Intervention de Guillaume Arnell

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 18 novembre 2019 : 1ère réunion
Rencontre avec les élus locaux d'outre-mer

Photo de Guillaume ArnellGuillaume Arnell, rapporteur coordonnateur de l'étude :

Il y a deux ans, le 6 septembre 2017, le cyclone Irma, d'une violence inouïe, frappait les îles du nord de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Alors que nos deux territoires se retrouvaient coupés du monde, l'hexagone semblait soudain découvrir la puissance des cyclones, en même temps qu'il se souvenait que, au-delà des mers, c'étaient bien là des îles françaises qui étaient dévastées.

Passé le choc, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé de conduire une étude sur les risques naturels majeurs outre-mer, en accord avec le président du Sénat, Gérard Larcher.

Je remercie une fois encore le président de la délégation, Michel Magras, de la confiance qu'il m'a accordée en me proposant de coordonner ce travail. Tous deux sénateurs des îles touchées, nous partagions la même approche sur ce sujet : il n'était pas question de faire une commission d'enquête et de mettre en accusation des responsables qui ont tenu durant la crise du mieux qu'ils ont pu. Il s'agissait de comprendre, de dresser un bilan sans concession de la situation à laquelle nos territoires sont confrontés et de ne surtout pas regarder le passé, mais de préparer l'avenir, en vue de tirer les leçons pour améliorer notre résistance face aux aléas futurs.

Ce travail de deux ans a abouti à deux rapports. Le premier, adopté en 2018, portait sur la prévention des risques et la gestion des crises. Le second, adopté jeudi dernier, est consacré à la reconstruction, à l'accompagnement des populations et à la résilience des territoires. Au total, ce sont 100 propositions qui ont été formulées par les quatre rapporteurs, dont je salue ici le travail, l'implication et l'engagement. Je tiens à les citer et à les remercier : Victoire Jasmin, très engagée, et Mathieu Darnaud, excusé aujourd'hui, dont le département est exposé aux aléas climatiques peu après avoir subi un séisme, pour le premier volet ; Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, territoire menacé par la submersion, et Jean-François Rapin, élu métropolitain ancré dans les problématiques ultramarines, puisqu'il préside l'Association nationale des élus du littoral (ANEL), pour le second.

Quand le président du Sénat et le président de la délégation ont préparé cette matinée, ils souhaitaient que nous puissions travailler ensemble sur un sujet porté par la délégation et m'ont tout de suite proposé que cette séquence soit consacrée aux risques naturels. Ce sujet est avant tout un sujet territorial, un sujet local.

Les sénateurs de chacun des territoires, membres de la délégation, sont les relais des problématiques dont vous, élus, leur faites part. Ils sont les porte-voix des territoires, et nous sommes toujours vigilants quand vous nous interpellez. Nous avons aussi veillé à travailler directement avec vous. Nous avons eu à coeur de nous appuyer, tout au long de ces deux années, sur les collectivités et leurs élus dans les différents territoires, par visioconférence ou durant les déplacements que nous avons réalisés.

Deux rapports, 100 propositions. La prévention et la gestion de l'urgence, tout d'abord, font l'objet d'un premier rapport, dans lequel nous avons longuement analysé les risques auxquels sont confrontés nos territoires. Ceux-ci sont nombreux et, souvent, se cumulent : séismes, volcans, cyclones, tsunamis, inondations, submersion...

La connaissance des risques est fondamentale. Elle est un préalable indispensable à toute politique, et nous avons rappelé les investissements nécessaires dans le suivi de nombreux risques. Je me souviens de notre visite à l'observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe où le directeur nous expliquait le regain d'activité de la Soufrière. Nous devons maintenir d'importants moyens scientifiques.

