Intervention de Guillaume Chevrollier

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 novembre 2019 à 9h30
Déplacement d'une délégation de la commission en nouvelle-calédonie — Communication

Photo de Guillaume ChevrollierGuillaume Chevrollier :

Je traiterai des sujets liés à la protection et à la valorisation de la biodiversité marine et terrestre ainsi que des conséquences du changement climatique en Nouvelle-Calédonie, qui étaient au coeur de notre déplacement.

L'archipel néocalédonien est un véritable sanctuaire, avec un taux d'endémisme de près de 80 %. C'est tout à fait impressionnant car les paysages et les espèces sont très différents d'une île à l'autre. La Nouvelle-Calédonie est, derrière Madagascar, le second des trente-quatre hotspots identifiés sur la planète mais c'est surtout l'un des plus petits et elle abrite des espèces primitives remarquables.

Côté biodiversité terrestre, la Nouvelle-Calédonie abrite autant d'espèces que la métropole, qui est vingt fois plus grande. On recense 3 261 espèces de végétaux, dont certaines sont étonnantes, comme les plantes qui absorbent les métaux lourds et sont aujourd'hui plantés sur les anciens sites miniers. Les oiseaux sont également remarquables et évoluent dans la mangrove, qui couvre une grande partie du littoral.

Côté biodiversité marine, la Nouvelle-Calédonie possède la deuxième plus longue barrière récifale du monde, avec 1 600 km de long et une superficie de plus de 23 000 de km2. Cette zone abrite 20 % de la biodiversité mondiale et la concentration la plus diverse au monde de structures récifales, encore plus que sur le récif de la grande barrière australienne. On compte par exemple plus de 9 000 espèces marines. À titre de comparaison, il y a plus d'espèces marines sur une bande de 20 fois 10 kilomètres d'un lagon de Nouvelle-Calédonie qu'il n'y en a sur l'ensemble de la Méditerranée !

Nous avons eu l'occasion de faire une visite avec deux chercheurs spécialisés de l'Institut de recherche pour le développement, à proximité du fameux parc de la rivière bleue, dans la province Sud. Nous avons également pu échanger avec la directrice du Conservatoire des espaces naturels et nous avons eu la chance de visiter un navire de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, qui était sur place, juste avant son départ en mission pour plusieurs mois. Si la préservation de la biodiversité marine est essentielle, l'urgence à court terme c'est la préservation de la biodiversité terrestre face aux pollutions en tout genre, aux incendies, à l'artificialisation des sols et aux changements climatiques. Les plantations d'espèces de forêt sèche, la maitrise foncière et la planification constituent des réponses mais il faut aussi améliorer la prévention des risques industriels et naturels.

Je rappelle simplement que depuis 2002, la planète perd entre 3 et 6 millions d'hectares de forêt tropicale primaire. En 2030, les forêts primaires auront disparu au Paraguay, au Laos et en Guinée équatoriale. En 2040, elles auront disparu en Centrafrique, au Nicaragua, en Birmanie, au Cambodge et en Angola.

Les conséquences de ces changements sont déjà perceptibles en Nouvelle-Calédonie, ce qui est très préoccupant. Les températures ont augmenté de plus d'un degré au cours des dernières décennies. La montée des eaux s'accélère, avec un recul du trait de côte de deux à trois mètres depuis les années 2000 selon l'Observatoire du littoral de Nouvelle-Calédonie, la fréquence des cyclones devrait continuer à augmenter, de même que l'occurrence de phénomènes climatiques extrêmes. Les espèces à la fois terrestres et marines sont menacées durablement.

Dans ce contexte peu réjouissant, la Nouvelle-Calédonie a toutefois pris des actions importantes, qui se sont traduites par des succès incontestables : ainsi les lagons de Nouvelle-Calédonie ont été inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2008, démontrant le succès de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) active depuis 1999. De même, les lacs du Grand Sud, qui s'étendent sur 44 000 hectares et abritent une grande variété de zones humides terrestres ainsi que des espèces exceptionnelles, ont été classés à la Convention de Ramsar chère à notre collègue Jérôme Bignon.

On ne peut que s'en réjouir : il y a une vraie prise de conscience et une vraie détermination des autorités locales, et côté État, sur la question écologique en Nouvelle-Calédonie. Le congrès a adopté un schéma pour la transition énergétique en 2016, qui constitue la contribution du territoire à la COP 21 et à l'accord de Paris. La province Sud a adopté un schéma comparable en 2017 et la province Nord s'est récemment dotée d'un plan climat-énergie.

Il faut également saluer l'adoption par les trois provinces de leurs codes de l'environnement, qui permettent de créer un corpus unifié dédié à la préservation des espèces de chaque territoire pour embrasser la diversité des problématiques et des contextes. À titre d'illustration, le code de l'environnement de la Province des îles Loyauté prend en compte le droit coutumier de façon importante et a conféré une personnalité juridique à la nature.

