Monsieur le Président, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui part d'une intention louable. Il s'agit en effet de garantir la reconnaissance de la Nation à certains militaires et civils qui ont risqué leur vie pour défendre notre pays, cette reconnaissance pouvant notamment passer par le droit d'avoir une draperie tricolore sur son cercueil. Avant tout autre considération, je tiens à souligner que nous partageons tous ici cette volonté de récompenser les mérites, l'engagement et les sacrifices de celles et ceux qui ont participé aux combats menés par nos armées ou qui, soldats, policiers ou pompiers, sont morts en service dans l'accomplissement de leurs fonctions.
Ceci étant rappelé, il me semble que la présente proposition ne répond pas à cette intention qui en elle-même, je le répète, est absolument respectable.
Il faut bien avoir conscience que l'équilibre du droit en matière de récompenses militaires, que ce soit les citations, les médailles ou la draperie tricolore, est subtil et fragile. Dès lors, il ne pourrait être modifié sans risque de demandes d'extensions nouvelles, par exemple au profit de la légion d'honneur ou de l'ordre national du mérite. Je crois que personne n'a non plus l'intention d'étendre la draperie tricolore à l'ensemble des titulaires de la médaille militaire. Ce n'est pas en tout cas l'intention de l'auteur de la Proposition de loi, comme il me l'a confirmé.
Pour en revenir au texte précis de la proposition de loi de M. Decool, il vise à permettre à tout militaire ayant, au cours de sa carrière, fait l'objet d'une citation à l'ordre de l'armée, d'avoir une draperie tricolore sur son cercueil.
Il convient d'emblée d'observer que cette mesure concernerait très peu de personnes, en tout cas pas plus de 5 par an. Il y a très peu de médaillés militaires ayant eu une citation à l'ordre de l'armée, car cette distinction suppose l'accomplissement d'un exploit particulièrement mémorable au combat. La citation à l'ordre de l'armée est d'ailleurs du ressort exclusif du ministre des armées. Même pendant les deux guerres mondiales, très peu de personnes ont pu obtenir une telle citation.
En outre, les quelques militaires susceptibles d'avoir cette citation peuvent déjà bénéficier du privilège de voir recouvrir leur cercueil d'une draperie tricolore. En effet, ce droit est ouvert par des circulaires aux titulaires de la carte du combattant, de la carte de combattant volontaire de la Résistance ou du titre de reconnaissance de la Nation (TRN), ainsi qu'aux réfractaires du service du travail obligatoire (STO) ayant obtenu la médaille commémorative française de la guerre 1939-1945 et aux civils, fonctionnaires de la police nationale et sapeurs-pompiers, tués dans l'accomplissement de leur devoir et au cours de circonstances exceptionnelles. Ce sont des critères d'attribution assez larges, qui couvrent sans difficulté le cas d'un militaire auteur d'un exploit lui ayant valu d'être cité à l'ordre de l'armée.
Ainsi, la proposition de loi apparaît sans effet réel car elle ne concernerait qu'au maximum 5 militaires par an, qui ont déjà le droit actuellement à la draperie tricolore.
J'ai d'ailleurs pu constater que les anciens combattants que j'ai consultés, comme la Fédération André Maginot, ne souhaitaient pas une telle limitation du droit à la draperie tricolore.
En ce qui concerne les deux amendements, ils me paraissent également partir d'une bonne intention mais j'y vois des difficultés sérieuses.
D'abord, le premier amendement aboutirait à une rédaction nettement plus restrictive que le droit en vigueur : d'une part, il ne couvre ni les réfractaires du service du travail obligatoire (STO) ayant obtenu la médaille commémorative française de la guerre 1939-1945, ni les civils, fonctionnaires de la police nationale et sapeurs-pompiers, tués dans l'accomplissement de leur devoir et au cours de circonstances exceptionnelles. Or, aujourd'hui, personne, je crois, ne souhaite remettre en cause ce privilège accordé à ceux qui meurent en accomplissant leur mission ; d'autre part, la notion de « ayant combattu pour la France » elle-même pose problème. Elle risque en effet d'aboutir à une interprétation de l'administration plus restrictive que le droit actuel, ce qui, je pense, n'est pas non plus l'effet recherché.
De fait, je rappelle qu'ont droit à la draperie les titulaires du Titre de reconnaissance de la Nation (TRN). Or, ce titre a des critères d'attribution plus larges que la carte du combattant. Ainsi, alors que celle-ci suppose l'appartenance à une unité combattante ou la participation personnelle à cinq actions de feu ou de combat, le Titre de reconnaissance de la Nation est accordé à toute personne ayant servi pendant au moins quatre-vingt-dix jours dans une formation ayant participé à des opérations. Tous les militaires, titulaires ou non de la médaille militaire, qui répondent à ces conditions, ont donc en principe droit à la draperie tricolore.
Ainsi, en limitant le champ aux personnes « ayant combattu pour la France », l'amendement aurait en réalité pour effet de restreindre le droit à la draperie aux personnes ayant la carte du combattant.
Toutefois, je comprends les interrogations des auteurs de la proposition et de l'amendement sur ce dispositif assez complexe, fruit de cet équilibre que je viens d'évoquer. Nous devrons donc demander en séance publique à la ministre de bien expliquer la position du Gouvernement et de l'administration et de nous confirmer qu'actuellement, tout médaillé militaire y ayant droit peut bien bénéficier de la draperie tricolore, comme les textes le disent clairement.
En conséquence de ces réserves et afin, comme je l'ai indiqué, de ne pas perturber l'équilibre actuel entre les différents types de récompense militaires ou civiles et les différentes catégories de bénéficiaires de ces récompenses, je vous propose de ne pas adopter de texte sur cette proposition de loi.
En conséquence, la proposition de loi de notre collègue Decool arrivera intacte en séance publique où nous pourrons avoir une explication avec la ministre sur les conditions d'application du dispositif actuel.