Quatre ans après l'accord de Paris sur le climat, il a semblé utile de faire le point devant vous sur l'action de l'Union européenne durant cette période. D'autant que, selon le calendrier même de l'accord de Paris, c'est en effet en 2020 que les États signataires, et donc ceux de l'Union, doivent revoir à la hausse leurs engagements initiaux, à travers leurs Plans nationaux énergie - climat (PNEC), afin de garantir une hausse de la température mondiale inférieure à 1,5 °C à la fin du siècle.
En 2018, l'Union européenne a adopté des règles pour respecter son engagement de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d'au moins 40 % d'ici à 2030 par rapport à 1990. Elle a également revu à la hausse ses ambitions en matière d'énergie renouvelable et d'efficacité énergétique. D'autres législations ont également été adoptées, visant à réduire les émissions de CO2 du transport routier pour une mobilité propre.
Que recouvre l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 2030 ? Il se décompose de la façon suivante.
D'abord, une réduction de 43 % pour les secteurs couverts par le marché carbone européen.
L'Union européenne a réformé en 2018 son système européen d'échange de quotas d'émission pour accélérer la réduction du plafond des émissions autorisées des installations électriques et industrielles sur le territoire de l'Union, ainsi que des compagnies aériennes des États participants - même si celles-ci reçoivent 85 % de leurs quotas gratuitement... Les nouvelles règles visent à permettre une hausse du prix du carbone tout en préservant les industries européennes du risque de perte de compétitivité. De même est prévue une nouvelle répartition entre la part de quotas payants soumis aux enchères (55 %) et celle distribuée gratuitement (45 %).
Ensuite, est prévue une réduction de 30 % pour les secteurs qui ne sont pas couverts par le marché carbone européen. C'est le règlement sur le « partage de l'effort », qui détermine la contribution des États membres pour assurer le respect par l'Union de son engagement en matière de réduction des émissions de GES pour les secteurs de l'agriculture, des transports terrestres, du logement et des bâtiments, des petites installations industrielles et des déchets. Ces secteurs représentent la moitié des émissions de GES de l'Union européenne. Un objectif de moins 37 % a été assigné à la France.
Enfin, un objectif a été assigné de zéro émission nette dans le cadre des différents modes d'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (UTCAF) pendant la période 2021-2030. Sont concernées les forêts, les terres cultivées, les prairies et, à partir de 2026, les zones humides. Les États membres doivent compenser les émissions dues à la déforestation, par exemple en créant des puits de carbone équivalents issus du reboisement ou en améliorant la gestion durable des forêts existantes.
L'Union a aussi adopté des règles pour réduire les émissions du transport routier pour la période 2021-2030 : réduction d'émissions des véhicules légers et incitations au développement de véhicules à faible et zéro émission. L'Union a pris sa première réglementation sur des valeurs limites d'émissions pour les poids lourds, catégorie la plus émettrice qui représente 65 à 70 % des émissions de tous les véhicules lourds. L'Union a également renforcé ses obligations d'achats de véhicules propres dans la commande publique.
Même si l'ambition climatique répond à une réelle et légitime exigence de l'opinion, il faut reconnaître que toutes les techniques « durables » ne sont pas encore au rendez-vous. Il en est ainsi des biocarburants de première génération qui se substituent à des cultures alimentaires ou provoquent la déforestation et dont l'utilisation sera plafonnée à 7 % en 2030 puis progressivement supprimée. Les biocarburants verts et propres ne sont pas pour demain. Ainsi également du recours à l'hydrogène pour les transports : c'est sans doute une voie prometteuse à terme et la technologie avance mais, à ce jour, sa fabrication génère des émissions et, malgré de récents progrès, l'électrolyse à grande échelle reste un procédé coûteux et très consommateur d'électricité. Ce serait cependant aussi, à terme, un atout pour le stockage de l'électricité issue des renouvelables. Par ailleurs, le développement de la supraconductivité permettrait de rapprocher les sources d'énergies renouvelables des lieux de leur consommation, sans que la déperdition due au transport soit trop importante.
Le sommet « Action pour le climat » organisé à l'ONU en septembre dernier a déçu. Seuls 66 États ont participé - sur 195 parties à l'accord de Paris, ne représentant que 6,9 % des émissions mondiales. Ils se sont engagés à relever leurs objectifs 2020 et ont souscrit à l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050.
