la création des péages urbains. C’était, monsieur le secrétaire d’État, une sage décision.
Si je reviens sur cet épisode désormais lointain, c’est parce que ce revirement est symptomatique de la méconnaissance que certains « sachants », qu’ils soient conseillers ou hauts fonctionnaires – ce sont souvent les mêmes –, ont de la vie quotidienne des Français, mais aussi de leur état d’esprit. Nous en rencontrons tous de nombreux exemples dans nos actions quotidiennes, et ce quelles que soient les thématiques et les sensibilités. Or cette méconnaissance, mes chers collègues, est le ferment de la défiance de nos concitoyens à l’égard de l’action publique.
Monsieur le secrétaire d’État, quand une mesure ne passe pas dans l’opinion, qu’il s’agisse de la hausse de la TICPE, que j’avais moi-même dénoncée lors d’une question d’actualité au Gouvernement, comme bon nombre de mes collègues sénateurs, il y a deux ans déjà, ou de la création des péages urbains, pour ne prendre que ces exemples, il faut cesser de se conforter dans cette voie en disant, par exemple, que la mesure n’a pas été expliquée, qu’il y a eu un malentendu ou encore que, avec un peu plus de pédagogie, les Français l’accepteront.
La mobilité des Français est en crise. En zone rurale comme en zone périurbaine, la mobilité quotidienne des Français est devenue problématique pour deux raisons : le coût des déplacements, d’une part, les carburants étant de plus en plus chers, et, d’autre part, un aménagement du territoire parfois défaillant, qui éloigne chaque jour un peu plus les zones résidentielles des zones productives, des zones d’emploi ou des zones de scolarisation.
Cette question ne se posait pas dans les mêmes termes il y a encore une quinzaine d’années et, de ce fait, le législateur est apparu un peu débordé.
Aujourd’hui – c’est une lacune du projet de loi qui a été soulignée au Sénat en première lecture, peut-être parce que nous sommes plus sensibles à l’impact territorial d’un texte –, la LOM n’admet qu’un seul postulat : favoriser la mobilité, au détriment de la sédentarité.
Pour ma part, je pense, et je ne suis pas le seul, qu’on ne peut plus parler de mobilité, à l’heure de la raréfaction des matières premières et de la crise écologique et énergétique, sans parler des migrations pendulaires et du volume des déplacements journaliers des personnes, car ce sont là très exactement les points cardinaux de la problématique de la mobilité.
Malgré cette lacune et certaines divergences d’appréciation sur telle ou telle mesure, le Sénat s’est montré très constructif dans l’examen du projet de loi.
Je rappelle qu’il a ainsi adopté le nouveau partage de la compétence mobilité à l’article 1er, l’intégration en droit français de la nouvelle réglementation européenne sur l’ouverture des données de mobilité à l’article 9, la création d’un service multimodal de vente de services de transport à l’article 11, la possibilité pour les autorités organisatrices de réguler les nouveaux services de mobilité à l’article 18, ou encore la création d’un forfait mobilité durable à l’article 26. Il s’agit là de quelques-unes des mesures structurantes du projet de loi.
Monsieur le secrétaire d’État, parce que nous n’avons pas d’a priori et parce que ces mesures ne représentaient pour nous aucun casus belli, nous avons toujours essayé de les améliorer.
Mais alors, quels étaient les points de blocage ? Je citerai, parmi d’autres, la charte sociale pour les plateformes de mise en relation prévue à l’article 20. Les sénateurs, dans leur très grande majorité, ont rejeté cette charte optionnelle, qui ne résoudra pas la question de l’ubérisation des relations sociales. Les députés sont revenus sur cette suppression.
Autre point de blocage – mon collègue rapporteur l’a dit : l’abaissement à 80 kilomètres-heure de la vitesse autorisée sur le réseau secondaire. Là encore, le Sénat a très largement signifié au Gouvernement la légèreté de sa décision unilatérale.
Dans ce cas précis, les députés ont supprimé la possibilité laissée au préfet de déroger à la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales. Seuls les présidents de conseils départementaux et les maires auront la faculté d’abaisser la vitesse sur les routes secondaires. On voit combien le piège s’est retourné contre les présidents de conseils départementaux.
Je soulèverai un dernier point – et vous aurez compris que cette liste n’est pas exhaustive : l’attribution, votée par le Sénat, d’une partie du produit de la TICPE au financement des services de mobilité dans les territoires peu denses. Vous le savez, la mesure n’a pas été conservée ; il y a là un autre point de désaccord avec le Gouvernement et sa majorité.
Permettez-moi, puisqu’il s’agit de fiscalité verte, de vous faire part de ma grande inquiétude. Notre commission a auditionné il y a quelques jours le président suppléant du Conseil des prélèvements obligatoires. En 2018, le Gouvernement a prélevé 87 milliards d’euros de fiscalité verte, soit 3, 73 % du PIB ! Au Royaume-Uni, le produit de la fiscalité environnementale représente 2, 4 % du PIB ; en Espagne et en Allemagne, 1, 8 %. Cela signifie que la France prélève deux fois plus que l’Espagne ou que l’Allemagne, et 55 % de plus que le Royaume-Uni, alors que cette fiscalité verte sert non pas à la transition énergétique, mais à alimenter le budget général.