Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que le Sénat examine aujourd’hui appelle un retour sur nos travaux passés afin de mieux en saisir la portée et les implications.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est sans conteste une grande loi.
Elle est de ces textes qui refondent une politique publique et en redessinent les contours en mobilisant un changement de perspective longuement mûri. Il s’agissait en l’occurrence de partir des besoins de la personne handicapée pour lui donner les moyens d’une véritable autonomie, en s’appuyant sur la solidarité nationale pour compenser le handicap. La prestation de compensation du handicap (PCH) est née de cette ambition.
Le rapporteur de la commission des affaires sociales d’alors, notre collègue Paul Blanc, soulignait ainsi dans son rapport de première lecture : « Les espoirs que les personnes handicapées placent dans le présent projet de loi sont de ce fait à la hauteur de leur implication dans son élaboration. Elles attendent une compensation enfin intégrale des conséquences de leur handicap par la solidarité nationale, la liberté de leur choix de vie, la possibilité de participer enfin à l’ensemble de la vie sociale, la fin du “parcours du combattant” qui leur est imposé pour la reconnaissance de leurs droits et l’accès aux prestations. » Notre collègue ajoutait un peu plus loin : « Votre commission des affaires sociales est persuadée que ce projet de loi peut avoir vocation à refonder la politique du handicap pour les prochaines décennies. Elle ne voudrait pas que, comme sa “grande sœur” de 1975, il provoque autant de regrets qu’il avait suscité d’espoirs… »
D’emblée, la commission des affaires sociales de l’époque avait pressenti que la nouvelle prestation de compensation du handicap ne suffirait pas à apporter une réponse intégrale aux besoins des personnes. C’est pourquoi elle avait souhaité que les financements extralégaux apportés par divers organismes qui préexistaient à la PCH au sein des fonds départementaux de compensation du handicap et qui constituaient une autre forme d’exercice de la solidarité nationale puissent être maintenus.
Au cours de la navette, l’ambition donnée à ces fonds a été accrue, puisque la loi a prévu, à son article 64, que « les frais de compensation restant à la charge du bénéficiaire […] ne peuvent, […], excéder 10 % de ses ressources personnelles nettes d’impôts dans des conditions définies par décret ».
Cette disposition ne doit pas manquer de nous faire réfléchir en tant que législateur. Il s’agissait en effet d’affirmer dans la loi la maîtrise d’un reste à charge dont aucun des paramètres ne dépendait de l’État : ni le coût des équipements, négocié pour partie entre les fabricants et l’assurance maladie ; ni les ressources des bénéficiaires, dont il est raisonnable de penser qu’elles sont assez faibles ; ni les financements des fonds, qui dépendent de concours extralégaux.
Cette disposition est restée lettre morte, faute du décret d’application nécessaire. La carence de l’État a donné lieu au prononcé d’une astreinte par le Conseil d’État qui dure depuis 2016, et je suis très régulièrement interpellé sur ce sujet par des citoyens, des associations, mais aussi par des collègues – je pense en particulier à Michel Raison, dont je salue l’engagement constant sur ce sujet.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le fruit des travaux de la commission des affaires sociales conduits dans le prolongement du rapport d’information de notre collègue Philippe Mouiller sur l’accompagnement du handicap dans une société inclusive. Nous sommes quatorze ans après les propos que je viens de citer. Les résultats ne sont pas minces, mais nous sommes, sur certains points, très en deçà des ambitions initiales. Et les espoirs sont toujours aussi grands ! Devant ce constat, le texte que nous examinons aujourd’hui propose, modestement, de résoudre un dilemme d’une façon forcément non satisfaisante, mais qui se veut pragmatique.
Le temps nécessaire à la concertation et à l’approfondissement des sujets a été pris. Il s’agit aujourd’hui de tenter de répondre à l’alternative suivante : fallait-il maintenir dans la loi un principe ambitieux que les gouvernements successifs ont été, pour le moment, incapables de mettre en œuvre ou faut-il tenter d’avancer de façon pragmatique, bien conscients que nous apportons une solution imparfaite et qui pourra être ressentie par certains comme une régression, y compris par rapport à un droit resté virtuel ?
Nous avons choisi d’avancer et de tenter une mise en œuvre du plafonnement du reste à charge des personnes handicapées dans la limite des financements disponibles. Ces financements devront être accrus, sauf à créer d’insupportables inégalités entre les personnes. C’est le pari que nous faisons, et je souhaite que le Gouvernement précise son engagement et ses intentions quant à la mise en œuvre de ce droit. Plus largement, une réforme de la PCH est annoncée, elle pourrait nous permettre de revenir sur tous ces sujets.
C’est une voie différente de celle empruntée par la proposition de loi du député Philippe Berta, récemment adoptée par l’Assemblée nationale, car nous ne souhaitons pas en passer par l’expérimentation. En quatorze ans, les gouvernements successifs auraient pu évaluer le reste à charge des personnes handicapées et identifier les moyens nécessaires à sa réduction. Nous pensons qu’il est temps d’avancer, et c’est, modestement, ce que ce texte propose.
Je laisserai à Philippe Mouiller le soin de détailler les autres dispositions de ce texte. Je voudrais le remercier devant vous pour son travail et son engagement au sein de notre commission et, plus largement, pour un meilleur accompagnement du handicap.