Ira-t-on vers la neutralité carbone pour 2050 ?
L'accord de Paris invite les États parties à remettre, d'ici 2020, leur stratégie de développement à faible émission de gaz à effet de serre pour 2050.
Le Conseil européen a reconnu l'importance pour l'Union d'une stratégie à long terme visant à la neutralité climatique en 2050, soit autant d'émissions que d'absorptions, tout en tenant compte des difficultés de certains États membres et de l'impératif de compétitivité de l'industrie européenne. Cependant, l'unanimité au Conseil n'est pas atteinte et la Pologne, la Hongrie et la République tchèque y restent hostiles à ce jour.
Quel est le bilan global des ambitions et des objectifs européens ?
La part des énergies renouvelables, en additionnant les plans actuels, serait comprise en 30,4 % et 31,9 % en 2030 au lieu des 32 % prévus, la France figurant parmi les pays les plus en retard avec 16,5 %... Sur l'efficacité énergétique, il reste beaucoup à faire pour respecter l'objectif de 32,5 % en 2030. Les plans actuels des États ne permettraient d'atteindre que 26 % à 30 %. En revanche, l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 devrait être dépassé. Il serait donc revu à la hausse à 45 %, voire 55 %. C'est ce que souhaitent tant la Commission que le Parlement européen mais seuls 8 États sur 27 ont clairement déclaré leur volonté sur ce sujet, l'Allemagne se rangeant du côté des sceptiques.
Quels sont les projets de la nouvelle Commission pour le climat ?
La présidente élue de la future Commission européenne a fait de la lutte contre le changement climatique une priorité. Le « green deal » qu'elle propose contient deux éléments principaux : une ambition toujours plus élevée ; ensuite des dispositions budgétaires, fiscales et financières destinées à trouver les ressources nécessaires.
D'abord, une ambition toujours plus exigeante.
Le premier objectif sera ainsi de passer à 50 %, voire 55 % de réduction de gaz à effet de serre en 2030. Je viens d'évoquer la réticence de nombreux États au Conseil, la tâche ne sera pas facile. Il n'a ainsi pas été possible, à l'issue de la conférence interparlementaire d'Helsinki sur la politique climatique à laquelle j'assistais, d'inscrire dans une déclaration - pourtant non contraignante, cet objectif d'une diminution des émissions de l'Union européenne de 50 à 55 %.
La Présidente élue prévoit aussi, dans les 100 premiers jours, l'adoption d'une « loi climat » qui fixera, pour 2050, l'objectif de neutralité climatique dont les exigences devront se refléter dans toutes les politiques de l'Union et être intégrées dans sa stratégie industrielle. Il faudra donc adapter une nouvelle fois les directives et règlements déjà évoqués sur le marché européen du carbone, le partage de l'effort et l'utilisation des terres, le changement d'affectation des terres et la foresterie (UTCAF). De même, il faudra adapter la directive sur la taxation de l'énergie datant d'octobre 2003, celle sur les énergies renouvelables et celle sur l'efficacité énergétique.
Le marché européen du carbone doit en effet être revu. Au moment où les centrales à charbon ferment en Europe, des quotas carbone inutilisés s'accumulent sur le marché, qui pourraient faire baisser le prix du CO2. Près de 2,22 milliards de quotas carbone seraient ainsi disponibles sur le marché en 2030. Le prix du quota carbone s'élève actuellement à 26-27 euros la tonne, après des années de stagnation en dessous de 10 euros. Un prix supérieur à 30 euros par tonne est nécessaire pour stimuler les investissements durables. C'est un prix largement supérieur encore, de quelque 80 euros ou 100 euros, qui rentabiliserait certaines technologies bas carbone aujourd'hui encore hors de portée. Il est possible de parer ce risque en supprimant les quotas inutilisés à mesure que ferment les centrales à charbon. La Commission pourrait aussi renforcer la « réserve de stabilité » du marché européen, créée il y a peu, et supprimer les quotas qui y sont stockés depuis plus de cinq ans. Faute de quoi le marché sera saturé par un surplus de quotas.
