Intervention de Jacqueline Gourault

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 3 octobre 2019 : 1ère réunion
Audition de Mme Jacqueline Gourault ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales :

Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis ravie de vous retrouver. Les sujets ne manquent pas en ce moment. Le ministère de la cohésion des Territoires et des relations avec les Collectivités territoriales, que j'ai l'honneur de conduire, est en lien permanent avec les collectivités et a également pour mission l'aménagement du territoire. Il a une vocation transversale, de sorte que nous travaillons en permanence avec nos collègues. Par exemple, le dossier de la démographie médicale est certes entre les mains du ministère de la Santé, mais les gens se tournent vers moi pour discuter d'aménagement du territoire. Cet exemple illustre bien le fait que nous sommes en permanence en train de travailler de façon transversale avec un grand nombre de nos collègues.

Le rapport de l'État avec les territoires est le reflet de notre Histoire. Des évènements comme les guerres ont amené l'État à une position d'Etat reconstructeur, un Etat qui dirigeait l'aménagement du territoire depuis l'État central. Il y avait tout un espace à reconstruire, à aménager et à équiper. Puis est venu le temps des premières lois de décentralisation, sous la présidence de François Mitterrand. Nous sommes aujourd'hui dans une République décentralisée, ceci a été inscrit dans la Constitution en 2003. La France est différente et les attentes ont évolué.

Le grand défi du moment est celui de la cohésion des territoires. Vous avez évoqué le défi de l'égalité. Nous constatons qu'il existe des territoires en difficulté, voire en grande difficulté, tandis que d'autres se portent bien. La cohésion des territoires consiste aussi à aider ceux qui connaissent des difficultés. Elle amène à admettre qu'il faille davantage aider ces territoires plutôt que d'autres. C'est ainsi que l'on parvient à une meilleure cohésion des territoires. Dans une tribune que j'ai rédigée récemment pour L'Opinion, j'ai écrit que le temps était celui du jardinier, une image qui montrait que l'État est ce partenaire qui veut faire prospérer les potentialités de chaque territoire. Il fait confiance aux acteurs territoriaux et accepte qu'à des situations différentes soient apportées des réponses différentes. Ma conviction est que l'avenir passera par la construction de relations solides et sereines entre un État garant des territoires et des collectivités responsables, avec des moyens adaptés aux réalités. C'est le sens de mon action.

Vous m'avez interrogé sur l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) : ce guichet unique, mis en place au service des projets des territoires, sera opérationnel au 1er janvier 2020. La loi a été adoptée le 9 juillet 2019, en co-construction avec le Sénat, même s'il y avait quelques difficultés. Nous travaillons en ce moment à la finalisation du décret qui va être envoyé au Conseil d'État. Un travail de fond est mené pour mettre en place cette ANCT, dont trois entités sont à la base : le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux (Epareca) et l'Agence du numérique. Les équipes sont embarquées dans ce changement de politique et de philosophie.

J'ai entendu les questions qui m'ont été posées et je vous y réponds.

C'est le préfet qui représentera l'ANCT sur les territoires. Il s'adjoindra bien sûr une équipe « à sa main », avec des sous-préfets, le directeur des territoires, etc.

Il ne s'agit pas d'aller concurrencer des structures appartenant aux collectivités territoriales. Les départements, parfois les intercommunalités, disposent souvent de leurs propres services. C'est seulement à la demande des territoires que l'ANCT interviendra sur des projets précis, sur des politiques publiques lancées par le Gouvernement. Je vais prendre le cas « d'« Action coeur de ville ». Le Gouvernement a lancé cette politique parce qu'il avait perçu un besoin pour les villes moyennes. Au terme d'un appel à projets, 222 villes ont été choisies. Ce sont elles qui choisissent le modèle qu'elles désirent développer sur le plan de l'urbanisme, du commerce, etc. L'ANCT est un outil qui, aujourd'hui déjà, accompagne la politique « Action coeur de ville ». Au-delà de la fusion des trois organismes précités, il existe des opérateurs d'État. J'en citerai un, proche d'« Action coeur de ville » : le Cerema, avec qui nous avons une convention pour accompagner en ingénierie les collectivités qui en ont besoin. Si le département de la Somme, par exemple, dispose de l'ingénierie nécessaire, nous n'allons pas nous en occuper. L'ANCT constitue un outil, des fonctionnaires d'État mis à disposition des territoires. Elle n'entre pas en concurrence avec les organismes des collectivités territoriales existants.

Lors de l'effondrement d'un immeuble survenu à Marseille, il a fallu que des spécialistes de la construction accompagnent les services de la ville de Marseille et les services du département. C'est à la demande des collectivités que nous avons envoyé sur place nos spécialistes du bâtiment.

Il existe des domaines pour lesquels les collectivités territoriales font déjà appel à nous, par exemple pour des infrastructures comme les ponts. Souvent, les collectivités n'ont pas l'ingénierie nécessaire et font appel à des services de l'État. L'ANCT, ce sont des fonctionnaires d'État qui sont dans l'appareil de l'État et travaillent aujourd'hui à 20% pour les collectivités territoriales.

