Intervention de Philippe Dallier

Réunion du 18 novembre 2019 à 17h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2019 — Adoption d'un projet de loi modifié

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier :

Nous examinons ce PLFR pour 2019 dans un contexte particulier. Jeudi dernier, la commission a décidé de repousser le texte, même si elle revenue sur sa décision, parce que vos services n’avaient pas transmis les éléments qui étaient demandés par le rapporteur général.

Je rappelle également que, jeudi dernier, le Sénat a rejeté en bloc le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, apprenant, par médias interposés, que le Président de la République venait d’annoncer un nouveau plan pour l’hôpital, que nous connaîtrons mercredi prochain, ce qui rendait nos travaux absolument caducs.

Quand j’entends dire que tout va mieux du point de vue de l’examen des lois de finances, je pense, quant à moi, qu’il reste beaucoup à faire pour que nous puissions travailler dans des conditions acceptables.

Cependant, il n’est pas inutile de rappeler que le Sénat avait l’an dernier, à l’extrême fin du parcours budgétaire et en pleine responsabilité, voté le projet de loi de finances modifié, intégrant les premières mesures proposées par le Gouvernement pour tenter de sortir de la crise des « gilets jaunes ».

Monsieur le secrétaire d’État, le Parlement ne souhaite qu’une chose : jouer son rôle, tout son rôle, pleinement son rôle ; encore faudrait-il que le Gouvernement lui montre un peu plus de respect.

Au-delà de ces avatars de la vie parlementaire, il y a ce qui se passe dans le pays. Je ne reviendrai pas sur les violences de l’extrême gauche, ce week-end encore. Nous voyons surtout monter cette grogne sociale, que vous n’arrivez pas à calmer malgré les mesures votées l’an dernier et celles qui figurent dans le PLF et qui coûteront 17 milliards d’euros en année pleine.

Alors, pourquoi en êtes-vous là ? Certes, il est difficile de réformer ce pays, personne ne dira le contraire. Pour avoir une chance d’y parvenir, encore faudrait-il tracer un cap, donner du sens à une politique, convaincre que les efforts demandés sont équitablement partagés. Vous n’y parvenez pas.

À mi-mandat, le Président de la République donne le sentiment de courir après les événements, voyant approcher avec une certaine inquiétude la date du 5 décembre prochain.

« La réforme des retraites vous inquiète ? Rassurez-vous, je vais m’occuper de l’hôpital… Et pour les retraites, on en reparlera après les élections municipales ! » Voilà tout simplement le message envoyé par le Président de la République la semaine dernière.

Vos choix funestes de l’automne 2017 – hausse de la CSG, même sur les petites retraites, et non-indexation de celles-ci, couplées à la hausse des taxes sur les carburants – ont déclenché une crise qui est en train de vous échapper.

La trajectoire de nos finances publiques en a été la première victime, quoi que vous en disiez, monsieur le secrétaire d’État. Ce budget de 2019, s’il est l’acte II du quinquennat, est d’abord l’acte I de vos renoncements.

Que retenir de ce projet de loi de finances rectificative ?

Sur la forme, il s’inscrit dans l’esprit de la LOLF puisqu’il ne comporte pas de nouvelles mesures fiscales. Voilà un progrès qui se confirme.

Sur le fond, monsieur le secrétaire d’État, vous êtes effectivement fondé à dire que vous respectez la trajectoire prévue voilà un an, voire que vous faites même un peu mieux – d’une dizaine de milliards d’euros, ce qui n’est pas rien –, mais il faut rappeler que le déficit se situera à 3, 1 % du PIB, soit 97, 16 milliards d’euros pour 2019, contre 76 milliards en 2018 et 67, 7 milliards en 2017. Difficile de trouver ici des motifs de réjouissance…

Vous franchissez de nouveau la barre des 3 % du PIB. Mais après tout, me direz-vous, 2, 9 %, 3 % ou 3, 1 %, quelle importance ? Cette règle est d’un autre siècle, comme l’a affirmé le Président de la République, jetant encore un peu plus le doute sur notre capacité et surtout sur notre volonté de maîtriser enfin nos dépenses publiques.

Le déficit budgétaire de 2019, qui avec 3, 1 % est meilleur qu’attendu en loi de finances initiale, se dégrade tout de même de 1, 4 milliard d’euros par rapport à votre présentation du projet de loi de finances pour 2020 il y a quelques semaines seulement.

Encore une fois, ce sont les dépenses qui sont revues à la hausse, mais compensées par de meilleures recettes.

Je note que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu aura finalement permis au Gouvernement d’engranger 2, 2 milliards d’euros, ce qui conduit à relativiser largement le discours sur l’année blanche de 2018.

Côté dépenses, le plus significatif est que vous devez assumer le décalage, au 1er janvier 2020, de la contemporanéisation des aides personnalisées au logement (APL). Ce n’est pas faute de vous l’avoir dit l’an dernier. Nous pensions déjà que la date du 1er avril 2019 était intenable ; vous avez dû repousser l’échéance au 1er janvier 2020.

Les crédits destinés à l’hébergement d’urgence augmentent également dans le projet de loi de finances rectificative, car chaque année nous courons après les besoins. Je peux déjà annoncer que les crédits que nous voterons pour 2020 seront de facto inférieurs à ceux dont vous avez eu besoin en 2019. Dans le contexte actuel, difficile de dire que le compte y sera…

Il est d’ailleurs paradoxal que la mission « Cohésion des territoires », que je suis particulièrement, principale contributrice aux économies en loi de finances initiale, soit devenue la principale, ou la seconde, bénéficiaire des crédits que vous ouvrez dans cette loi de finances rectificative. C’est bien la preuve qu’il y avait un problème d’appréciation.

Au total, ce projet de loi de finances rectificative, plus technique que politique, confirme cependant que la France est maintenant le seul pays en Europe à ne pas avoir réduit sérieusement son déficit structurel. On ne peut vraiment pas dire que l’effort réalisé soit remarquable. Je le rappelle, vous avez également oublié votre promesse d’un retour à l’équilibre budgétaire en 2022. Vous vous félicitez de la situation, mais cela n’est pourtant pas conforme à la réalité.

Ce faisant, vous envoyez des signaux assez désastreux.

Aux Français d’abord, qui peuvent toujours croire que l’État peut continuer à vivre à crédit. Or nous savons que ce n’est pas vrai.

À nos partenaires européens ensuite, auxquels nous sommes toujours prompts à faire la leçon. Nous critiquons ceux qui dégagent des excédents budgétaires, mais nous sommes incapables de revenir dans la norme européenne.

À ceux, enfin, qui financent nos déficits chroniques. Ils pourraient bien, un jour prochain, exiger qu’on leur serve des taux d’intérêt bien plus élevés pour accepter de nous prêter les plus de 200 milliards d’euros que nous devons maintenant chaque année emprunter pour refinancer notre dette et nos déficits courants.

Nombreux sont ceux qui l’ont indiqué, les taux historiquement bas sont en effet une aubaine qui dure. Mais jusqu’à quand ? Telle est la question que nous pourrions nous poser !

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