La note sur « Les satellites et leurs applications » est le fruit d'un travail qui s'est étalé sur deux mois, avec 15 auditions réalisées, 5 experts consultés et 6 contributions reçues, dont notamment celles de l'Académie des technologies et de l'Académie de l'air et de l'espace. Par ailleurs, une délégation de l'Office s'est rendue à Toulouse, les 2 et 3 octobre 2019, pour effectuer une visite des sites du CNES, d'Airbus et du Booster Nova porté par le pôle de compétitivité Aerospace Valley. Je souhaiterais remercier le président Gérard Longuet, ainsi que Catherine Procaccia, Pierre Médevielle, Laure Darcos, Philippe Bolo et Angèle Préville, pour leur participation à cette visite. Je pense que ces visites de terrain sont utiles et enrichissantes pour l'ensemble des membres de l'Office, qui peuvent ainsi profiter de rencontres et d'un partage d'idées autour de sujets suivis de près par l'un d'entre nous.
Après une première note scientifique sur les lanceurs spatiaux réutilisables, que je vous avais présentée en décembre et en janvier dernier, j'ai souhaité continuer nos travaux sur l'ensemble de la chaîne industrielle spatiale, avec une seconde note consacrée aux satellites et à leurs applications.
Les lanceurs Ariane 6 et Vega C, en cours de développement, continueront à assurer à l'Europe son indispensable accès autonome à l'espace. Mais je me suis rendu compte que, dans le domaine spatial, la plus grande partie de la valeur ajoutée se situe dans les satellites positionnés en orbite autour de la Terre et, surtout, dans les applications qu'ils permettent.
Les grandes tendances économiques montrent en effet que plus de 90 % des revenus du secteur spatial proviennent de son aval, c'est-à-dire principalement des applications des satellites. Ces applications se rangent dans trois catégories : les télécommunications, la navigation, autrement dit la géolocalisation, et l'observation de la Terre. Le marché de ces applications est en forte croissance et tout laisse à penser qu'il va continuer de croître grâce à une multiplication des services satellitaires qui pénètrent un grand nombre de secteurs d'activité.
Cette multiplication des applications trouve son origine dans les nombreuses ruptures technologiques en cours. On peut mentionner les capacités de flexibilité, d'agilité, des satellites de télécommunication, qui sont maintenant reconfigurables et capables de changer leurs missions au cours de leur existence. Une autre rupture majeure est le développement de petits satellites qui peuvent être produits en série à bas coût et lancés par grappes. À Toulouse, on nous a d'ailleurs montré des satellites de la taille d'une machine à laver, bien loin du modèle des gros satellites que l'on peut voir par ailleurs. C'est ainsi que des constellations de centaines voire de milliers de petits satellites voient le jour. Ces constellations tournent autour de la Terre à des orbites basses (de l'ordre 500 à 1 000 km) ou moyennes (20 000 km), contrairement aux satellites traditionnels qui sont en orbite géostationnaire à 36 000 km d'altitude. Il s'agit d'un véritable changement de paradigme, même si les satellites géostationnaires traditionnels ne sont pas voués à disparaître. Les nouvelles offres de services apportés par les constellations viendront en complémentarité de ces satellites traditionnels.
La conjonction de ces innovations technologiques et de l'amélioration de nos capacités de traitement de big data, notamment grâce à des outils d'intelligence artificielle, offre de nouvelles possibilités d'applications qui sont en pleine expansion.
Ainsi les satellites font vivre aux télécommunications une rupture peut-être d'égale ampleur à celle connue il y a 30 ans avec l'arrivée de la téléphonie mobile et de l'internet. Les télécommunications spatiales permettent à de nombreux secteurs de se transformer, avec par exemple le développement de la télémédecine. Ils contribuent également au développement des objets connectés, qui probablement n'en sont aujourd'hui qu'à leur balbutiement. Mais surtout, l'internet par satellite est une solution pour fournir l'internet très haut débit dans tous les territoires, avec un coût quatre fois moindre que la fibre optique pour connecter les derniers 5 % de population (en particulier dans les zones rurales et outre-mer) et au prix de la fibre optique pour les utilisateurs. Ils permettent ainsi de réduire une fracture numérique qui risque d'augmenter avec la 5G terrestre, et constituent donc, selon moi, un puissant outil au service de l'aménagement du territoire. Ayant été l'un des rapporteurs du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), j'ai pu voir le lien évident entre l'aménagement du territoire et les questions de mobilité et d'accès au numérique. Je pense en effet que les infrastructures numériques sont d'importance égale à celle des infrastructures routières ou ferroviaires pour l'aménagement du territoire.
Pour l'observation de la Terre, les satellites sont déjà indispensables au suivi de l'environnement et à la compréhension des évolutions climatiques, notamment grâce au programme européen Copernicus : 35 variables climatiques essentielles sur 53 sont ainsi captées depuis l'espace. Les données d'imagerie spatiale ont pénétré de nombreux secteurs d'activité très variés : l'agriculture (épandage maîtrisé des produits phytosanitaires), la finance (niveau des stocks de pétrole), l'économie (prévision du chiffre d'affaires d'un supermarché par le comptage des voitures stationnées), l'assurance « paramétrique » (pour protéger les agriculteurs, notamment les viticulteurs, contre les aléas climatiques)... Toutes ces applications nouvelles se développent grâce à la progression de la qualité des observations satellitaires de la Terre. De nouvelles missions spatiales innovantes sont en cours de développement pour obtenir de nouvelles données sur l'atmosphère et sur notre environnement, notamment les émissions anthropiques de CO2. En France, c'est l'objectif du projet « Microcarb » du CNES. Une telle capacité aidera à la mise en place d'une fiscalité carbone et au suivi rigoureux du respect par chaque pays de ses engagements internationaux. Il est en effet aisé aujourd'hui de faire des déclarations sur les réductions d'émissions, mais comment fera-t-on pour vérifier leur mise en oeuvre ? Les satellites pourront nous y aider.
Enfin, l'utilisation de la géolocalisation se généralise dans tous les types de transports : terrestre, maritime, et aérien. Le système européen de géolocalisation Galileo est maintenant opérationnel : 1 milliard de puces compatibles avec Galileo ont déjà été vendues, ce nombre symbolique ayant été franchi en septembre. Le signal Galileo permet une précision bien supérieure à celui du système américain GPS (un mètre contre dix). La SNCF, par exemple, estime qu'elle pourrait faire rouler 20 % de trains en plus sur ses voies, tout en gagnant en sécurité et en coût et sans modifier ses infrastructures, bien que l'amélioration de celles-ci reste toujours une préoccupation. Ces 20 % de trains en plus sont particulièrement importants dans un contexte où l'on souhaite réduire l'impact environnemental de nos mobilités. Cette précision et la couverture complète permise par Galileo seront nécessaires pour le développement en cours des voitures, navires et trains autonomes.