L'ANCT devrait-elle être positionnée sur les territoires ? Une grande partie de l'ANCT, sauf le coeur administratif basé à Paris, est située sur les territoires. Par exemple, le Cerema compte une trentaine d'implantations sur le territoire français et son siège est basé à Bron. Prenons un autre exemple : l'Epareca, qui a son siège à Lille et est en train d'ouvrir une antenne à Marseille. Nous pouvons bien sûr décider d'installer la direction de l'ANCT à Vierzon ou à Vesoul mais, dans la réalité, de nombreux fonctionnaires sont déjà basés sur les territoires. Je précise que la partie administrative de l'ANCT fera l'objet de l'ouverture, au sein de la DGCL, d'une quatrième direction qui sera le coeur administratif de l'ANCT.

L'ANCT sera dotée d'un délégué général, qui est est en cours de recrutement - Serge Morvan a souhaité arrêter sa mission et sera remplacé.

S'agissant de l'Agenda rural, j'avais confié une mission à cinq personnalités du monde rural qui m'ont remis un rapport. Sur les 200 propositions formulées, 173 ont été retenues. Vous aviez hier une réunion en vue de la mise en place de politiques, notamment la politique en direction des petites villes. Je parle de « petites centralités » ; en effet, nous visons les petites villes qui, au sein d'un territoire, font centralité. Celles-ci disposent de la zone d'attractivité de tout un bassin de population. Nous ne lancerons pas d'appels à projets. J'ai souhaité qu'on ne retienne pas le critère de la population, car une petite ville qui fait centralité peut, dans certaines régions, compter 10 000 habitants, alors que dans d'autres on compte seulement 3 000 habitants. Le critère est de « faire centralité ». L'objectif consiste à aider ces petites villes dans le domaine du petit commerce, du logement, etc.

D'autres sujets sont importants. Dans votre assemblée, une question m'a été posée hier sur les Zones de revitalisation rurale (ZRR). L'une des propositions de l'Agenda rural consiste à considérer une géographie prioritaire de la ruralité. Certaines ruralités se portent très bien, il faut oser de le dire. Un territoire rural sur deux est aujourd'hui classé en ZRR. Il faudra revoir ce point. Je connais la difficulté de réformer un système en place, mais il faut savoir si nous voulons aider certains territoires plus que d'autres.

L'autre sujet important concerne les maisons France Service. L'ancien Gouvernement avait créé les Maisons de services au public (MSAP). Celles-ci se sont développées sur notre territoire français, qui en compte 1 340. Or nous avons constaté qu'elles sont de qualité très inégale. Il existe des maisons de services au public formidables. Je me souviens avoir visité une MSAP à Marcillat-en-Combraille, dans l'Allier. Le maire a construit une maison de services au public avec les opérateurs que vous connaissez (Pôle Emploi, MSA, CNAM) et y a ajouté un service de voiturettes électriques, avec des bénévoles pour conduire les personnes âgées. D'autres MSAP ne disposent que d'un ordinateur et n'ont parfois aucun personnel. On ne peut laisser la situation en l'état.

L'idée de France Service, c'est de faire en sorte qu'il y ait des MSAP de qualité. Nous allons ainsi labelliser des maisons France Service, avec un objectif de 300 au 1er janvier 2020, et il y en aura probablement davantage. Certaines maisons ne sont pas au niveau et nous allons leur laisser deux années pour se mettre à niveau. Nous avons élaboré une charte que nous avons remise aux préfets. J'ai par ailleurs reçu des propositions pour créer de nouvelles maisons dans des endroits qui n'en comptent pas. 1 340 MSAP ne suffisent pas à couvrir le territoire.

Il y a 15 jours, j'ai reçu la MSA, qui est déjà présente dans les MSAP. La MSA m'a proposé un plan d'action dans le cadre duquel ils veulent eux-mêmes créer et porter des maisons France Service. Ils envisagent 50 nouvelles maisons dans la ruralité, là où des besoins existent. Ce sera un opérateur comme La Poste. Dans la première génération de MSAP, le gouvernement de Manuel Valls avait passé un accord avec La Poste pour développer des maisons de services au public. La MSA s'est proposée de même.

Vous connaissez notre politique en termes de pactes territoriaux. Certains se sont développés dans les territoires en grande difficulté. Je pense aux pactes signés avec Sambre-Avesnois-Thiérache, le bassin minier, la Creuse, les Ardennes, etc. Ces pactes ont été signés avec des territoires, des départements, des régions, ou tous les partenaires. Ces territoires correspondent parfois à des limites administratives, par exemple la Creuse. Sambre-Avesnois-Thiérache est situé à cheval entre l'Aisne et le Nord. Je vous signale également que nous avons signé un pacte avec la Bretagne. Ce n'est pas la même philosophie, c'est un pacte « girondin » c'est-à-dire que nous y faisons de nombreuses expérimentations de décentralisation. Dans le domaine du logement, par exemple, il y a une expérimentation sur la cartographie et le financement du Pinel. Cela pourrait être révélateur d'un moyen de décentraliser la politique du logement.

