Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 13 novembre 2019 à 8h35
Proposition de loi tendant à instituer une carte vitale biométrique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Nous avons à examiner aujourd'hui une proposition de loi de notre collègue Philippe Mouiller, inscrite à l'ordre du jour réservé du groupe Les Républicains et visant à instituer une carte Vitale biométrique. Les hasards du calendrier, qui font que nous examinons ce texte en même temps que le projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous donnent l'opportunité de nous attarder sur un aspect qui, bien souvent, n'est qu'éludé au moment de l'examen des budgets sociaux, alors qu'il est essentiel : le problème de la fraude sociale, et plus particulièrement de la fraude à l'assurance maladie. Comme rapporteure de la branche maladie, vous comprendrez l'intérêt particulier que je porte à cette question.

Le texte initial porte une ambition de grande envergure : réinitialiser l'attribution - « réenrôler », pour utiliser le terme exact - à l'ensemble des bénéficiaires de l'assurance maladie d'une carte Vitale biométrique, c'est-à-dire enrichie de l'image numérisée des empreintes digitales du titulaire.

Les auditions que j'ai menées, au cours desquelles j'ai pu m'entretenir avec l'ensemble des acteurs que concernerait ce réenrôlement, ont été riches d'enseignements. Elles m'ont permis de dresser plusieurs constats, qui sont autant de préalables qu'il me faut vous exposer avant de vous livrer la position que je vous proposerai, en accord avec l'auteur.

Premier constat : les montants de la fraude à la carte Vitale doivent être estimés en regard de ceux de la fraude aux prestations d'assurance maladie, dont ils sont un sous-ensemble. La plupart des personnes auditionnées conviennent que, par le préjudice financier, la fraude à la carte Vitale n'est pas la plus significative ; elle est en revanche l'une de celles dont l'occurrence est la plus fréquente et celle qui porte le plus visiblement atteinte au pacte républicain qui fonde la solidarité nationale. C'est donc à un dommage autant financier que symbolique que la présente proposition de loi entend remédier.

Deuxième constat : les fraudes à la carte Vitale sont plurielles, ce que nous ont appris des travaux récents. Nous sommes plusieurs, comme élus des territoires, à avoir connu de situations de multi-usage de la même carte par plusieurs bénéficiaires des prestations d'assurance maladie. Cette fraude, relativement marginale en raison de la couverture très large assurée par les pouvoirs publics en matière de remboursement des soins, existe néanmoins et n'est pas supportable dans un contexte de tension de nos finances publiques. Par ailleurs, un travail récent commandé par le Gouvernement à deux parlementaires, Mmes Nathalie Goulet et Carole Grandjean, a mis en lumière le phénomène inverse, tout aussi générateur de fraudes : le nombre de cartes Vitale en activité excède de plusieurs millions - les estimations oscillent entre 2 et 5 millions - le nombre de bénéficiaires couverts par des caisses de sécurité sociale. Depuis 2013 et les premiers constats de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), ce hiatus n'est que très partiellement expliqué et toujours pas jugulé. La détention de plusieurs cartes Vitale encore valides permet, sans difficulté, à une personne de bénéficier indûment de prestations servies pour un autre nom ;

Troisième constat : la fraude à la carte Vitale s'explique en grande partie par un arsenal très lacunaire de contrôle des droits. J'ai pu, dans le cadre du PLFSS, interroger chacune des organisations représentatives des professions de santé ou d'établissements de santé sur l'opportunité d'une carte Vitale biométrique, dont ils se trouveraient les principaux destinataires. Déjà surchargés de travail, bien peu m'ont assuré que l'introduction d'un élément biométrique au sein de la carte Vitale les inciterait à se livrer à des opérations de contrôle plus rigoureuses que celles qu'ils exécutent aujourd'hui. Le contrôle des droits n'a pas vocation à entrer dans les missions du soignant !

Ces différentes remarques militent par conséquent pour la mise en place d'un dispositif assurant par lui-même l'identification stricte du bénéficiaire et du détenteur de la carte Vitale.

Déjà largement déployé pour les passeports, l'outil biométrique s'impose logiquement : le stockage numérique de l'empreinte digitale dans la carte serait à n'en pas douter le meilleur garant d'un versement ou d'un remboursement servi à bon droit.

Cette idée judicieuse se heurte néanmoins à plusieurs obstacles. Le premier est son coût. Bien qu'il soit parfaitement légitime d'engager la lutte contre tous les types de fraudes, il me paraît primordial, dans le contexte que nous connaissons, de prioriser les dispositifs à raison des préjudices financiers qu'ils combattent. Or, de l'avis unanime, une généralisation de la carte Vitale biométrique sur l'ensemble du territoire représenterait un coût important dont l'amortissement ne serait réalisé qu'à long terme.

La carte Vitale biométrique doit par ailleurs tenir compte d'un chantier dont le déploiement a été lancé par un décret de mai dernier : la carte Vitale dématérialisée, dite « e-carte ». Le dispositif présente quelques similitudes avec celui conçu par les auteurs de la proposition de loi, sans toutefois se confondre avec lui. Il fait intervenir l'élément biométrique, mais limite son intervention au seul moment de l'enrôlement : le bénéficiaire est invité - et non contraint - à une identification biométrique lors de l'attribution de la carte, dont l'usage sera par la suite simplement conditionné à la présentation de son téléphone portable. Voilà qui ne garantira pas tout à fait la stricte identification... Autres inconvénients de taille : l'attribution fondée sur le volontariat et la distribution limitée aux seuls bénéficiaires équipés d'un support mobile manquent indubitablement la cible que la proposition de loi a urgemment identifiée comme devant être visée par la biométrie : les fraudeurs.

L'appel à l'outil biométrique ne doit cependant pas se faire à la légère. La collecte de données personnelles de santé, enrichies d'empreintes digitales, supposerait la construction d'une base de données extrêmement sensible, exposée à de multiples risques, et qu'on ne peut envisager sans considération des dangers correspondants. La Commission nationale informatique et libertés (Cnil), que j'ai auditionnée, n'a pas caché sa perplexité face au caractère aventureux d'une telle mesure, surtout rapportée aux bénéfices financiers qui sont escomptés. Je dois admettre, mes chers collègues, que la proposition alternative que je vous soumettrai doit beaucoup à cet enjeu - pragmatique - de sécurité des données personnelles de nos concitoyens.

Elle consiste à conserver le principe qui a guidé l'intention, tout en aménageant les contours du dispositif afin d'en assurer la réalisation. Je vous présenterai un amendement qui procède à la réécriture de l'article 1er et qui substitue à une carte Vitale biométrique généralisée une carte Vitale biométrique expérimentale, dont le déploiement sera limité à quelques ressorts de caisse de sécurité sociale, avec un enrôlement obligatoire des bénéficiaires.

Ces « territoires témoin », aux côtés de ceux où la carte Vitale dématérialisée est en cours d'expérimentation, se prêteront à d'utiles comparaisons en matière de fraude aux prestations d'assurance maladie, et l'enrôlement généralisé des bénéficiaires ne manquera pas de mettre un terme au problème persistant des cartes Vitale surnuméraires.

C'est en plein accord avec l'auteur de la proposition de loi, avec lequel le travail s'est fait en parfaite intelligence, que je soumets cet amendement à votre vote. Nous franchissons aujourd'hui le premier pas d'une idée ambitieuse dont je ne doute pas qu'elle inspirera un nouveau paradigme du juste versement des droits, unique boussole que notre commission des affaires sociales s'est choisie pour préserver notre modèle de solidarité nationale.

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