Sur la prévention, nous avons longuement analysé les plans de prévention des risques naturels (PPRN). Ces plans couvrent vos communes. Ils sont indispensables : il s'agit là de la préservation de vies humaines. Mais ils ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités de nos territoires, leur contexte géographique et les contraintes liées au foncier ou au développement économique. Nous devons avancer sur ce point. Je sais que la Polynésie française travaille sur l'évolution du cadre juridique de ses PPRN et la définition des zonages et contraintes liées : nous suivrons cette expérimentation.

Le PPRN doit également être davantage concerté. Il conditionne nombre d'aménagements des communes et doit mieux intégrer les élus en amont. Mais la prévention a besoin de moyens, et nous n'avons eu de cesse de souligner les insuffisances du fonds Barnier comme, parfois, du plan séismes Antilles. Le fonds Barnier doit poursuivre son assouplissement. Face à l'urgence d'agir, la situation économique et financière de nos collectivités comme de nos populations doit être mieux prise en compte : cela impose de revoir les taux de cofinancement et les modalités d'intervention.

Ce premier volet était aussi celui de la préparation et de la gestion de l'urgence.

Nous nous sommes intéressés aux réseaux de vigilance et d'alerte, et nous avons constaté les fragilités dans les réseaux de mesures sismiques. Je me souviens de la question des lahars au Prêcheur, à la Martinique, dont la vitesse impose une surveillance extrêmement réactive. Nous avons vu les lacunes des moyens de vigilance météorologique : on nous a signalé en particulier des manques de radars et de houlographes, par exemple.

Mais nous avons aussi insisté sur les manques criants de moyens d'alerte, parfois, et particulièrement en sirènes. Je me souviens de la situation alarmante des îles Wallis et Futuna sur ce point. Le projet « Exploit », à Saint-Barthélemy, était un bel exemple d'amélioration des alertes face aux tsunamis.

Tous ces éléments sont utiles en amont, mais aussi durant les crises. Ces crises, nous avons jugé que leur pilotage ne vous intègre pas suffisamment. Intégrer les élus, ce message a été un fil directeur de ce premier volet, qu'il s'agisse de la prévention comme de la gestion de crise. Nous appelions l'an dernier à une gestion plus inclusive des risques naturels. Nous demandions notamment des séminaires territoriaux des risques naturels, avec les élus de tous les niveaux de collectivités et les services de l'État, pour faire le point sur la préparation au risque. Nous demandions aussi à mieux intégrer les exécutifs locaux : vous, mesdames et messieurs les maires, présidents de collectivités, départements ou régions.

Après la crise viennent la reconstruction et la préparation du temps long, ce que nous appelons communément la résilience.

Concernant la reconstruction, notre réflexion s'est principalement fondée sur l'expérience de Saint-Martin. Nous avons été critiques sur ce point, constatant que le pilotage par l'État de la reconstruction avait sans doute été trop unilatéral et le suivi, lacunaire, avec la disparition du délégué interministériel au bout de dix-huit mois, quand, deux ans après, la reconstruction n'est faite qu'à 49 %. Nous avons formulé des recommandations pour améliorer les pratiques dans de telles situations. Cela est valable aussi pour le déficit de coordination dont la collectivité avait la charge. Il faut que, face aux catastrophes naturelles, l'État s'appuie sur les élus locaux.

Mais, au-delà de la reconstruction, nous avons voulu penser plus globalement à l'adaptation de nos territoires et aux aménagements nécessaires à celle-ci.

Nous avons parlé de l'évolution des risques liés aux changements climatiques à l'horizon de 2050, qui touchera tous nos territoires, menaçant jusqu'au plus nordique d'entre eux, Saint-Pierre-et-Miquelon ; de l'évolution du trait de côte, par exemple, qui n'épargne aucun de nos territoires, pas même la Guyane et son littoral si étendu ; de l'évolution de certains risques, enfin, qui se sont présentés récemment. Je pense ici aux sargasses dans les Antilles, ces algues toxiques et paralysant l'activité de certaines communes. Nous avons appelé à mieux accompagner les communes qui n'ont souvent pas les moyens de procéder à l'indispensable ramassage rapide de ces algues. Je pense ici aussi, naturellement, à ce volcan qui, depuis plus d'un an, a provoqué plus de 1 800 séismes à Mayotte et fait se déplacer et s'enfoncer l'archipel. Nous avons souligné la nécessité de tenir informés les élus, qui sont interpellés au quotidien par une population inquiète.