Quant au texte à venir sur la décentralisation, vous savez qu'à la suite de la « crise des gilets jaunes » et du besoin exprimé de proximité, les élus ont appelé à une nouvelle étape de décentralisation. Cette idée de décentralisation nouvelle a été reprise par d'autres collectivités, en particulier les départements et les régions. Il n'est pas nouveau que ceux-ci réclament un certain nombre de compétences. Cela est antérieur à la « crise des gilets jaunes ». Nous sommes suffisamment nombreux à avoir siégé sur les compétences et le débat sur la loi NOTRe pour le savoir. Décentraliser, c'est procéder à du transfert de compétences de l'État vers les collectivités territoriales.

Cela étant dit, je vais expliquer comment j'ai personnellement conçu les choses. J'ai immédiatement pensé qu'avec une décentralisation « sèche », nous n'aurions pas forcément quelque chose qui corresponde à la réalité de notre pays. Premièrement, nous sommes déjà dans une république décentralisée, les collectivités territoriales disposent de nombreuses compétences. Deuxièmement, les élus locaux réclament que soit finalisé ce qui ne l'a pas été, c'est-à-dire de faire en sorte que là où il a eu décentralisation, on supprime les doublons encore existants. Troisièmement, il reste des sujets à décentraliser. Les collectivités territoriales ont formulé des demandes, par exemple au sujet des intendants des collèges et des lycées que réclament les départements et les régions. Autre exemple : certains départements souhaitent la décentralisation de routes. Le président du conseil général de Savoie, Hervé Gaymard, vient me voir régulièrement parce qu'il existe dans sa vallée une route départementale sur 50 km, puis nationale sur 50 km, puis départementale à nouveau sur 50 km. Cela étant, d'autres départements ne veulent pas de décentralisation de la route nationale. L'Ariège, par exemple, n'est pas du tout intéressé, car il ne possède pas suffisamment de moyens. Intervient donc une nuance de différenciation. Des territoires sont demandeurs, d'autres non.

À l'idée de décentralisation, nous avons pensé qu'il fallait ajouter l'idée de différenciation. En langage courant, la différenciation consiste à reconnaître la diversité des territoires. En conséquence, il ne faut peut-être pas apporter les mêmes réponses partout. En langage juridique, la différenciation recouvre deux idées. La première idée c'est que, pour une même catégorie de collectivité territoriale, on accepte que ces collectivités exercent des compétences qui ne leur sont pas attribuées par la loi. Je prends un exemple simple et facile à comprendre : les lycées sont construits par les régions, les collèges par les départements. Or nous pouvons imaginer que les départements puissent construire un lycée ou vice-versa. La deuxième idée, c'est que les politiques publiques ne s'appliquent pas de la même manière sur le territoire français. Nous parlions du logement il y a quelques instants. Nous faisons actuellement une expérimentation en Bretagne. Chacun sait qu'au bout de cinq ans le droit à l'expérimentation débouche soit sur un élargissement à l'ensemble du territoire, soit sur un arrêt de l'expérimentation.

La différenciation est un outil, non une politique en soi. C'est un outil pour parvenir à mieux répondre aux différentes situations des territoires. Parce que la loi le permettait, étant donné le caractère spécifique du territoire, nous sommes arrivés à monter la loi Alsace et la collectivité européenne d'Alsace.

Il est important de différencier, et vous y êtes tous sensibles. Une étude a été réalisée par le Conseil d'État. J'ai rencontré M. Lamy il y a quelques jours. Le droit à la différenciation est inscrit dans la révision constitutionnelle. Nous espérons que celle-ci soit votée, mais nous ne savons jamais ce que la vie politique nous réserve. L'étude précitée va paraître. M. Lamy est venu me démontrer qu'à droit constitutionnel constant, en légiférant par une loi organique ou, pour d'autres domaines, par une loi simple, on pourrait élargir le droit à la différenciation. Ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas voter la révision constitutionnelle. Il serait préférable que nous la signions car nous aurions le champ le plus large possible. Nous pourrions toutefois imaginer d'élargir un peu par une loi organique - nous y reviendrons ultérieurement.

Déconcentrer revient à transformer l'État pour mieux accompagner les collectivités, et faire d'un État anciennement prescripteur un État accompagnateur. Nous pourrions aussi dire que décentraliser ou déconcentrer touche à tout ce qui relève du domaine du règlement ou de la norme. Nous pouvons imaginer que la hauteur réglementaire d'un bac à sable dans une école maternelle pourrait être définie par une collectivité territoriale et non par l'État, mais cet exemple n'est peut-être pas adéquat puisqu'il concerne la sécurité. Prenons un autre exemple : la longueur des saucisses de Strasbourg servies dans les cantines. Il existait une norme sur ce point. Nous pourrions, dans certains domaines, transférer le pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales.

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