Intervention de S.E Monsieur smail Hakki Musa

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 octobre 2019 à 9h00
Offensive turque dans le nord-est syrien — Audition de s.e. monsieur ismail hakki musa ambassadeur de turquie en france

S.E Monsieur smail Hakki Musa :

Un accord a été signé avec la France en ce sens en janvier 2018. Quant à la durée de notre présence transitoire dans le nord de la Syrie, je ne peux pas vous dire combien de temps elle durera : 1 mois, deux mois, plus.... Elle prendra donc le temps qu'il faudra. Comme dans Bouclier de l'Euphrate et Rameau d'Olivier, c'est parce que nos troupes sont très attentives au sort des civils que cela prend un peu de temps. L'armée turque pouvait faire son nettoyage en trois jours. Mais, dans ce cas, l'armée turque agissait de la même façon que les forces de la coalition en Irak. La prise de Raqqa, « capitale » de l'État islamique, a coûté la vie à 4 000 civils. La prise de Mossoul a coûté la vie à 20 000 civils. Même les fourmis n'avaient pas le droit de vivre à Mossoul à cause des bombardements de la coalition ! Le prix du sang payé par les populations civiles dans ces opérations militaires de la coalition - dont fait partie la Turquie - a été élevé. Ce n'est donc pas le choix qu'a fait l'armée turque qui entendait prendre toutes les précautions nécessaires, ceci d'autant plus que les organisations terroristes prennent très souvent les civils en otages.

Qui sommes-nous pour vous ? Pour nous, vous êtes des amis et des alliés que nous apprécions beaucoup et notre amitié fête cette année son 536ème anniversaire. C'est un arrière-plan historique considérable qui devrait nous permettre d'aller de l'avant. Notre partenariat atlantique n'est pas remis en cause. Ne l'oubliez pas. Si nos alliés et nos amis prêtaient autant d'attention à la Turquie qu'à certains de leurs alliés locaux, la relation serait certainement meilleure. Nous voyons nos alliés mettre sur le même plan les relations avec la Turquie et celles qu'ils entretiennent avec les soi-disant Forces démocratiques syriennes, ce qui nous frustre. Je vous invite à imaginer un instant l'OTAN sans la Turquie. Cela ne tiendra pas la route. La coopération dans le cadre du Traité de l'Atlantique Nord est fondamentale et ce ne sont pas les aléas présents qui vont la remettre en cause. Vous rappelez que les Kurdes des YPG ont participé de la guerre contre Daech, mais les Turcs n'ont-ils eux-mêmes pas pris part à cette lutte ? La Turquie ne signifie-t-elle rien ? Nos amis mettent en balance notre amitié et notre engagement dans l'OTAN avec une organisation terroriste que vous considérez comme amie ou alliée. C'est votre droit mais c'est le nôtre de le mettre en cause. Ceci chagrine les gens à Ankara. Ils se posent beaucoup de questions. Nos amis européens pratiquent la sous-traitance sur le terrain. On ne lutte pas contre le terrorisme en sous-traitant ! Les Européens ont préféré sous-traiter le terrorisme et la gestion du risque terroriste à une organisation que nous considérons comme terroriste, qui laisse partir les djihadistes dans la nature. Nous avions proposé, le 14 février 2017 à Munich, la constitution de forces légales pour lutter contre la menace djihadiste sur le terrain. Cette proposition a été rejetée. Nous ne nous sommes pas contentés d'être contre un accord de nos amis avec le YPG. Nous avons fait des propositions pour Turquie, Etats-Unis, France, aller ensemble contre Daech avec des forces légales.

Oui, cette intervention est proportionnée parce qu'elle ne vise à combattre que l'organisation terroriste. Elle est proportionnée parce qu'elle vise à établir une zone de sécurité d'une trentaine de kilomètres de profondeur, pas de 100 km. Nous avons arrêté cette distance parce que l'armement lourd des YPG a une portée d'une trentaine de kilomètres. Ils ne manquent pas de les utiliser depuis trois jours en bombardant le territoire national turc. Vous posez la question du nombre de réfugiés. Il y a des surenchères. On en recense 50 ou 70 000. Soyez certains que mon pays fait tout pour que les civils ne soient pas - dans la mesure du possible - affectés. Concernant les prisonniers djihadistes, comment faire pour éviter une catastrophe ? Nous comptons en la matière sur l'amitié de nos amis et nos alliés. M. Le Drian parlait à juste titre ce matin sur BFMTV des dizaines de milliers de djihadistes détenus dans ces camps. Nous avons affirmé, le 12 octobre dernier, être prêts à assurer leur contrôle sans aucune distinction jusqu'à ce qu'une issue soit trouvée à la crise syrienne. Nous savons que certains pays européens dont la France ne veulent pas rapatrier les djihadistes qui ont leur nationalité sur leur sol. La Turquie est prête à prendre le contrôle des camps et des détenus, Français compris. Ce sont les membres de l'organisation terroriste qui contrôlent ces camps ; vous êtes en relation avec eux : vous pouvez faire le lien pour transférer le contrôle de ces camps aux autorités turques.

Nous avons lancé des alertes sur les risques terroristes, mais nous n'avons jamais été entendus. C'est la raison pour laquelle cette opération militaire a été déclenchée tardivement. Depuis un an, nous avons essayé avec nos amis américains : à Mambij puis dans le nord-est ; il y a eu sept réunions pour trouver une solution acceptable permettant de nettoyer cette zone de manière pacifique, mais cette démarche n'a pas abouti. Nous avons d'abord demandé une zone de 30 kilomètres parce que cela avait été évoqué d'abord par Rex Tillerson à Paris. Finalement les Américains ont dit que les YPG n'étaient pas d'accord et souhaitaient une zone de 7 kilomètres. Nous avons notamment exigé qu'un terme soit mis à tous les convois, 30 000 camions, qui transportaient de l'armement américain pour les Kurdes et que l'armement soit restitué à nos alliés américains ou retiré à 30 km plus loin. Nous avons aussi proposé que la ceinture de sécurité soit conjointement contrôlée par nos forces et celles de nos alliés américains, anglais, allemands. Ils ont tous rejeté cette proposition. Il ne restait plus qu'une seule et unique solution, en l'occurrence le nettoyage par nos propres moyens de cette zone.

Un des sénateurs a évoqué la révocation de maires kurdes. Pour nous, il n'y a pas de maires kurdes en Turquie. Il n'y a que des maires. Je vous invite à prendre dans le détail connaissance du résultat des récentes élections municipales : plusieurs villes sont passées du mouvement HDP à l'AKP. Je n'ignore évidemment pas que des villes ont aussi basculé dans le camp de l'opposition. Coopération avec les djihadistes : qui restera dans la zone après cela ? Qui restera-t-il sinon les véritables propriétaires de cette zone : des Kurdes, des Arabes, des Araméens, des Assyriens, des Chaldéens, etc ? Cette zone a toujours été habitée par une multitude d'ethnies syriennes. Elles ont vocation à y retourner. Nous souhaitons faciliter leur retour dans le pays de leurs pères.

Merci de votre accueil.

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