Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 5 novembre 2019 à 14h30
Prestation de compensation du handicap — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la proposition de loi présentée par notre collègue Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et consacrée à l’amélioration de l’accès à la prestation de compensation du handicap.

Je souhaite partager avec vous quelques réflexions sur l’opportunité d’examiner cette proposition de loi. Certes, elle contient quelques pistes d’amélioration, mais le compte n’y est pas. Pour moi, cette proposition de loi est surtout l’occasion pour la majorité sénatoriale de couper l’herbe sous le pied du Gouvernement… En effet, la conférence nationale du handicap prévue depuis plusieurs mois ne cesse d’être reportée, madame la secrétaire d’État, et il est difficile de distinguer clairement les déclinaisons précises des chantiers ouverts pendant la mobilisation nationale pour le handicap.

S’agissant des ressources des personnes handicapées, la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés est mise en avant ces jours-ci. Votée l’an passé et entrée en vigueur au début du mois, cette revalorisation s’accompagne malheureusement – nous continuons de le dénoncer – d’une stabilité de son montant pour les personnes en couple. Étrange manière de concevoir l’autonomie des personnes quand leur situation conjugale diminue leurs ressources de subsistance !

Au-delà de ces éléments d’ambiance, venons-en au cœur du sujet : la prestation qui vise à neutraliser financièrement les dépenses engagées par les personnes handicapées pour compenser leur handicap au quotidien.

La PCH vise plus précisément à compenser les actes essentiels : se lever, s’habiller, assurer sa toilette. Convenons qu’il ne s’agit que de la portion la plus congrue de la vie quotidienne : certains besoins ne sont pas couverts, comme le recours à une aide-ménagère. Une militante du secteur associatif du handicap de mon département me résumait la situation ainsi : « Je suis propre, je suis lavée, mais je ne peux pas manger avec de la vaisselle propre ! » Âgée de plus de 60 ans, elle ne peut en effet pas prétendre à l’allocation de solidarité aux personnes âgées pour son ménage, puisque le montant de l’AAH la prive de l’APA.

Cet exemple n’est certainement pas isolé ; il illustre bien à quelles absurdités notre logique actuelle conduit. Des dispositifs dédiés aux personnes handicapées – allocation de ressources et compensation de la perte d’autonomie – côtoient ceux réservés aux personnes âgées en perte d’autonomie du fait de l’âge.

Les ressources financières affectées aux uns et aux autres sont globalement insuffisantes. Dans ce contexte, l’accumulation des conditions posées pour ouvrir droit à un soutien matériel – ici, les ressources, là, un degré de perte d’autonomie, voire une combinaison des deux, ailleurs, l’âge de la personne… – conduit à des situations inacceptables.

En matière de PCH, les associations le déplorent et mettent l’accent sur la dégradation de la situation. Elles constatent le durcissement des décisions : des besoins évalués à la baisse ou des restrictions décidées par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées.

Dans la pratique, cela se traduit par des plans personnalisés de compensation qui proposent moins d’heures de prise en charge par des aides humaines. Au quotidien, ce sont des gestes plus expéditifs, une attention réduite, moins de discussion et de temps consacré aux personnes – cela peut aller jusqu’à l’impression d’un « abattage », où la dimension humaine du travail est négligée. Les personnes handicapées s’en plaignent, les professionnels également – gardons-le bien à l’esprit !

Face à cette situation, le secteur associatif du handicap est parfaitement fondé à s’interroger sur le lien entre la dégradation de la situation et la pression financière exercée par les payeurs, c’est-à-dire les conseils départementaux. Voilà la logique qui consiste à contenir les budgets des collectivités ! Voulons-nous que les plus fragiles en paient les pots cassés ? Certainement pas !

Au regard du fonctionnement actuel de la PCH et de son cadre financier contraint, force est de constater que cette proposition de loi n’entend qu’améliorer à la marge l’accès de quelques-uns à cette prestation. J’en veux pour preuve l’idée énoncée à l’article 1er, consistant à lever la barrière d’âge. Vous proposez que, désormais, la PCH puisse être demandée, si la personne a dépassé l’âge de 75 ans. En l’état actuel, aucune demande de PCH n’est recevable après cet âge.