Dans la même logique, la Présidente élue préconise d'inclure les secteurs aériens et maritimes au système d'échange des quotas d'émissions. Ces ambitions européennes doivent cependant être articulées avec les propositions spécifiques de tous les acteurs, en particulier de l'Organisation maritime internationale et de l'Organisation de l'aviation civile internationale, qui ont engagé leur propre stratégie multilatérale de compensation ou de réduction d'émissions, au demeurant pas toujours compatibles avec l'exigence européenne.
Les accords de commerce négociés par l'Union devront promouvoir nos standards climatiques, sanitaires et sociaux. Les obligations juridiquement contraignantes de l'accord de Paris devront être incluses comme clauses essentielles de ces accords de libre-échange. L'Union européenne est la première puissance commerciale du monde. Bien qu'il apparaisse essentiel de favoriser les circuits courts, l'Union doit néanmoins demeurer ouverte sur le monde, faute de quoi son exemplarité demeurera sans effet. L'efficacité de son action en matière de lutte contre le réchauffement climatique passera donc par la mise en place d'accords commerciaux vertueux.
Ensuite, il s'agit de mobiliser les ressources financières nécessaires. D'ores et déjà, le « green deal » pourrait se traduire dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 actuellement en discussion. La Commission européenne a proposé que 25 % (au lieu de 20 % actuellement) du budget de l'Union européenne soient orientés vers des « dépenses climat », soit 320 milliards d'euros sur 7 ans.
La PAC en serait un élément clef. 40 % des ressources globales consacrées à cette politique seraient dédiées à l'action pour le climat, dont un minimum de 30 % pour le second pilier du développement rural. Ce verdissement de la politique agricole s'appuierait essentiellement sur des mesures incitatives. Il faudra néanmoins veiller à ce qu'une telle mesure n'engendre pas une renationalisation de la PAC, faute de moyens suffisants pour les politiques traditionnelles. Outre la transition énergétique, la transition agricole doit également être financée.
Les différents programmes européens seront aussi mobilisés : InvestEU qui succédera au « plan Juncker », le programme LIFE, déjà exclusivement dédié au climat, sans oublier les fonds structurels de la politique de cohésion. Un fonds nouveau, dit de la « transition juste », serait créé pour accompagner les États et régions de l'Union les plus exposés à l'impact économique et social de la transition climatique, en particulier les pays où le charbon tient encore une place prééminente.
La stratégie financière devra mieux mobiliser les capitaux publics et privés indispensables pour financer la transition climatique et l'innovation dans les technologies propres, la croissance et l'emploi. La Banque européenne d'investissement porterait de 25 % aujourd'hui à 50 % en 2025 ses investissements pour le climat. De même, la Banque centrale européenne devrait intégrer dans ses actifs davantage « d'obligations vertes » qu'actuellement. Cela étant, le développement d'un tel produit financier se heurte à l'absence de définition précise de ce qu'est un actif « vert ».
Pour orienter les investissements vers une économie durable, un règlement sur la « taxinomie », c'est-à-dire la classification des activités durables vers lesquelles encourager les investissements, pourrait être adopté prochainement. Il serait intéressant que notre commission se penche sur ce texte qui sera structurant pour l'avenir, et qui devra évoluer en fonction des connaissances et des techniques, mais également de la pratique. Il apparaît également essentiel de pondérer différemment les actifs verts du reste des actifs des banques. L'actuel cadre prudentiel de Bâle III devrait être remplacé par un « green Bâle ». Cela permettrait que soient pris en compte les risques qu'impliquent des investissements financiers écologiquement vertueux.
Enfin, il faut utiliser le levier de la fiscalité. La directive sur la taxation de l'énergie, qui date de 2003, ne correspond plus aux exigences actuelles. À ce jour par exemple, l'Union européenne verse annuellement encore quelque 55 milliards d'euros aux carburants fossiles. Une tentative de modernisation de cette taxe a échoué en 2015. L'exigence d'unanimité en matière fiscale risque de bloquer toute amélioration dans ce domaine. En effet, une part significative des ressources budgétaires de nombreux États membres dépend aujourd'hui encore de la taxation des énergies fossiles. Ces fonds devraient être réorientés vers le financement d'investissements verts. Les États devront par ailleurs trouver des possibilités de diversifier leurs ressources budgétaires dans la perspective de la neutralité carbone.
