Intervention de Pierre-Yves Collombat

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 14 novembre 2019 à 8h35
Examen du rapport de m. pierre-yves collombat actualisant son rapport n° 393 2016-2017 « une crise en quête de fin. quand l'histoire bégaie »

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur :

Concernant la continuité et la rupture avec les constats du premier rapport de 2017, je voudrais vous renvoyer tout d'abord à l'ouvrage Crashed, publié en octobre 2018, dans lequel l'historien britannique Adam Tooze analyse les répercussions mondiales de la débâcle des banques américaines en 2008. Cet ouvrage a été décisif pour moi dans l'évolution de ma pensée.

L'idée majeure développée dans cet ouvrage est que les remèdes utilisés depuis 2008 contre la crise sont devenus eux-mêmes une cause d'autodestruction du système.

Ces remèdes reposent sur la croyance que l'économie ne peut fonctionner que si l'on y injecte en permanence de la liquidité. Or, cette idée est un piège. Plus on injecte des liquidités, plus on rend, au contraire, tout le système vulnérable. Dans ce système, il y a ceux à qui la liquidité profite : les États-Unis, qui veulent continuer à « faire des affaires » et les autres, qui demandent des hausses de taux d'intérêt.

En Europe, on cumule tous les inconvénients : on continue à s'endetter, mais en même temps, on se serre la ceinture. L'endettement ne sert pas à répondre, même de façon démagogique, aux préoccupations matérielles des gens.

Pour répondre sur le point des régulations prudentielles, certes, il y a eu de nouvelles réglementations imposées aux banques, mais, d'une part, Jean-Michel Naulot nous disait que seul un tiers des mesures ont été appliquées effectivement, d'autre part, en parallèle, s'est développé tout un système souterrain, - j'y consacre une large partie du rapport : le shadow banking -, qui vit en symbiose avec le système bancaire, en représente près de la moitié en terme de bilan selon les chiffres mêmes de la Banque de France, et qu'on ne maîtrise absolument pas.

Au final, comme le disait le Président Karoutchi, ce sont des mesures pour temps calme.

Le plus étonnant est ce mécanisme de résolution, un fonds censé répondre aux cas de faillite, abondé à hauteur de 50 milliards d'euros pour l'Europe, quand la somme des bilans bancaires est de...15 000 milliards.

J'en arrive aux conclusions politiques du rapport : pour moi, il est aujourd'hui indéniable que la situation dans laquelle nous sommes résulte de choix politiques clairs et que nous ne sortirons de cette situation que par une évolution de ces choix.

Ce second rapport a été pour moi le moment d'éclairer et d'expliquer cette conviction. En réalité, tout est lié. Il n'y a pas, d'un côté, un système financier à la dérive et, en parallèle, un système décisionnel. L'un est justifié par l'autre et inversement. Notamment je montre comment nous subissons aujourd'hui les conséquences du détricotage de l'État-providence, en termes de chômage de masse.

C'est l'accumulation de travail et d'auditions qui m'a permis d'arriver à cette conclusion.

Vous trouverez également dans ce rapport beaucoup de références au passé et aux analyses, notamment, de Karl Polanyi. Ce n'est pas de la nostalgie de ma part, c'est juste que ces analyses sont parfois beaucoup plus opérantes pour aujourd'hui que nombre d'analyses contemporaines.

J'aurais aimé aller plus loin sur l'analyse de la situation préfasciste. Polanyi s'interroge : comment le fascisme est apparu comme une solution dans un système en panne ? Comment les fondamentaux de nos systèmes de pensée ont été dissous ? Cela mériterait une étude en profondeur.

Enfin, concernant les préconisations, je ne les ai rédigées que parce que vous les réclamiez et aussi parce que c'est le rôle du Parlement de proposer des voies de sortie. Mais elles ont peu de chance d'être appliquées.

Cela va dans le sens de votre idée de lanceur d'alerte.

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