L'enjeu aujourd'hui est d'assurer une conciliation équilibrée entre la protection de la biodiversité, sa valorisation dans le cadre de nouvelles chaînes de valeur et le développement du territoire via le tourisme.

S'agissant de la protection de la biodiversité, nous l'avons vu, les actions sont nombreuses et la question se pose davantage du côté du réalisme de ces initiatives, qui supposent de développer des moyens de contrôle et de sanction appropriés.

Concernant la valorisation de la biodiversité, le président du gouvernement, Thierry Santa, est très engagé et a évoqué cette question dans son discours de politique générale du 22 août dernier, en la présentant comme un outil de croissance et de cohésion, avec l'objectif d'assurer un partage équitable des avantages tirés de cette valorisation, en cohérence avec les engagements de la France dans le cadre du protocole de Nagoya. L'Institut de recherche pour le développement (IRD), établissement sous la tutelle des ministères chargés de la recherche et de la coopération, dispose par ailleurs d'un incubateur d'entreprises innovantes et d'équipements scientifiques indispensables. Les applications sont potentiellement nombreuses et le bio-mimétisme, qui permet des innovations à partir des formes, matières et propriétés des espèces vivantes avec des applications industrielles, de même que les biotechnologies sont des opportunités à ne pas manquer.

Le développement du tourisme vert doit être soutenu plus fortement. L'ONU avait d'ailleurs décidé que 2017 serait l'année internationale du tourisme durable. La biodiversité et sa préservation permettrait à la Nouvelle-Calédonie de développer son image de marque. Sur ce sujet, il convient de distinguer d'une part les touristes « classiques » venant par avion, environ 120 000 par an, en provenance de France métropolitaine, d'Australie, de Nouvelle-Zélande, du Japon et des États-Unis et, d'autre part, les croisiéristes. Ces derniers représentent environ 500 000 touristes supplémentaires chaque année. La taille des navires augmentent, dépassant aujourd'hui les 300 mètres, de même que le nombre de passagers accueillis à bord, qui varie de 1 200 à 3 000 en fonction des navires, sans tenir compte des équipages, environ 1 000 hommes et femmes pour chaque navire. Il y a quatre escales principales en Nouvelle-Calédonie : Nouméa, Lifou, île des Pins et Maré. Les professionnels estiment que la dépense moyenne par croisiériste à terre avoisine les 6 000 francs pacifiques soit environ 50 euros, ce qui paraît faible. Le secteur de la croisière se porte bien au niveau mondial et représente près de 130 milliards de dollars de chiffre d'affaires par an selon le Cluster Maritime.

La Nouvelle-Calédonie présente des atouts indéniables pour les paquebots de croisière avec, outre ses paysages et son climat, des infrastructures fiables, une stabilité politique et une proximité géographique avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui favorise les croisières de courte durée. Ce tourisme occasionne également des retombées économiques indéniables, au-delà des consommations des croisiéristes. L'enjeu est aujourd'hui de trouver de nouvelles pistes pour que le territoire en profite davantage sans pour autant dégrader l'environnement. Des solutions de ravitaillement en Nouvelle-Calédonie pourraient être envisagées pour soutenir la demande en produits alimentaires locaux, par exemple pour la durée de la croisière dans les eaux territoriales calédoniennes. De même, des formules avec une nuit à terre soutiendraient l'offre hôtelière locale, qui connait actuellement un taux de remplissage moyen des hôtels autour de 30 %.

Un point de vigilance s'agissant des paquebots. Des travaux scientifiques sont en cours pour mieux évaluer les atteintes aux fonds marins et à la biodiversité occasionnées par les paquebots de croisière et certaines zones sont particulièrement exposées. Des plans de gestion doivent être adoptés rapidement, avec des panneaux d'information du public, des balisages, des bouées de non-franchissement, c'est une nécessité. Il n'y a pas encore de problème d'hyper-fréquentation mais la vigilance s'impose compte tenu de l'état remarquable de la biodiversité calédonienne.

En conclusion, je souhaiterais insister sur la nécessité pour l'État d'associer étroitement la Nouvelle-Calédonie à sa politique en matière de développement durable et aux négociations concernant les accords internationaux de la France car le territoire a des caractéristiques particulières à prendre en compte, des sujets à mettre en avant et des solutions à proposer. D'ailleurs le prochain Forum des îles du Pacifique est prévu en 2020, au Vanuatu, et sera l'occasion pour la Nouvelle-Calédonie d'aborder ces sujets avec les autres États de la région mais il faut également un lien renforcé avec la métropole. À cet égard, la tenue du congrès mondial de la nature, dans le cadre de l'Union internationale pour la conservation de la nature à Marseille du 11 au 19 juin 2020, doit permettre au territoire de valoriser ses atouts et j'espère que nos magnifiques territoires d'outre-mer y auront toute leur place.

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