Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 novembre 2019 à 17h30

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques :

Nous devons nous féliciter de cette réussite, mais ne devons pas faire preuve de cécité. C'est le second constat. Le programme Ariane 6 a été dimensionné pour les conditions de 2014. Or, depuis, les prix ont baissé et la cadence minimale de 11 lancements par an sera très difficile à atteindre, et ce pour deux raisons.

D'abord une concurrence extrêmement féroce : en quelques années, l'entreprise d'Elon Musk, SpaceX, a divisé les prix par trois, multiplié ses capacités d'emport par huit et sa cadence de lancement par sept. La semaine dernière, l'entreprise a réussi un lancement avec un booster réutilisé pour la quatrième fois. Nous ne devons certes pas être naïfs : SpaceX a bénéficié de 9,5 milliards de dollars de contrats de la part des autorités américaines, souvent à des prix deux fois plus élevés que ceux pratiqués par l'entreprise sur le marché commercial. Mais nous ne devons pas être aveugles : contrairement à nos pratiques sur Ariane, cette aide ne finance pas l'exploitation du lanceur, mais - et c'est déjà beaucoup - surtout la R&D car le coût d'un lancement pour SpaceX est de l'ordre de 44 millions de dollars, ce qui lui permet de pratiquer un tarif de l'ordre de 50 à 60 millions de dollars, contre près de 150 pour Ariane 5. Et la concurrence devrait s'accroître dans la mesure où de nouveaux entrants arrivent : Blue Origin de Jeff Bezos par exemple.

Ensuite, les conditions de marché sont particulièrement incertaines : le coeur de cible d'Ariane, à savoir le marché des satellites en orbite géostationnaire, a connu un effondrement ces dernières années. Le relais de croissance des constellations en orbite basse peine, à ce jour, à convaincre. De plus les solutions d'emport de petits satellites en passager ne constituent qu'un complément de revenu faiblement rémunérateur.

À partir de ces constats, que pouvons-nous faire ?

D'abord, c'est un impératif : réussir la ministérielle de fin novembre, qui est particulièrement stratégique. Je regrette l'absence de la ministre, car nous aurions pu lui dire à quel point sa tâche est importante. Deux grandes orientations doivent être actées, pour un budget de 2,6 milliards d'euros sur les lanceurs.

En premier lieu, le soutien financier à la fin d'exploitation d'Ariane 5 et à la transition vers Ariane 6. On l'a dit, les conditions de marché ont évolué, ce qui rend nécessaire un soutien financier plus important de la part des États. C'est la condition de la garantie de notre indépendance d'accès à l'espace à court terme, qui est absolument essentielle.

Mais il faut aussi, en second lieu, préparer l'avenir. Et l'avenir, selon nous, passe par la réutilisation. C'est pourquoi nous appelons à miser dès aujourd'hui sur le réutilisable. Le Cnes estime en effet que la réutilisation du premier étage diminue de 30 à 50 % les coûts. Avec dix réutilisations, le coût du lancement d'un Falcon 9 de SpaceX tomberait à 29 millions de dollars !

Dans la mesure où le soutien de nos partenaires européens au principe d'indépendance d'accès à l'espace dépend en grande partie de la limitation du coût financier qu'ils ont à supporter, ne pas se lancer dans le réutilisable serait particulièrement dangereux. C'est toute la filière qui pourrait en pâtir ainsi que notre souveraineté. À la ministérielle, il faudra donc financer les programmes de préparation du futur : le nouveau moteur Prometheus, le démonstrateur d'étage réutilisable Themis et l'étage supérieur moins cher Icarus. Ces briques permettront de décider, dès 2022, du développement d'un nouveau lanceur réutilisable.

Enfin, l'entreprise Avio a connu un magnifique succès avec Vega C et nous pouvons, en tant qu'Européens, nous en féliciter. Elle souhaite aujourd'hui le faire grandir avec le programme Vega E. Mais cela pourrait créer une concurrence fratricide entre Ariane et Vega. Il faut s'opposer à un programme qui viserait à augmenter les performances de Vega C pour les rapprocher de celles d'Ariane : améliorer les performances intrinsèques de Vega C oui, mais les porter au niveau de celles d'Ariane, cela ferait courir le risque d'un combat fratricide et inutile. Nous préconisons donc une extrême prudence sur ce sujet.

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