Cela peut être entendu comme une avancée, mais attention à ne pas décevoir : s’il est une revendication unanime chez les personnes handicapées, c’est la levée de la barrière d’âge liée à la reconnaissance du handicap. Cette barrière se situe à 60 ans. Si une personne, jeune retraitée, est reconnue handicapée après cet âge, elle ne peut prétendre à la PCH.

Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de citer quelques lignes de votre rapport d’information de 2018 sur le financement de l’accompagnement médico-social des personnes handicapées : « La barrière d’âge de 60 ans trace une limite arbitraire entre l’accompagnement du handicap et l’accompagnement de la dépendance liée au grand âge. L’augmentation de l’espérance de vie des personnes handicapées pose le problème nouveau de leur vieillissement qui s’accorde mal au droit commun de la perte d’autonomie ».

C’est bien cette barrière qu’il faut lever en priorité, en imaginant des dispositifs ambitieux, où la situation réelle vécue par la personne est évaluée. Dans la société que le Gouvernement dessine, souvent avec l’appui de la majorité sénatoriale, nos concitoyennes et concitoyens sont invités à travailler plus longtemps – il faut repousser l’âge de départ à la retraite, favoriser le cumul emploi-retraite, allonger toujours plus les périodes d’activité… – pour celles et ceux qui sont en pleine forme.

Dans cette société pourtant, à 60 ans, on persiste à évaluer la perte d’autonomie liée au handicap survenu juste après 60 ans comme une dépendance liée à l’âge. Nous estimons que, philosophiquement, ce n’est pas acceptable. C’est une manière d’exclure ces personnes handicapées qui peuvent, à juste titre, estimer appartenir à la catégorie active.

L’article 2 aborde la participation personnelle du bénéficiaire à son plan de compensation. La limite actuelle est à hauteur de 10 % maximum des ressources propres de la personne. Le texte la maintient, tout en tenant compte des capacités des finances départementales à assurer le versement des fonds, ce qui suscite méfiance et réserves chez les personnes handicapées, compte tenu du contexte financier, évoqué plus tôt, et des contraintes budgétaires pesant sur les conseils départementaux. N’avez-vous pas trouvé là une façon de contenir les dépenses de PCH des départements ? Vous avez essayé de nous rassurer sur ce point en commission, et nous allons en débattre, mais gardons en tête la demande formulée par les représentants des associations de personnes handicapées : aucun reste à charge !

Les premiers concernés expliquent que la compensation du handicap ne saurait être financée, même à la marge, sur leurs autres ressources. Dans ce cas, c’est la pertinence même du dispositif PCH qui est amoindrie.

Pour conclure, j’évoquerai brièvement le comité stratégique que vous préconisez, monsieur le président de la commission, pour élaborer et proposer des évolutions des modes de transport des personnes handicapées en assurant une gestion logistique et financière intégrée.

J’en conviens, nous avons besoin de réflexion sur le sujet : ces mobilités doivent être perçues comme une chaîne de déplacements indispensables dans le quotidien des personnes handicapées. Se déplacer librement, outre le fait qu’il s’agisse d’une liberté fondamentale, permet en effet de maintenir le lien avec les proches, les amis, la famille, les collègues, de participer à des activités de loisirs, d’accéder aux pratiques et manifestations culturelles. C’est aussi une condition indispensable pour mener à bien une scolarité et de pouvoir surveiller sa santé. Bref, c’est le moyen de vivre comme tout le monde, en quelque sorte.

En l’état actuel, l’organisation et la prise en charge des transports sont souvent différenciées d’une activité à une autre. En effet, la sécurité sociale, les aides sociales locales ou les revenus de la personne financent, selon les cas, tel ou tel déplacement. Cette situation induit une gestion financière et administrative complexe, délicate, qui constitue certainement un obstacle à la pleine jouissance de la liberté de déplacement. Cela doit nous interpeller.

Avec une prise en charge intégrée, les personnes handicapées s’éviteraient de lourdes démarches et les avances de frais qui peuvent empêcher certaines d’entre elles de se déplacer, faute de moyens.

L’absence de lisibilité dans le système des modes de transport des personnes handicapées, tel qu’il est organisé aujourd’hui, peut les décourager et les rendre encore plus vulnérables. Ce n’est pas la société que nous voulons bâtir. Il est donc urgent d’ouvrir ce chantier, comme d’autres, avant nous, ont ouvert celui de l’accessibilité des lieux publics. Relevons ce défi !

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré toutes les réserves que j’ai soulevées, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi.

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