Face à ces risques, face à ces évolutions, nous avons voulu insister sur les stratégies d'aménagement.

Cela nous a conduits à nous intéresser aux normes. Ces adaptations doivent venir du terrain. Je tiens ici à saluer le dynamisme de nos territoires sur ce point. Je pense en particulier à La Réunion, où les acteurs du BTP sont mobilisés avec le Centre scientifique et technique du bâtiment pour l'amélioration de la résistance des matériaux et des pratiques de construction face aux vents cycloniques. Je pense également à la Nouvelle-Calédonie, qui mène depuis 2016 un vaste projet d'adaptation des normes, et dont les études ont permis de réévaluer les vitesses de vents à prendre en compte en considérant les projections et les niveaux constatés empiriquement sur le territoire, et d'établir une nouvelle cartographie.

Sur ce sujet des aménagements, je n'oublie pas une question transversale, celle des réseaux. Nous avons demandé que des plans de résilience soient établis pour prévoir avec l'État et les opérateurs les enfouissements nécessaires. Nous en parlons depuis si longtemps, Irma a montré que cela était indispensable. Je n'oublie pas non plus que les aménagements sont aussi parfois naturels. Le projet « Rescue Ocean » nous l'a montré : il est urgent de valoriser les systèmes de protection côtiers.

Nous avons enfin souligné ce que l'évolution anticipée des risques signifiait, ce qu'elle imposait comme réflexions sur la préparation de nos territoires comme de nos populations. Nous appelons à impulser une réelle acculturation aux risques. Cela doit notamment conduire à des exercices plus fréquents, mais aussi à une amélioration de la couverture assurantielle.

Les sujets sont nombreux, et tous nécessitent que nous travaillions ensemble. C'est le sens de cette matinée.

Je l'ai dit lors de la présentation devant la délégation jeudi dernier, l'ambition de résilience de nos territoires ne pourra se faire qu'avec des moyens financiers adéquats et un portage politique déterminé et suivi dans la durée. Nous nous battrons à vos côtés pour que cette ambition devienne une réalité. Il y va de l'avenir de nos territoires et de la protection de nos populations.

Ce travail, comme tous les rapports réalisés par la délégation, a été conduit dans une démarche constructive. Il doit maintenant servir à l'ensemble des acteurs de la prévention et de la gestion des risques, ainsi qu'au Gouvernement. Un projet de loi est annoncé pour le printemps 2020, et je salue, moi aussi, la présence de Frédéric Mortier, qui travaille actuellement à la préparation de ce texte.

Il y a trente ans, le cyclone Hugo balayait la Guadeloupe. Quelques semaines plus tard, le Président de la République François Mitterrand était présent dans le territoire sinistré. Aux responsables locaux qu'il avait rencontrés, il avait déclaré : « Je viens d'écouter vos propos avec intérêt, car ils ajoutent à la connaissance des dossiers cet élément irremplaçable du témoignage direct d'hommes et de femmes qui ont vécu ce drame, qui sont impliqués dans la gestion, qui se préoccupent de la situation des êtres humains frappés dans leurs biens, sans doute, et plus encore souvent dans leurs espérances, comme fouettés au milieu de l'effort engagé depuis longtemps pour donner à la Guadeloupe l'équilibre qu'elle mérite ». Tout était dit. Car là est bien notre rôle à tous, ici : être les porte-paroles des réalités complexes, singulières et délicates de nos collectivités et de nos populations. Qui peut prétendre connaître vos territoires mieux que vous, élus de terrain ?

Aujourd'hui est la première étape du suivi de nos travaux. Je souhaite que ce suivi demeure régulier, étroit, exigeant à vos côtés.

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