Intervention de Pierre-Yves Collombat

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 17 octobre 2019 à 8h30
Audition de M. Jean-François Soussana vice-président de l'inra sur les perspectives de l'alimentation en 2050

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Quid de la structure des exploitations ? Peut-on penser la transition agricole sans faire intervenir cette variable ?

On entend parler d'acquisition de terres agricoles par de grands acheteurs internationaux. La Chine serait un grand acheteur de terres, notamment en Afrique, en Pologne ou au Brésil. N'est-ce pas un phénomène impactant la transition agricole ?

Jean-François Soussana. - Vous avez raison. Il y a sans doute une hybridation en cours entre les scénarios « régimes sains » et « régionalisation ». On observe une relocalisation pour partie des systèmes alimentaires qui favorise une tendance à la réduction des gaspillages. En même temps, vous l'avez souligné, l'évolution des modes de vie se traduit par un développement de la consommation alimentaire hors domicile qui, elle, tend plutôt à accroître les gaspillages. Comme piste de solution, je voudrais évoquer ce qui est proposé par le territoire d'innovation Dijon-Métropole. Dans ce projet, toute la restauration qui dépend des collectivités territoriales, notamment les cantines scolaires, va évoluer vers un approvisionnement local avec des produits agricoles labellisés « Dijon-Métropole Agroécologie », ce qui constitue un levier pour conduire à la fois la transition agricole et alimentaire. Ce projet s'accompagne aussi de pas mal de technologies numériques permettant notamment de mieux assurer la traçabilité.

Je partage le constat qu'il existe aujourd'hui plusieurs modèles d'agriculture et qu'ils existeront encore demain. Cela est bien pris en compte dans la prospective Agrimonde Terra, même si cela n'apparaissait pas dans la présentation simplifiée que je vous en ai faite. Nous aurons demain dans le monde des mégapoles de plus de vingt millions d'habitants qu'il faudra nourrir. C'est un défi considérable et cela nécessitera une agriculture de production de masse.

Nous avons aujourd'hui, avec la réforme de la PAC, une opportunité de mieux prendre en compte et de mieux rémunérer les services agroenvironnementaux pour mieux accompagner les agriculteurs dans les transitions nécessaires. La Commission européenne propose des schémas environnementaux, des eco-schemes, pour rémunérer des pratiques vertueuses à condition que leurs effets positifs soient prouvés. Par exemple, si l'on arrive à évaluer les quantités de carbone stockées dans les sols, il devient possible de prévoir un paiement additionnel pour les pratiques agricoles qui en stockent le plus. Il n'est pas possible de prévoir une rémunération par tonne de carbone stockée, car les coûts de mesure et de vérification seraient considérables, mais on peut imaginer des indicateurs simplifiés tels que la durée de couverture des sols dans l'année.

Vous avez mentionné la certification HVE, qui est un dispositif intéressant, qui pose des obligations de résultats et qui correspond à l'esprit de ce que je viens d'évoquer. Je tiens à souligner que si on rémunère mieux les agriculteurs pour les services qu'ils rendent à la collectivité, on changera aussi le regard que porte la société sur l'agriculture et on allègera ainsi la pression psychologique qui pèse sur des agriculteurs souvent en position d'accusés.

Évidemment, comme vous le soulignez, il existe encore des impasses techniques. Il n'est pas facile de se passer de glyphosate. L'INRA travaille sur la recherche d'alternatives à cette substance.

L'accompagnement de la transition doit aussi prendre en compte l'enjeu de la machinisation. Le machinisme dont nous allons avoir besoin dans le cadre de la transition agroécologique n'est pas le même que celui qu'on a développé par le passé.

Vous avez évoqué les tensions qu'on rencontre autour de l'utilisation des sous-produits agricoles pour la méthanisation. Philippe Mauguin, président de l'INRA, a remis un rapport sur le gaz vert, dans lequel ces tensions sont analysées. Nous menons des recherches pour trouver les bons équilibres. À titre d'exemple, la valorisation des digestats de méthanisation est à la fois une question sanitaire, une question d'équilibre azote-carbone, etc. Comment trouver à l'avenir des engrais organiques tenant compte de ces nouvelles filières ? Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons.

Enfin, concernant la structure des exploitations, c'est bien sûr une question au coeur du monde agricole et des sociétés rurales. On observe une tendance à l'augmentation de la taille des exploitations. Nous essayons de préserver en France un modèle familial, mais sur d'autres continents, c'est tout à fait différent : on est sur un modèle d'agriculture industrielle. Mais ce qui est peut-être un handicap pour la compétitivité économique à court terme pourrait devenir un avantage si le modèle agroécologique se généralisait. Sur de très grandes surfaces, il est en effet compliqué d'adopter des solutions complexes comme un système de rotations. L'agroécologie demande beaucoup d'observation. Le paquet de la révolution verte, avec des variétés améliorées, des engrais et des pesticides, est peu intensif en travail et n'exige pas un haut niveau de qualification. En revanche, pour mettre en oeuvre l'agroécologie, qui repose sur des régulations naturelles, il faut une formation solide, une capacité d'observation importante et plus de travail dans l'exploitation. Le modèle de l'agriculture familial est donc en affinité avec le modèle agroécologique qui se dessine.

L'accaparement des terres est une vraie préoccupation. Des pays comme la Chine sont en tension sur leur sécurité alimentaire. La Chine a connu des gains de productivité agricole considérables, mais au prix d'une consommation d'engrais déraisonnable. Les engrais y sont pratiquement gratuits. Désormais cependant, le Gouvernement chinois appelle à reverdir l'agriculture et fait de la préservation des sols sa priorité. Dans certaines régions, les sols chinois sont contaminés à des niveaux dont on n'a aucune idée en Europe. Les Chinois ont pris conscience qu'ils se trouvent sur une bombe à retardement environnementale. Dans ce contexte, il y a une stratégie nationale de contrôle de terres en-dehors de Chine, par exemple à Madagascar. Cela devient un enjeu géopolitique.

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