Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 octobre 2019 à 9h00
Offensive turque dans le nord-est syrien — Audition de s.e. monsieur ismail hakki musa ambassadeur de turquie en france

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Monsieur l'Ambassadeur, je vous remercie d'avoir accepté de répondre à ce qui était peut-être plus, j'en conviens, une convocation qu'une invitation, devant notre commission. Il nous a semblé indispensable de pouvoir vous entendre, étant donné la gravité de la situation à la suite de l'intervention turque dans le nord-est de la Syrie, qui nous met dans une grande difficulté. Sachez, Monsieur l'Ambassadeur, que la tradition diplomatique française est de dire les choses. Ainsi lorsque nos amis américains ont décidé de lancer la deuxième guerre du Golfe, nous leur avons dit que cette opération était une grave erreur, qui aurait des conséquences terribles pour le pays, pour la région et même pour les intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés. Aujourd'hui, nous nous retrouvons malheureusement dans la situation de devoir dire à un pays membre de l'OTAN que l'attaque que son Gouvernement a lancée en toute illégalité en Syrie menace gravement à la fois les populations syriennes, la sécurité de l'Europe et aussi les intérêts de long terme de la Turquie.

Monsieur l'Ambassadeur, nous connaissons bien la ligne argumentaire déployée par la Turquie pour justifier cette opération. Je vais donc vous exposer la vision française, qui est basée sur des faits relativement simples. L'État islamique a juré la destruction du modèle de société occidentale et il a cherché, par tous les moyens, à mettre en oeuvre son sinistre projet. Nous avons compté nos morts, y compris ici à Paris. Il se trouve que dans une Syrie qui était en proie à la guerre civile, une communauté s'est dressée pour entreprendre, avec le soutien des pays occidentaux, la destruction du califat de Daech. Cette communauté, en l'occurrence nos alliés kurdes, est aujourd'hui attaquée par votre pays. Les faits sont assez simples : la Turquie tue ceux qui nous ont aidés à emporter la première manche contre Daech, et vous redonnez une bouffée d'air à l'État islamique, qui n'en espérait pas tant. Monsieur l'Ambassadeur, nos visions sont opposées et ce n'est pas cette réunion qui permettra de les réconcilier. En revanche, il me semble qu'elle peut avoir deux objectifs : tout d'abord, vous informer de ce que pensent les Sénateurs et, à travers eux les Français, afin que vous puissiez en faire part à votre gouvernement. Ensuite, que nous puissions essayer de penser ce qui viendra ensuite.

Suite à son intervention, la Turquie est très isolée sur la scène internationale. L'aviez-vous prévu et l'assumez-vous réellement ? Faut-il comprendre de cette action, qui, en libérant les forces barbares de l'État islamique, menace notre sécurité, que la Turquie a désormais d'autres priorités que sa relation avec ses alliés de l'OTAN ? La Turquie entend-elle, Monsieur l'Ambassadeur, rester au sein de l'OTAN après que le Président Erdogan a menacé d'expulser vers l'Europe les 3,6 millions de réfugiés syriens qu'il héberge sur son territoire ? Le triomphe annoncé de Bachar Al-Assad, auquel conduit nécessairement cette opération, est-il le signe d'un basculement d'alliance de la Turquie en faveur de la Russie et de l'Iran ? La Turquie a-t-elle définitivement renoncé à la perspective de rejoindre l'UE, UE qu'elle menace en paroles et dont elle compromet la sécurité en actes ?

Autant de questions qui ont entraîné de la part du Gouvernement français à la fois une cessation des ventes d'armes à votre pays, un possible rappel pour consultation à Paris de notre ambassadeur à Ankara et une véritable condamnation. Au-delà de la France, ce sont tous les Gouvernements occidentaux qui condamnent cette intervention parce qu'ils n'ont pas compris ce geste. Je ne vous cache pas - comme je vous l'ai dit en aparté - que nos questions s'adressent aussi aux États-Unis. Le comportement de l'allié américain devrait, me semble-t-il, interroger la Turquie : le Président Erdogan semblait avoir obtenu de la part du Président Trump un assentiment, mais le même Président Trump menace aujourd'hui de vous étrangler économiquement. Tout ceci nous semble être un immense gâchis.

Je vous cède la parole, Monsieur l'Ambassadeur.

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