La présidente élue de la future Commission a par ailleurs inscrit dans ses projets la mise en place d'une « taxe carbone aux frontières », parfois appelée « mécanisme d'inclusion carbone ». L'objectif est de placer les industries européennes à égalité avec leurs concurrentes hors Union européenne pour assurer des règles du jeu équitables et éviter les délocalisations. L'exercice est complexe car un tel mécanisme doit respecter les règles de l'OMC, en particulier l'interdiction de discrimination commerciale aux importations. Cette démarche apparaît néanmoins essentielle. En effet, les efforts que nous pouvons consentir demeureront vains si nous continuons à importer des biens dont la production a entraîné des émissions de gaz à effet de serre ailleurs. L'Union européenne importe aujourd'hui l'équivalent de 50 % de ses propres émissions. Ainsi, la délocalisation de ses industries sales au-delà de ses frontières favorise sa propre neutralité carbone, mais sans améliorer la situation au niveau planétaire. Or, notre exemplarité ne doit pas s'opérer au détriment des autres.
Le réchauffement climatique causé par l'activité humaine présente de nombreux risques. Ainsi, la fréquence et la gravité croissantes des catastrophes climatiques sont désormais des faits bien établis. Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation comparable à la révolution néolithique. L'humanité a alors pris conscience que la faune et la flore constituaient des ressources finies. Elle a ainsi dû limiter sa prédation et s'atteler à les renouveler. Cette prise de conscience s'étend aujourd'hui à l'ensemble des ressources de la planète. Nous devons donc nous comporter en consommateurs responsables.
Faire face à ce défi apparaît difficile. Aucune solution strictement technique n'est à même d'y répondre. Ainsi, l'économie seule ne le peut pas. Il est par ailleurs nécessaire de répondre aux besoins croissants de la population humaine, tant matériellement qu'en termes de dignité. Il convient par conséquent d'explorer toutes les solutions. L'efficacité énergétique doit par exemple être une priorité. Par ailleurs, nous devons mesurer avec précaution les conséquences écologiques de nos décisions. Ainsi, le passage des véhicules thermiques aux véhicules électriques laisse en suspens la question de la production et du recyclage de leurs batteries. De la même manière, la masse de données numériques augmente chaque année la consommation d'énergie de 5 % à 10 %. Elle consomme déjà 5 % de l'énergie mondiale, soit davantage que le transport aérien avec les émissions corrélatives de gaz à effet de serre.
La stratégie européenne d'action climatique sera pilotée par Frans Timmermans, et nous pouvons nous en féliciter. Néanmoins, il lui faudra désormais collaborer avec des pays auxquels il s'opposait lorsqu'il exerçait les fonctions de commissaire européen chargé de l'État de droit... Or, l'Union européenne ne pourra réussir qu'unie. Il conviendra donc de prendre cela en compte dans le cadre financier pluriannuel. Les réticences à augmenter le budget européen exprimées par les États membres les plus importants risquent de contrarier les ambitions de la présidente élue de la Commission européenne. En effet, la concentration des fonds européens vers un « green deal » suscitera l'opposition des pays qui comptaient les voir mobiliser pour d'autres projets.
Par ailleurs, l'Union européenne doit user du poids que lui confère son statut de première puissance commerciale du monde. Être exemplaire ne peut suffire. Il faudra pour cela mettre en place des accords commerciaux vertueux à même d'entraîner nos partenaires. Nous ne pouvons pas nous refermer sur nous-mêmes, bien qu'il faille également favoriser les circuits courts. Par ailleurs, le faible bilan des actions menées en matière d'isolation thermique des bâtiments est regrettable. Il s'agit en effet d'un enjeu essentiel de consommation énergétique.
Enfin, les réponses apportées aux questions écologiques ne peuvent l'être qu'au niveau mondial, grâce à une gouvernance multilatérale. L'Union européenne doit à ce titre prendre toute sa place, en particulier au regard de l'évolution récente de la puissance américaine. Par ailleurs, la question de l'Afrique a constitué l'un des angles morts de la COP 21. Plutôt que d'envisager l'impact écologique qu'impliquerait son développement, la Conférence a préféré considérer qu'elle ne se développerait pas. Une telle perspective n'est évidemment pas souhaitable. La France a une responsabilité particulière vis-à-vis de ce continent. Pour cette raison, notre commission devra continuer à travailler sur ces sujets. Il nous faudra notamment pour cela auditionner le nouveau commissaire européen chargé de ces questions.